La petite enfance face à l’enfant en danger ou en risque. Par Géraldine Chapurlat

Juriste

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enfant tiste avec son doudou
Des enfants en risque, des enfants en danger fréquentent les EAJE, sont confiés à des assistantes maternelles chaque année. Pour prévenir et repérer les carences et maltraitances dont les jeunes enfants sont victimes, les professionnels de la petite enfance sont des acteurs clés du dispositif de protection de l’enfance. Pourtant, il existe encore de grandes réticences de ces professionnels et de véritables freins institutionnels pour actionner ce dispositif. Au vu des nombreuses situations que je recueille au fil de mes interventions auprès de du monde de la petite enfance, j’ai le sentiment que la prise en compte des enfants en risque et en danger pourrait être mieux appréhendée par les acteurs de la petite enfance, mais aussi que les professionnels de la petite enfance pourraient être mieux intégrés au dispositif mis en place pour intervenir au plus tôt auprès des enfants en danger ou en risque.
Face à ces situations auxquelles « on préfèrerait ne jamais être confrontés », la réalité est qu’il pèse sur les professionnels de la petite enfance une très grande responsabilité dans le repérage des situations de mineurs en risque ou en danger hors de la sphère familiale, les acteurs de la petite enfance sont les premiers à être en contact quotidien auprès de ces enfants en situation de maltraitance ou de carences. Accueillir un enfant à propos duquel on a des doutes sur ce qu’il vit chez lui doit être effectivement très compliqué à vivre pour un professionnel dont le cœur de métier n’est pas la protection de l’enfance. Les problématiques de protection de l’enfance ne sont pas qu’une affaire de direction : l’équipe occupe une place privilégiée d’observation de l’évolution de la situation ; elle doit nécessairement être associée aux questionnements et démarches engagés par sa direction.  Faut-il encore que l’équipe libérée d’une certaine culpabilité à transmettre ses inquiétudes.

 Parce qu’au-delà de la difficulté à imaginer les souffrances d’un enfant victime, je crains que des représentations faussées du système de protection de l’enfance, projetant immédiatement un placement de l’enfant aboutissent à des transmissions tardives ou des absences de transmission. En ignorant les mécanismes de soutien à la parentalité, d’assistance éducative à domicile ou de placement à domicile, on se prive pourtant d’une possibilité d’agir avant que la situation ne se dégrade trop.
Je recueille ainsi nombre de situations qui auraient pu faire l’objet d’informations préoccupantes mais qui n’ont finalement pas été transmises : une maman qui fait état lors de l’accueil de son enfant dans la structure d’une très grande détresse psychologique et dont l’enfant présente un comportement qui interroge depuis longtemps l’équipe. Des situations repérées qui inquiètent les professionnels : carences éducatives, défauts de soins, difficultés familiales majeures mises en lien avec des questionnements sur le développement psycho affectif de l’enfant accueilli. Pourquoi franchit-on si difficilement le cap de la transmission d’informations ? En craignant que l’on vienne principalement condamner le dysfonctionnement d’une famille, en oubliant que les mesures de protection de l’enfance vont proposer de l’aide à la famille dans l’éducation de son enfant, les professionnels de la petite enfance craignent-ils d’ajouter des difficultés à ces familles qui sont déjà en très grande difficulté ?

 Loin de moi l’idée de rejeter la faute sur les acteurs de la petite enfance : les réformes successives de protection de l’enfance misaient pour le bon fonctionnement du dispositif de l’information préoccupante sur une politique de maillage territorial qui n’est pas effective sur tous les territoires. Cette connaissance réciproque des acteurs facilite le recours au dispositif de transmission de l’information préoccupante. La confiance dans le fait que la transmission sera bénéfique pour l’enfant et sa famille est essentielle : ne pas connaitre en amont les interlocuteurs et le fonctionnement du dispositif ne facilite pas le recours au dispositif, du moins pour les situations de risque où les acteurs ne caractérisent pas d’urgence à intervenir.
« J’ai réalisé l’IP pour une situation où il nous apparait que l’enfant n’était plus en sécurité dans sa famille. Dans les jours qui ont suivi l’IP la famille a retiré l’enfant de la structure. J’ai su par la suite qu’aucune mesure de protection n’avait été prises et que les conditions de vie de l’enfant demeuraient très préoccupantes » La confiance des professionnels petite enfance envers ce dispositif peut légitimement être mise à mal par des expériences malheureuses où la seule conséquence de la transmission sera la rupture avec le la crèche.
Reconnaitre les professionnels petite enfance dans le processus d’évaluation
« Depuis que j’ai rédigé l’IP, je n’ai eu aucune nouvelle des suites données à notre transmission par la cellule chargée de l’évaluation et du traitement. » Ce type de témoignages, fréquent m’apparait pour le moins surprenant. Le fait est que, dans de nombreux territoires, les cellules de recueil et d’évaluation de l’IP n’associent pas les professionnels de terrain à l’évaluation.  Ces pratiques sont totalement contradictoires avec la législation qui indique que l’évaluation doit s’appuyer sur les avis des professionnels qui connaissent l’enfant dans son quotidien.

On aboutit alors à des évaluations qui ne prennent la parole des professionnels qu’à travers l’écrit de transmission de l’IP. Si l’écrit qui transmet l’IP doit être le plus complet et exhaustif, comment justifie-on de se priver des observations de ceux qui sont restés au contact quotidien de l’enfant et sa famille ? Le processus d’évaluation qui exclut les acteurs de terrain n’est pas conforme à l’esprit de la loi qui souhaitait mettre en place un dispositif d’évaluations croisées entre des techniciens de la protection de l’enfance croisés et les acteurs de terrain. Au-delà de la connaissance des acteurs entre eux, c’est bien la reconnaissance des compétences des professionnels de la petite enfance dans le processus d’évaluation qui doit être reconnue sur tous les territoires.

Triste réalité que de constater que lorsque la transmission de l’IP est réalisée, que l’évaluation met en évidence une carence voire même un danger, il n’est pas encore certain qu’une mesure de protection soit mise en place rapidement. Certains territoires sont en effet confrontés à un tel manque de moyens que les délais pour mettre en œuvre les mesures de protection se comptent en mois… On ne peut que regretter que ce contexte dégradé constitue un facteur non négligeable pour décourager des acteurs de la petite enfance à actionner le dispositif de transmission de l’IP.
On ne peut pas s’accommoder de renoncer à transmettre la situation d’un enfant en danger ou en risque, quel qu’en soit le motif … Pour enfin permettre au monde de la petite enfance de construire des ponts solides avec celui de la protection de l’enfance, je ne suis pas certaine qu’il faille une nouvelle fois réformer les dispositifs de repérage, d’évaluation et de protection de l’enfance. Pour faire émerger une véritable culture autour de l’enfance en danger, un dispositif de formation continue a été prévu par le législateur en 2010 destiné à rassembler médecins, personnels médicaux et paramédicaux, travailleurs sociaux, magistrats, enseignants, personnels d'animation sportive, culturelle et de loisirs et personnels des polices nationale et municipales et de la gendarmerie nationale pour bénéficier de modules de formations communs autour de l’enfance en danger. Notons que ce dispositif a dans la réalité peu été n-ou pas- déployé et que le monde de la petite enfance n’avait pas été spécifiquement désigné comme cible pour cette formation pluridisciplinaire…
La solution est peut-être là…Donnons-nous enfin les moyens de faire émerger une culture de la protection de l’enfance en associant le monde de la petite enfance à un dispositif de formation pluridisciplinaire ambitieux.


 
Article rédigé par : Géraldine Chapurlat
Publié le 23 février 2021
Mis à jour le 23 février 2021