De l’Itinérance Ludique© à la Ludocrèche© . Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

A la lecture du récent décret sur les établissements d’accueil du jeune enfant, nous constatons que dans l’esprit du législateur, comme dans celui de la majorité des professionnels, les crèches restent organisées en unités, terme remplaçant celui de sections. Le lexique militaire demeure vivace dans les crèches... Une unité donc, est définie comme étant : « un espace aménagé pour offrir de façon autonome aux enfants qui y sont accueillis l’ensemble des prestations et des activités prévues par le projet d’établissement. » L’idée est de diviser les enfants pour les « installer » dans des unités spécifiques dans lesquelles ils doivent trouver la réponse à l’ensemble de leurs besoins. Mais, comme il est difficile de répondre à tous les besoins de plusieurs enfants sur un même petit espace, cela pose des problèmes insolubles d’organisation et a des effets sur les enfants, notamment en termes de réduction des explorations et des relations et donc des apprentissages.  

Avant tout il y a le jeu. Comment faire autrement et permettre à chaque enfant de choisir où jouer dans la crèche, avec qui et comment, sans avoir à décider pour lui dans quelle unité l’accueillir, en fonction de son année de naissance, de son développement ou tout simplement de la place disponible ? La solution est d’éviter ces divisions de crèche en unités et de considérer la crèche, quelque soit sa taille et le nombre d’enfants qu’elle accueille, comme une seule et même entité dans laquelle tous les enfants peuvent évoluer.
C’est ce que propose la pédagogie de l’Itinérance Ludique© en créant la ludocrèche©, c’est à dire une structure dans laquelle le jeu est premier, prend le plus de place, est le plus visible et occupe la plus grande partie du temps que l’enfant passe à la crèche.  Ce sont des crèches qui, actuellement, correspondent le plus à la réalité des jeunes enfants. Alors que les crèches du passé s’occupaient d’ accueillir des enfants en essayant de créer une réplique soit de la maison, soit de l’école, la crèche, organisée avec la pédagogie de l’Itinérance Ludique, prend son indépendance éducative en proposant autre chose. Elle  inscrit dans la construction de ses espaces sa mission principale :  veiller non seulement à la santé et à la sécurité des enfants, mais aussi à leur bien-être et à leur bon développement physique, psychologique, affectif et social. Or il n’y a que le jeu qui permet à des enfants si jeunes de s’épanouir et aux professionnels de participer à leur éducation en leur permettant l’aventure favorable à leurs premiers apprentissages.

Construire autrement. En construisant des crèches adaptées à la pédagogie de l’Itinérance ludique©, on s’éloigne de la représentation scolaire des lieux d’accueil des jeunes enfants. Les unités d’accueil et/ou sections qui étaient le pendant des classes et des sections de maternelles, n’existent plus. Les enfants n’appartiennent plus à un groupe encadré par une, deux ou trois personnes, mais sont les enfants de la crèche entière. L’alternance entre des activités libres de type récréation et des activités dirigées de type travail n’existent plus. Les adultes soutiennent les activités des enfants, à tout moment, en tenant compte de leur mobilité, de leurs choix, de leurs allers et retours, de leur itinérance d’un univers à un autre.  Les regroupements pour écouter l’adulte ou pour aller aux toilettes ou encore pour passer à table n’existent plus. Tous les espaces étant accessibles, l’adulte n’est plus ni un garde barrière, ni un portier. Cette liberté de circulation des enfants, de leurs mouvements et de leurs choix, permet d’éviter les attroupements ainsi que les bousculades devant les barrières et les portes pour être les premiers au moment de leur ouverture. Chacun est libre dans un cadre sécurisé et sécurisant, donné par une construction architecturale bien pensée.

Travailler autrement. La question de la nécessité des cloisons ou portes de séparation des différents univers ludiques se posent alors. En fait, y a-t-il un intérêt à cloisonner pour ensuite envisager le décloisonnement selon un programme d’ouverture et fermeture géré par les professionnels de la crèche ? Lorsque le professionnel est prêt à « ouvrir » un univers ludique, il dispose les objets choisis pour les jeux des enfants et s’installe dans l’espace prévu. Dans une crèche sans portes ni cloisons, les enfants comprennent aussitôt que cet espace est intéressant et s’y rendent volontiers. Ils peuvent s’éloigner avec les objets ludiques et jouer avec eux dans un autre univers, également installé. Mais peu d’entre eux, hormis les plus âgés, ceux qui vont bientôt partir à l’école, investissent les espaces ouverts sans univers ludiques.
Sans cloisons ni portes entre les différents univers ludiques, la crèche est plus ouverte, l’ensemble des possibles se distingue mieux et les enfants envisagent automatiquement leurs choix ludiques possibles. Pour autant, il est important que la crèche ne soit pas une grande pièce vide, sorte de hall de gare surdimensionné, froid, et insécurisant. Pour cela, l’architecte doit envisager sa construction comme un réel espace ludique avant même que le moindre jeu n’y soit installé.

La crèche est un emballage cadeau.Dans le même esprit qui nous pousse à constater que les jeunes enfants jouent bien plus avec le carton d’emballage ou la ficelle du cadeau qu’avec le jeu qui se trouve à l’intérieur, il est nécessaire que la crèche soit le carton d’emballage et la ficelle avec lesquels l’enfant peut déjà jouer. L’architecture de la crèche devient donc cet emballage ludique dans lequel le ruban de l’Itinérance ludique© se met en place, au fur et à mesure des arrivées des professionnels et donc de leurs disponibilités à installer des univers avec des objets ludiques.
Nous avons tout à gagner en changeant les programmes architecturaux des nouvelles ouverture d’établissement d’accueil du jeune enfant, que ce soit des micros-crèches, des petites ou des grandes crèches, faisons des emballages cadeaux avec lesquels les enfants vont jouer.


 
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 05 septembre 2021
Mis à jour le 05 septembre 2021