L’enfant auteur de son jeu. Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

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petitez fille joue
Le jeu n’est vraiment jeu que lorsqu’il est libre et produit par l’enfant, sans contraintes ni consignes. Car comment pourrait-on se mettre dans la tête d’un jeune enfant, d’un bébé, pour savoir comment jouer ? Ce qui intéresse et attire un petit, comme taper deux cuillères en bois l’une sur l’autre, ne nous vient pas, ou plus, spontanément à l’esprit. Transvaser des centaines de fois du sable ou de la semoule d’un récipient à un autre et l’étaler sur le sol ne nous inspire pas ou plus. Il nous faut un but, une signification : rempoter des fleurs ou étaler des graviers dans une allée a du sens pour nous, mais farfouiller dans la terre sans but précis nous semble bien inutile. Or, c’est tout l’inverse pour le bébé. Il cherche à comprendre les éléments en les manipulant, en les associant, mais sans finalité ! Il écrase la pâte à sel, lance les objets, met tout dans sa bouche, vide les tiroirs et les étagères de leur contenu. C’est bien que pour lui les intérêts ludiques sont bien différents des nôtres.

Il est entièrement tourné vers la découverte, l’exploration, l’expérimentation, sans but apparent, mais pas sans utilité ni sans importance. Au gré de ses manipulations, il découvre des caractéristiques physiques, des propriétés attendues ou ignorées des objets, des matières qu’il manipule. Il recommence alors tel un chercheur souhaitant valider sa découverte, la transformant d’hypothèse en certitude. Il voyage comme les princes de Serendip d’un objet à un autre et ne cesse de collecter des indices qui, à priori, sont sans rapport, mais lui permettent de faire de nouvelles découvertes inattendues.

De ce fait, nous comprenons qu’il est impossible d’orienter le jeu du jeune enfant et de le considérer uniquement comme un acteur. En effet, il n’en est pas seulement l’acteur, mais aussi l’auteur. C’est lui qui écrit le scénario qu’il joue, dans une sorte d’improvisation guidée pas ses ressentis, ses émotions et sa curiosité naturellement très forte. L’adulte n’est donc pas le metteur en scène du jeu de l’enfant, mais de son environnement. Il met en scène l’environnement qu’il crée pour l’enfant et dans lequel celui-ci va pouvoir écrire et jouer son jeu. L’enfant arrive toujours dans un environnement donné. Lorsque ce dernier est sécurisé, ordonné et attractif, alors il se jette dans le jeu : il déballe, découvre, manipule, assemble, etc. A l’inverse lorsque l’environnement est surchargé, désordonné, éparpillé, ou insécurisé, l’enfant a du mal à voir ce qu’il peut faire, il est perdu et ne peut pas se lancer dans l’aventure. Remettre en ordre l’environnement est alors nécessaire, indispensable, pour que l’enfant puisse remettre en scène son jeu.

Les professionnels de la petite enfance sont les spécialistes de l’environnement du bébé. Ils s’inspirent de ce que font les petits dans leurs jeux pour leur proposer des organisations d’environnements adaptés dans lesquels ils peuvent jouer librement et interagir ensemble. Il est impossible en petite enfance d’avoir des objectifs liés aux jeux des enfants en dehors de cette liberté donnée, de cette Itinérance Ludique organisée. Il est impossible dans la petite enfance de demander aux enfants de construire des produits finis ou d’espérer leur faire faire des travaux spécifiques, ni même de penser que telle activité doit être faite, plutôt que telle autre. Tout passe par l’environnement, de manière implicite, mais réfléchie et adaptée.

La question que doit se poser tout professionnel de la petite enfance est celle-ci : « mais que vont-ils bien faire avec ce matériel ou ces objets, cet environnement, cet univers ludique que je viens d’installer pour eux ? » Les bébés montrent le chemin, ils enseignent les adultes sur la manière dont ils jouent, sur ce qui les intéresse et ce qu’ils apprennent. Une feuille est un objet intéressant, elle change de forme lorsqu’on la chiffonne et, comble d’étonnement, elle se déchire : elle se transforme en créant d’autres objets distincts…Le bébé découvre de façon inattendue, par sérendipité, des propriétés bien plus importantes que ce à quoi il s’attendait. Mais il ne peut le faire que si les adultes qui l’entoure ont compris l’intérêt que cela revêt pour lui. Si ces derniers préfèrent lui demander de faire un dessin et surtout n’acceptent pas que la feuille soit abîmée car cela compromet le dessin, alors aucune sérendipité n’est possible. Le chemin est tout tracé et les découvertes sont orientées, minimisées et seul le plaisir de l’adulte compte.

Or, le plaisir de la découverte est la motivation de la recherche. Le jeu lui-même n’est pas forcément pur plaisir. Les petits sont souvent confrontés à l’échec dans l’écriture de leurs scénarios ludiques. Ils échouent à faire entrer un gros objet dans un petit contenant ou à monter sur une hauteur encore inaccessible et cela peut les frustrer, les contrarier et les mettre en colère. Le plaisir viendra de la réussite : rencontrer une boite plus grosse ou trouver un marchepied. Il n’est pas nécessaire de leur dire qu’ils peuvent utiliser un plus gros contenant, juste vérifier qu’il en existe bien un pas très loin dans leur environnement. Il n’est pas non plus nécessaire de les installer sur la hauteur inaccessible ou de leur fournir le marchepied possible, juste s’assurer que l’environnement en contient. Les bébés apprennent de leurs échecs comme de leurs réussites. Les autoriser à se fâcher lorsqu’ils n’y arrivent pas en montrant notre compréhension et en leur assurant que cela n’est que passager suffit à les rassurer, à les calmer. Le mystère de la hauteur ou de la boite demeure encore quelque temps…Mais l’être humain n’a de cesse que de chercher à résoudre des mystères…

Les petits apprennent le fonctionnement du monde, de ses lois, de ses régularités et aussi de ses mystères. Mais ils ne le font pas seuls. Ils ont besoin de la présence des adultes, des professionnels qui installent leur environnement et qui les regardent inventer leurs jeux en les soutenant, les accompagnant avec attention et affection.


 
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 28 août 2020
Mis à jour le 28 août 2020