Mon assmat, ma confidente. Par Françoise Näser

Assistante maternelle, auteure

Istock
assmat et maman
Dans notre métier, on dit souvent que ce sont les parents qui sont plus difficiles à gérer que les enfants. Vraiment ? Plus difficiles qu’un tout-petit hurlant de douleur parce qu’il fait ses dents ? Plus difficiles qu’un enfant de deux ans qui se roule par terre à la moindre contrariété ? Plus difficiles que les disputes incessantes, les bagarres, les morsures ? Plus difficiles que le bruit, l’agitation ? Plus difficiles que les casse-cous qui nous font des peurs bleues ?

Pourquoi dit-on alors que les parents sont plus difficiles à gérer ? Nous rencontrons dans notre pratique toutes sortes de parents, et parce qu’ils nous ont choisies et que notre intérêt commun est le bien-être de leur enfant, dans la très grande majorité des cas, tout se passe très bien. Les quelques mois que nous partageons ensemble, parfois des années, sont émaillés de petits gestes d’amitié, de jolis souvenirs, de complicité partagée, de sourires et de rires par-dessus la tête de leur petit. Quand tout se passe bien, tous ces moments partagés représentent l’une des grandes joies de notre métier : souvent la relation perdure au-delà de l’accueil, nous restons dans le cœur de ces parents comme la personne qui a choyé leur bébé. Nous avons alors le sentiment d’avoir été utiles non seulement à l’enfant accueilli, mais à toute la famille.

Mais la vie nous joue parfois des tours, à nous, ainsi qu’aux parents : comme je l’ai déjà souvent écrit, nous entrons de plain-pied dans leur intimité, nous assistons impuissantes aux événements de leur vie privée. Bien involontairement souvent, nous sommes les témoins de grandes joies et de petits malheurs, de petites joies et de terribles malheurs ! Le grand a passé son brevet, le petit s’est cassé la jambe ; mon mari a été licencié, ma femme a eu une promotion ; on a diagnostiqué un cancer à ma mère, mon père est guéri ; nous allons nous marier, nous allons divorcer ... Nous devenons confidentes à notre corps défendant, conseillères sur des sujets dépassant de loin l’accueil strictement dit du bébé. « Souvent les Ass Mat sont mises dans des positions de confidentes par les parents […] la plupart du temps c’est lourd à porter et elles ne savent pas s’en dépêtrer. » (1)

Mais comment rester insensible alors que des liens se sont créés au fil du temps ? Les petits temps d’échanges du matin et du soir peuvent très vite s’étendre à des sujets très personnels, parfois difficiles, voire intimes. A quel moment et surtout comment y mettre le holà ? Comment empêcher que ces confidences ne débordent sur notre vie de famille, tant en termes de temps car ces échanges peuvent s’avérer chronophages, qu’en termes de pression psychologique car tous ces soucis peuvent nous entraîner sur une pente savonneuse ! « Les assistantes maternelles sont, pour les parents des interlocutrices de choix, propres à écouter, à conseiller … mais jusqu’où ? […] Si l’assistante maternelle s’improvise psychologue, sexologue et conseillère conjugale … elle se retrouve vite en difficulté, n’ayant ni le statut, ni les compétences pour démêler une telle situation » (2)

Alors oui, dans un monde idéal, nous devrions pouvoir travailler en réseau : nous devrions pouvoir nous tourner vers d’autres professionnels dont c’est le métier. Nous ne sommes ni psychologue ni assistante sociale, et notre bonne volonté peut non seulement ne pas suffire, mais peut également se retourner contre nous. Un mauvais conseil qu’on pensait pourtant excellent, une formulation malheureuse dans un climat déjà tendu, une parole certes bienveillante mais inappropriée, ou bien un temps de silence trop long vécu comme un rejet, un « désolée mais ce soir, j’ai pas l’temps pour ça ! » ressenti comme une claque, un mouvement d’agacement qui ne passe pas inaperçu ! Le soutien à la parentalité, cela ne s'invente pas et avec toute notre bonne volonté, nous pouvons commettre des erreurs, nous sentir perdues, accumuler de la culpabilité, porter des choses qui ne nous appartiennent pas. Tout cela peut s’immiscer dans notre vie de famille, notamment lorsque ces situations sont vraiment très lourdes. Et pourtant, si ce parent se confie à nous, c’est justement parce qu’il a confiance, et qu’il n’est peut-être pas encore prêt à en parler ailleurs. Comment l’inciter à se tourner vers la bonne personne pour l’aider à résoudre sa difficulté, sans qu’il se sente trahi ?

Non seulement le réseau de professionnels nous entourant est inexistant, mais en plus de quel soutien pouvons-nous bénéficier lorsque nous en ressentons le besoin à notre tour ?
Lorsque les difficultés rencontrées par nos parents-employeurs font écho à nos propres craintes, ravivent des souvenirs douloureux ou provoquent en nous un profond malaise ? « Au fond, j’ai beaucoup d’empathie pour ces femmes et une certaine admiration. Pour la plupart, elles font vraiment le maximum de ce qu’elles peuvent […] Elles donnent beaucoup d’elle-même, de leur vie de famille. Et le retour est loin d’être à la hauteur … Peu de parents se rendent compte des répercussions de ce métier sur la vie quotidienne des Ass Mat. Quant aux pouvoirs publics … mieux vaut ignorer le sujet tant ils sont au-dessous de tout ! » (1)


(1) Véronique Dugelay dans « En toute confiance », éditions Librinova, 2021
(2) Jean Epstein dans Assitantes maternelles : un monde extraordinaire, éditions Philippe Duval, 2013


 
Article rédigé par : Françoise Näser
Publié le 31 janvier 2022
Mis à jour le 10 juin 2023