Les parents « clients ». Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

David ADEMAS
petite fille à la  crèche
Michel Vanderbroeke  est l’un des chercheurs en pédagogie qui sonnent l’alarme de la marchandisation de l’accueil et de l’éducation des jeunes enfants. Avec ses collègues, il perçoit le risque d’une gouvernance exclusive par la question économique et non selon des principes éducatifs affirmés au niveau national. Il est vrai que les nouvelles places d’accueil créées en France le sont principalement par les entreprises du privé lucratif, largement soutenues par les fonds publics lorsqu’il s’agit de crèches en PSU. Mais ce sont plutôt les micro crèches qui tirent leur épingle du jeu et poussent comme des champignons tant elles sont plus faciles à mettre en place. Moins de tracas administratifs et plus de rapidité au niveau de leur rentabilité les rendent attractives pour de nouveaux gestionnaires souhaitant investir sur ce « marché ».
Dans ces crèches les parents paient une participation bien plus importante que dans les crèches régulées par la PSU qui pratiquent de façon obligatoire des tarifs fixés en fonction des revenus et de la composition de la famille.  Faute de place dans les crèches PSU, qui ont des critères d’admission très orientés socialement, les micro crèches offrent aux familles plus aisées une vraie solution à la fois adaptée à leurs besoins et aussi très appréciée. La Paje de la CMG structure permet de réduire le coût financier pour les parents, bien que ce dernier reste élevé.

De ce fait un autre biais s’amorce aujourd’hui dans ces crèches : celui de la revendication parentale basée sur l’argent. Une autre sorte de marchandisation en quelque sorte, qui dépend moins des gestionnaires que d’un fonctionnement sociétal globale. Car, mis à part certains grands groupes de crèches qui, régulièrement, défraient la chronique par leurs écarts inadmissibles, la grande majorité des gestionnaires misent sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants dans un esprit de concurrence par le haut. Les locaux, la qualité des projets pédagogiques, les formations, la qualité de vie au travail des professionnels et les relations avec les parents sont des axes de recherche et de développement devenus aujourd’hui nécessaires, voire indispensables, pour perdurer dans ce milieu. Après une période difficile de mise en place du privé ces quinze dernières années, l’évolution va plutôt dans le bon sens, pour offrir aux enfants et aux équipes des environnements d’accueil et de travail agréables, visant la haute qualité éducative, et non uniquement les gains.  Or, pour les parents, c’est une autre histoire : certains estiment que payer cher un mode d’accueil les place de fait dans une position de « clients » exigeants, devant pouvoir obtenir ce qu’ils demandent.
Par exemple tout changement de personnel est vécu comme un défaut du gestionnaire, alors même que le contexte social est difficile et que les personnes exerçant ces métiers sont jeunes et volatiles. Les professionnels sont scrutés à la loupe : expérience, diplômes, comportements, etc. à tel point que des professionnels n’ayant « que » le diplôme d’accompagnant éducatif petite enfance sont parfois perçus par les parents comme des « stagiaires » et non comme de vrais professionnels. Ces parents jugent qu’au prix où ils paient la crèche, il est normal que des personnes au métier plus noble, à leurs yeux, s’occupent de leur enfant.  
Autre exemple : puisqu’ils paient la crèche chère, ils pensent qu’ils doivent pouvoir décider de l’organisation pédagogique de la crèche ou que leur enfant doit être en mesure de bénéficier de soins supplémentaires ou en rapport avec leurs propres choix : avoir par exemple la couche changée toutes les heures, ou décider que les enfants doivent manger tous ensemble en même temps parce que cela les prépare mieux à l’école…Lorsque les professionnels expliquent que cela n’est pas très intéressant pour un enfant de passer sur la table de change toutes les heures, surtout s’il joue, le parent le traduit par un choix économique du gestionnaire cherchant à contrôler son budget couche. Et lorsque les professionnels argumentent leur organisation pédagogique afin de veiller à laisser des choix aux enfants sur le moment de passer à table pour leur permettre d’appréhender une certaine autonomie, leur permettant en cela d’être en capacité de bien accompagner chacun d’entre eux individuellement, les parents pensent que l’équipe n’est pas assez fournie en personnel et que le gestionnaire fait une économie supplémentaire, sur leur dos évidement.  Ce qui est faux puisque les taux d’encadrement sont extrêmement bien suivis dans ces crèches et qu’ils sont, le plus souvent, au-dessus de la norme avec 4 professionnels présents pendant l’heure du repas pour 12 enfants maximum dans les micro crèches.

Certes,  tout n’est pas rose et facile, dans aucune crèche, quelque soit le gestionnaire, privé, associatif ou public, et le taux d’encadrement de 1 professionnel pour 6 enfants et sans doute trop élevé. Mais il est certain que ce sont bien tous les enfants qui doivent bénéficier des mêmes chances dans les modes d’accueil du jeune enfant. Ce n’est pas parce que certains parents paient plus, ont plus de moyens financiers, que leurs enfants doivent avoir de meilleurs soins ou une meilleure éducation. Leurs demandes, leurs exigences devrait-on dire, même si elles sont le reflet d’une certaine forme de représentation sociétale qui voudrait que les plus riches bénéficient de plus, n’ont pas lieu d’être dans la petite enfance. Les professionnels accompagnent tous les enfants de la même façon, non pas en tenant compte des revendications et des récriminations de leurs parents, mais bien en suivant les signes montrés par l’enfant lui-même, ses besoins et ce qui est le mieux pour lui, sur le moment.

A force d’exiger plus, soit-disant parce qu’ils paient plus qu’en crèche publique, ces parents usent aussi le moral des professionnels et les placent dans une position délicate. Ces derniers doivent-ils suivre le désir parental pour s’affranchir de leurs reproches, ou peuvent-ils mettre en place le projet d’accueil et le projet pédagogique de la crèche qui tient compte de l’enfant et s’appuie sur leur professionnalisme ? Le travail des manageurs actuels est de sécuriser les équipes dans leurs capacités et leurs compétences professionnelles auprès des enfants et, malheureusement, cela se fait aussi parfois contre les parents, à qui il faut rappeler la place qu’ils occupent dans la crèche, moins clients que parents.

Michel Vanderbroek émet l’idée que, faute de projet social global, l’éducation de la petite enfance reste à un niveau familial ou individuel dans lequel chacun cherche à tirer son épingle du jeu sans que les enfants y soient gagnants. Ce n’est sans doute pas tant la marchandisation qui empêche la qualité de devenir une préoccupation constante et générale, mais bien l’absence de ce projet. Amorcé par la charte nationale d’accueil du jeune enfant, ce projet n’en demeure pas moins une simple ébauche et non un vrai chemin pour l’éducation de la petite enfance.


 
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 05 mars 2023
Mis à jour le 05 mars 2023