Qui l’avait en premier ? Par Jean-Robert Appell

Educateur de jeunes enfants, formateur à L'association Pikler-Loczy

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Disputes-crèches
C’est la phrase fatidique.  « Qui l’avait en premier ? ». Il faut dire que ça fait un petit moment que ces deux enfants d’environ deux ans se disputent le même jouet, ils le tirent chacun de leur coté en regardant l’adulte, des larmes plein les yeux. Qui l’avait en premier leur demande celui-ci, « moi » répondent en chœur les deux enfants. Ils pourraient répondre : « moi, je le veux en premier » tellement cette phrase est compliquée pour eux.
En effet, pour être le premier ou le deuxième, il faut être bien « individué » dans son développement, il est nécessaire d’avoir une bonne conscience de « moi » différent de l’autre. A deux ans, c’est bien avancé mais pas encore suffisant. Le travail de différenciation se fait progressivement lors des trois premières années de la vie de l’enfant jusqu’à ce qu’il puisse dire : « toi tu » et « moi je », ici, nous avons de la marge. Les comparaisons entre enfants se font plutôt après trois ans.

Le « premier » est une notion trop complexe pour les tous petits, il leur est très difficile de répondre à cette question. De plus, qui avait le jouet en premier, quand ? Le matin en arrivant, juste dix minutes avant ? Qui l’avait lorsque l’adulte avait le dos tourné et ne voyait rien de la situation?
Le problème, c’est que l’adulte s’érige en juge suprême qui va décider qui l’avait en premier, ce fameux jouet qui commence à bien nous occuper. Peu importe que ça ne rencontre aucune réalité chez l’enfant et peu importe qu’en faisant cela, il « choisisse » un des deux enfants, ce qui peut créer beaucoup de frustration chez celui qui, justement ne l’est pas. Voilà comment un adulte souvent bienveillant prépare les futurs conflits entre les enfants.

Le mieux, c’est de laisser tomber l’idée, pas les enfants. C’est là que les jouets identiques possèdent des vertus intéressantes. « Je ne comprends pas bien ce qui se passe entre vous mais là, vous avez le même jouet », avec un peu de chance, chacun aura le sien.
Il est aussi possible de les laisser tranquillement vivre leur conflit sous réserve qu’ils ne se font pas mal ou qu’ils ne sont pas « coincés » dans leur conflit. Après tout, le conflit possède des vertus intéressantes du point de vue de la socialisation, le conflit n’est-il pas l’affirmation de soi et la découverte de la différence de l’autre ?

Surtout, nous pouvons éviter de prendre le jouet des mains d’un enfant en lui disant : « je ne veux pas que tu prennes les jouets des mains ». Cela s’appelle un paradoxe, pour les enfants, c’est très difficile à vivre !

 
Article rédigé par : Jean-Robert Appell
Publié le 09 mai 2017
Mis à jour le 12 juin 2023
Portrait de Lizzy
le 31/07/2017 à 16h11

Vivement la prochaine chronique ! :-) Merci