Faut-il poursuivre les premières habitudes des jeunes enfants ? Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

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bébé dans transat
Nombre de professionnels de la petite enfance ont du mal à se détacher de l’idée que dans le mode d’accueil qu’il propose, il leur faille poursuivre les premières habitudes de l’enfant, celles prises à la maison. Ainsi, lorsqu’un bébé a été souvent installé dans le hamac d’un transat chez lui, les professionnels remarquent qu’il se calme mieux dans ce dernier et justifient de l’y déposer par le fait que cela constitue son habitude et qu’ils ne font que poursuivre ce que l’enfant connait déjà avec ses parents.
Cela pose évidement la question du rôle des professionnels et celle de la mise en conformité de leurs connaissances sur les jeunes enfants avec leurs pratiques.

Si l’on part du principe que le rôle des professionnels de la petite enfance est de poursuivre l’éducation proposée à la maison, cela les place alors dans une mission de substituts parentaux, pour laquelle le libre arbitre ou le libre choix éducatifs ne tiennent que peu de place. L’idée est ici que les parents de l’enfant dictent au professionnel la bonne façon de s’occuper de leur enfant, associé à leur désir de voir se poursuivre cette éducation en leur absence. Cette position peut se rencontrer aussi bien à la crèche que chez l’assistante maternelle, mais elle est encore plus prégnante chez cette dernière qui est l’employée du parent. Elle contribue à reléguer l’intervenant au rang de non professionnel, ce qui est souvent le cas des baby-sitter et des gardes à domicile. C’est donc une position difficile à tenir, peu professionnelle, et qui, même si elle présente l’avantage dans un premier temps de rassurer les parents ou de leur faire plaisir, ne peut se poursuivre car elle devient vite inconfortable et particulièrement ingrate, voire désobligeante, reléguant les personnes qui exercent ces métiers à de simples exécuteurs. L’histoire des nourrices sur lieu et des berceuses de crèches montre à quel point ces « servantes » ne bénéficiaient d’aucune considération de la part de leurs « patrons ».

Alors que si l’on part de l’idée que la mission des professionnels est de toujours créer un environnement favorable au développement de chaque enfant, à son bien-être et à ses apprentissages dans tous les domaines, alors la situation est toute autre. Les professionnels doivent s’appuyer sur leurs formations et mettre en place les conditions apprises pour proposer à l’enfant des pratiques adaptées. Dans notre exemple, chaque professionnel sait que l’utilisation d’un transat ne permet pas au bébé de développer ses expériences motrices et le bloque dans une position peu ergonomique et peu stimulante, risquant à terme de contribuer au développement d’une plagiocéphalie et d’un retard de possibilités motrices et d’apprentissage du repérage du corps dans l’espace. La poursuite de l’habitude parentale n’a donc ici aucun sens et ne sert qu’à rassurer les adultes, professionnels comme parents qui constatent alors que le bébé pleure moins. Mais cette victoire est celle des adultes et non celle  de l’enfant qui, par ailleurs, aurait pu être apaisé autrement, avec des professionnels plus enclins à faire correspondre leur savoir sur le développement de l’enfant avec une pratique plus adaptée, comme par exemple, une alternance entre la prise dans les bras, le portage, et des jeux accompagnés sur un tapis. Dans cette situation, le professionnel fait alors son vrai travail auprès de l’enfant et y associe les parents pour chercher à développer chez eux un nouveau savoir sur leur enfant et des pratiques éducatives plus adaptées.

Evidement cela demande de créer des relations de partenariat éducatif avec les parents, sans verser dans le risque de se placer comme sachant ou comme professeur, à leur endroit. C’est-à-dire en veillant à ne pas inverser le rôle de la première situation, celle du parent dictant la bonne pratique, à un rôle de professionnel omnipotent, faisant figure de spécialiste auprès de parents béotiens en la matière. Toute la difficulté du métier est ici représentée, à savoir être en capacité de  défendre  « les intérêts développementaux » d’un enfant tout en embarquant ses parents sur ce chemin, sans pour autant ni les juger ni les éduquer, mais en les conviant à un partage de connaissances et de pratiques.

Lorsque cela est bien fait,  le professionnel de la petite enfance devient une personne ressource pour les parents qui le considèrent alors à sa juste valeur, c’est-à-dire non pas comme un substitut parental ou un donneur de leçon, mais comme un vrai professionnel avec les qualités réflexives, éducatives, relationnelles et techniques que requièrent ces métiers. Les parents sont rassurés à plus long termes, se trouvant épaulés dans l’éducation de leur enfant.

En tant que professionnel de la petite enfance, prendre le parti de poursuivre une habitude éducative parentale avec pour soi-disant objectif de bien traiter l’enfant est une fausse bonne idée et représente également une erreur du point de vue développementale. En effet, d’une part le bébé n’a encore que très peu de temps de vie et donc d’arriérés  d’habituation, son cerveau est ultra plastic et prêt à faire toutes les connexions cérébrales nécessaires à une multitude d’apprentissages différents. Et d’autre part, le fait de rencontrer des environnements proposant des situations et des pratiques différentes contribue au contraire à lui faire envisager le monde selon plusieurs points de vue, ce qui est forcément bénéfique. Rappelons ici que ce n’est pas une habitude reproduite par plusieurs adultes qui sécurise le mieux un enfant mais bien un adulte auprès duquel il repère des interventions similaires et régulières, c’est-à-dire prévisible. Alors en tant que professionnel, soyons prévisibles en adoptant de bonnes pratiques d’accompagnement des jeunes enfants.

 
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 31 janvier 2022
Mis à jour le 31 janvier 2022