Une p’tite fessée par-ci, une p’tite claque par-là ! Par Françoise Näser

Assistante maternelle, auteure

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petite  fille grondée
Nos petits Loulous ne sont pas tous des chérubins : certains sont des p’tits malins, des diablotins, des coquins et autres taquins. Ils peuvent inventer mille et une facéties pour déjouer notre vigilance, pour tester notre patience, pour entraîner leurs petits copains sur la pente glissante de la désobéissance. Même si nous aimons notre métier, même si la petite enfance est notre passion, les journées peuvent être parfois éreintantes. L’agitation continuelle, les cris et les colères sont notre quotidien ; notre bienveillance est parfois mise à rude épreuve.
On serait presque tenté de dire qu’une bonne fessée leur remettrait les idées en place ! Une p’tite fessée, une petite claque, des coups de martinet, des coups de ceinturons, des coups de poings... Certains d’entre nous, parents, professionnels, ont été élevés comme cela, il y a longtemps (peut-être pas si longtemps que cela finalement) dans la violence, les insultes, les humiliations.

Le bien-être, l’épanouissement des enfants n’a pas toujours été une priorité : en d’autres temps, il fallait filer doux, être sages comme une image, au mieux se faire oublier. Ne nous voilons pas la face, aujourd’hui encore, la violence est un outil pédagogique pour de nombreuses familles, ces parents qui pensent sincèrement bien faire pour élever leur enfant « comme il faut », en toute bonne foi, ici, ailleurs, chez nous et dans d’autres cultures. Peut-on imaginer la terreur ressentie par ces tout-petits qui vivent dans l’attente de la prochaine punition, sans toujours comprendre ce qui va leur ne tomber dessus ni pourquoi ? Qui se construisent autour de cette terreur, qui sont humiliés au quotidien. Maltraitances et violences éducatives restent associées à l’enfance. Il était grand temps de légiférer.

Pour les associations qui se battent depuis des années, c’est une grande victoire. Pour tous ceux qui travaillent avec des enfants, c’est une grande victoire. Pour tous ceux qui côtoient des adultes en prise avec leurs blessures d’enfant, c’est une grande victoire. Pour moi, le plus étonnant est donc de lire actuellement, en réaction à cette nouvelle loi sur les violences éducatives ordinaires, que certains s’en porteraient très bien. Ne lit-on pas régulièrement : « moi, j’ai reçu des fessées et je n’en suis pas mort ! ». Une sorte de revendication des violences subies comme étant justifiées, utiles et nécessaires. Ces anciennes victimes de violences éducatives seraient devenues des adultes tout à fait sains, équilibrés et heureux, parce que ces violences leur auraient permis, sont-ils alors persuadés, d’être, entre autres, plus respectueux envers leurs aînés. Le respect est une notion qui revient régulièrement dans ces commentaires (tout comme la crainte d’une éducation laxiste et de l’ « enfant-roi »).

Difficile donc de quantifier l’impact de ces violences éducatives sur le comportement des adultes des années plus tard, même si l’on sait grâce aux neurosciences affectives et sociales (1) qu’il en résulte un réel impact sur le cerveau. Ce cerveau des enfants si fragile, si immature, si sensible aux hormones de stress, s’en trouve modifié parfois définitivement. Comment savoir si nos angoisses d’adulte, ce manque de confiance en soi, d’estime de soi, cette perpétuelle indécision sont liés d’une manière ou d’une autre à la violence physique ou psychologique subie pendant l’enfance ? Si le lien de cause à effet était plus évident, cela rendrait les choses plus faciles à comprendre pour tous !

Ceux qui s’interrogeraient sur le genre de violences subies par nos tout-petits sur les lieux d’accueil peuvent se référer au chapitre 6 du livre d’Héloïse Junier (2) qui en dresse un état des lieux assez exhaustif. Concernant l’accueil collectif, « la violence physique est, de loin, la plus connue et aussi la moins fréquente dans les lieux d’accueil » tandis que « la violence psychologique est l’une des violences les plus répandues, mais aussi les moins détectées ».

Qu’en est-il de l’accueil individuel ? Il existe sans doute d’excellentes études théoriques sur le sujet, car en pratique, qui sait ce qu’il se passe exactement entre les quatre murs d’une assistante maternelle qui travaille seule ? La bonne volonté et les meilleures intentions sont-elles suffisantes pour nous prémunir contre toute tentation de violence ? Qui n’a jamais élevé la voix pour se faire enfin entendre, qui n’a jamais bousculé un enfant qui ne réagit pas assez vite, qui n’a jamais claqué une porte ?
Pour autant, considérer la violence comme légitime, comme un instrument éducatif parmi d’autres, cela sera désormais condamnable. Et nous nous félicitons aujourd’hui tous de cette grande avancée sur le chemin d’une plus grande humanité. La France devient le 56ème pays à interdire les violences éducatives ordinaires.
Pour autant, attention à ne pas nous ériger en parangons de vertu ! C’est une lente révolution éducative qui est en marche et cela prendra du temps pour changer les mentalités, en commençant par la nôtre. « Ne nous culpabilisons pas d’avoir eu tel ou tel comportement avec l’enfant car nous ne savions pas ! Ces recherches sont très récentes » (3) Et ne jamais oublier non plus qu’être bienveillant ne veut pas dire être parfait ! Qui jettera alors la première pierre ?


(1) Entre autres « Pour une enfance heureuse », Dr Catherine Gueguen
(2) Guide pratique pour les pros de la petite enfance, Héloïse Junier, Éditions Dunod 2018
(3) Lire l'article Catherine Gueguen : violences éducatives ordinaires : leurs conséquences sur le cerveau de l'enfant.

 
Article rédigé par : Françoise Näser
Publié le 07 juillet 2019
Mis à jour le 10 juillet 2019