Eh oui...Les jeunes enfants ont des parents  . Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

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Dans la petite enfance, le plus difficile n’est pas de s’occuper d’un petit, mais d’accompagner ses parents. Voilà ce que disent souvent les professionnels qui doivent  s’adapter non seulement à chaque enfant, mais aussi à tous les parents. Cela est très prégnant dans une crèche, même si « l’institution » constitue un rempart protecteur que l’accueil à domicile n’offre pas toujours.  
A la crèche il faut accepter les parents qui se sont battus pour obtenir une place dans cet accueil collectif et s’en sentent privilégiés, tout en restant centrés sur eux-mêmes et sur leur « petite merveille », n’acceptant ni les contraintes, ni obligations. Avec beaucoup de gentillesse, ces parents sont qualifiés « d’exigeants » par les professionnels. Dans la réalité ils sont dominateurs, ne supportent pas que leur enfant leur échappe et souhaitent tout contrôler. Leur crédo est qu’ils estiment payer suffisamment la crèche pour qu’on exécute leurs souhaits et applique leurs choix d’éducation et de soin.
Les difficultés autour des repas en sont de bons exemples :  certains parents demandent que leur enfant mange, même s’il n’a pas faim ou n’apprécie pas le repas. Pour eux la crèche ne devrait présenter que des mets acceptés par l’enfant, mais ils demandent aussi qu’elle respecte les préconisations du PNNS concernant la diversification alimentaire ! Ils estiment payer pour que les professionnels résolvent cette équation impossible. 
D’autres  parents veulent que leur enfant mange des morceaux car leur pédiatre leur a assuré qu’il en a l’âge.  Donc l’équipe de la crèche doit trouver les moyens de lui faire avaler des morceaux alors qu’à la maison, comme à la crèche, la purée est la seule texture acceptée par l’enfant.  Pour les parents, les professionnels sont payés pour résoudre ces difficultés. Certains d’entre eux insistent pour que leur enfant n’ait que du lait « bio », même s’ils doivent l’apporter eux-mêmes. Encore une occasion de se plaindre du tarif ! D’autres, ou les mêmes parents, veulent de l’eau « bio » (qui, bien entendu, n’existe pas), celle du robinet ne correspondant pas à leur standing. D’autres encore, ou les mêmes, encore, réclament qu’un médecin nutritionniste viennent contrôler les repas, car ils estiment qu’à ce prix-là, ce serait la moindre des choses ! Pour ces parents, les professionnels ne sont perçus que comme des « exécutants ».
 D’ailleurs, autre exemple, de quel droit ces derniers se permettent-ils de leur demander d’aller chez le médecin lorsque leur petit présente un bouton suspect ? De l’impétigo ? Non juste un « pied-mains-bouche » ! On leur fait perdre non seulement leur argent, mais aussi leur temps ! Pour ces parents, les autres n’existent pas, comme si la collectivité n’était prévue que pour leur enfant. C’est pour cette raison qu’ils demandent que leur petit participe à toutes les activités, à toutes les sorties, à toutes les animations…Ils paient pour ça !

Les professionnels ont aussi à s’adapter à d’autres types de parents : ceux qui aiment la crèche, mais pas ses règles. Ce sont ceux qui ne sont jamais au courant de rien, qui sont en retard, oublient toujours le doudou, la sucette, le change, ceux qui ne lisent ni les panneaux d’affichage, ni les mails, et ne retiennent pas ce qui leur a été dit, qu’ils traduisent d’ailleurs par : « personne ne m’a informé que la crèche était fermée pour journée pédagogique ! » Ce sont des originaux ou des parents un peu lunaires, un peu perdus. Ils sont épuisants pour les professionnels qui, pourtant, les apprécient.

Il y a aussi ceux qui ont peur de tout. Ils ont peur que leur enfant soit malade : un rhume est une catastrophe, qu’il attrape des microbes : ça va être difficile d’y échapper, ou qu’il se fasse mal : la aussi ce n’est pas gagné ! Ils ont peur qu’il soit mordu : la crèche n’est tout de même pas un chenil disent-ils, ou frappé par un autre : « j’espère qu’il se défend au moins, puisque vous ne pouvez pas les surveiller correctement » ajoutent-ils !  Si leur enfant a le malheur de se faire une bosse trois jours de suite, c’est que : vraiment il y a un problème dans cette crèche, finissent-ils !

Sans compter les parents qui trouvent qu’on ne prépare pas bien leur enfant (ou eux-mêmes ?) à l’école puisqu’on ne leur propose pas d’activités scolaires ou périscolaires : des cours d’anglais, des séances de lecture ou même de pot :  Oui car comment se fait-il qu’à la maison il est propre et pas à la crèche !? « Car enfin, avec vos idées Montessori, c’est bien beau l’autonomie, mais ce n’est pas ça qui va le rendre propre », assènent-ils !

Ceci n’est pas une coïncidence et correspond bien à de vrais personnages et à des situations vécues par des professionnels.

Alors comment s’adapter  à tous ces parents ? Comment continuer à « bien accueillir » et à « bien accompagner » chaque famille ? En relativisant, en prenant du recul, en comprenant que derrière autant de parents aux comportements exigeants, détachés ou angoissés, il y a tout simplement des parents qui ne savent pas, qui doutent, qui n’ont pas vraiment confiance en eux et ne peuvent donc pas apprécier la juste valeur de cet accueil éducatif. Pour les parents, s’il y a un problème, il ne peut venir que de la crèche…Devenue un service aux familles, cette dernière est alors évaluée selon son coût, lui-même mis en rapport avec le service rendu !

Du coup de quel service s’agit-il ? Pour les enfants il s’agit toujours de les accueillir, de les accompagner dans leurs apprentissages, dans leur développement et donc de leur donner un environnement éducatif propice. En ce sens les équipes font des choix : d’organisation, de pédagogie, de jeux, de repas, de matériel, etc. Ces choix ne peuvent pas être remis en question par des parents ayant des idées personnelles différentes. Seuls les professionnels sont capables d’organiser cet environnement adapté à chaque enfant et à tous les enfants. Ils peuvent douter de leurs choix, y réfléchir à nouveau, en changer, mais leur ligne de conduite ne doit pas être dictée par les parents. Pour les parents il s’agit de les accompagner et de les soutenir dans leurs fonctions parentales, ce que l’on appelle la parentalité et qui correspond à les aider à prendre confiance en eux, à les écouter, à les valoriser et à répondre à leurs interrogations. Les professionnels agissent alors avec patience, calme et courage, en tenant compte de ce qu’ils perçoivent pour répondre à ces parents.  Cela donne : « oui vous avez raison, il peut manger des morceaux, mais il ne les apprécie pas pour le moment, alors peut-être pouvons-nous les lui présenter chaque jour pour qu’il s’y habitue et lui donner encore un peu de purée s’il a faim ? »
Pour être en capacité de faire ainsi, il faut que les professionnels aient des espaces de décompression où ils peuvent pleurer, rire, se plaindre de ce que certains parents leur font subir, et aussi relater les bonnes relations qu’ils ont avec les autres. Car finalement dans une crèche, c’est comme avec les trains, on se plaint des deux ou trois parents qui posent problème, alors qu’avec la majorité d’entre eux tout se passe très bien.


 
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 06 octobre 2021
Mis à jour le 06 octobre 2021