L’ imbroglio des responsabilités professionnelles en EAJE. Par Géraldine Chapurlat

Juriste

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Je constate fréquemment que les engagements des gestionnaires en matière de responsabilités professionnelles dans l’accueil collectif des jeunes enfants manquent de clarté et d’homogénéité. Et pourtant l’enjeu est de taille : c’est la relation de confiance avec la famille dont il est question: alors que de nombreux gestionnaires mettent au centre de leurs préoccupations le lien avec la famille, ils négligent cette information pourtant centrale : quelle est l’étendue de leurs engagements vis-à-vis des familles quand ils accueillent leur enfant, quelles sont les garanties qu’ils  proposent si un dommage survient ?

La réponse ne devrait souffrir d’aucune hésitation, et pourtant on aurait vite tendance à restreindre le temps pendant lequel la structure est responsable de l’enfant accueilli. En outre, les garanties proposées par l’assureur du gestionnaire si un dommage survient sont rarement connues des gestionnaires et encore moins clairement annoncée aux parents.

A partir de quand et jusqu’à quand est-on, responsable de l’enfant accueilli ? C’est l’un de mes chevaux de bataille, j’en avais fait une chronique où j’indiquais qu’il ne paraissait pas opportun d’indiquer dans des règlements de fonctionnement que les enfants sont  sous la responsabilité de leur parent du moment qu’ils sont présents dans la structure. En effet, cette formulation tend à décharger la structure de sa responsabilité vis-à-vis des enfants accueillis du moment où son parent est présent. Or, la structure reste garante d’une obligation de sécurité à l’égard de l’enfant accueilli et ne pourrait pas se dégager de sa responsabilité au seul motif que son parent est présent. Si l’enfant sort de la structure au moment de la transmission avec son parent, si l’enfant tombe de la table de change alors que son parent le changeait, la responsabilité de la structure serait vraisemblablement discutée car on serait tenté de penser que l’accident provient du seul défaut de surveillance du parent.  Cependant on pourrait questionner la responsabilité de la structure dans l’organisation de l’espace d’accueil ou de change.
Bref il parait simpliste d’exclure d’emblée la responsabilité de la structure quand les parents sont présents,  l’EAJE a la responsabilité de l’organisation du lieu d’accueil, on l’a vu, mais aussi du fonctionnement de la structure, de l’organisation par exemple d’actions auprès des familles pour la prévention des accidents domestiques.

La structure doit donc envisager sa responsabilité du moment où l’enfant entre dans la structure jusqu’au moment où il en sort, quand bien même il y aurait vraisemblablement des espaces de coresponsabilités en présence des parents.
En matière de responsabilité, l’étendue des garanties souscrites auprès des assureurs est rarement bien maitrisée par les gestionnaires. Reconnaissons-le, le flou provient aussi largement des réponses aux demandes d’indemnisation apportées par les assureurs : nous sommes à l’heure actuelle dans une situation où lorsqu’un enfant confié à un EAJE subit un accident, il  n’est pas certain qu’il puisse voir son préjudice indemnisé par l’assurance souscrite par le gestionnaire.

D’un coté, l’EAJE se voit en effet opposer un refus d’indemnisation par l’assureur au motif qu’il n’y a pas de défaut de surveillance de la part des professionnels en charge des enfants accueillis. Et de l’autre côté, les parents se voient opposer un refus d’indemnisation de la part de leur assurance responsabilité civile au motif que l’accident a eu lieu alors que leur enfant était confié à la structure. Cela revient donc à dire qu’il y a des situations où les dommages subis par les enfants accueillis en EAJE ne seront jamais indemnisés.

Si les préjudices sont rares, ils existent : ce sont des parents  qui doivent trouver une garde à domicile car leur enfant doit rester immobilisé pendant plusieurs semaines suite à une fracture causée par une chute de l’enfant dans la structure. C’est la petite fille qui tombe et se casse des dents de lait avec un impact sur les dents définitives. C’est la morsure profonde qui laisse une cicatrice qui nécessitera plus tard de la chirurgie esthétique et qui causera en attendant un préjudice esthétique à l’enfant.

Dans toutes ces  situations les assureurs ont conditionné l’indemnisation du dommage à la preuve d’une faute de la part des professionnels en charge des enfants. Dans toutes ces situations il n’y avait aucun défaut de surveillance, mais juste la réalisation d’un risque inhérent à l’accueil en collectivité. Or, c’est le principe de la responsabilité civile sans faute qui devrait s’appliquer. Ce principe a émergé dans une logique de prise en compte de l’intérêt des victimes, il prévaut dans les établissements sociaux et médico-sociaux  depuis le début des années 1990. Il est né du raisonnement selon lequel l’accueil d’un public vulnérable, non autonome qui nécessite un  accompagnement spécifique fait naitre une responsabilité particulière, une responsabilité étendue, à l’égard de l’établissement qu’il accueille.
C’est bien la notion d’absence d’autonomie qui fait peser sur la structure une obligation de sécurité à l’égard du public qu’il accueille. C’est sur ce fondement que  l’accueil en milieu scolaire et périscolaire entraine une  responsabilité plus restreinte : l’école n’engagera sa responsabilité qu’en cas de faute.

Précisons-le, ce principe de la responsabilité civile sans faute n’a émergé dans les établissements sociaux et médico sociaux qu’à la suite de longues procédures judiciaires. Tant qu’une jurisprudence claire n’émergera pas des tribunaux pour les EAJE, nous serons toujours dans l’incertitude de la réponse apportée par l’assureur à la demande d’indemnisation.
 
Article rédigé par : Géraldine Chapurlat
Publié le 24 mars 2019
Mis à jour le 24 mars 2019