Libre ! Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

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bébé en motricité libre
Par les temps actuels ce mot : « libre » résonne comme une chanson douce, une espérance incertaine, un vœu lancé à tous. De ce fait il semble opportun de se le réapproprier au niveau de l’éducation des jeunes enfants. Par le passé, des pédagogues connus et reconnus ont su décliner ce terme de différentes façons. Chacun, ou plutôt chacune, a apporté sa pierre à l’édifice d’une éducation plus libre et plus adaptée au développement des plus petits, concrétisant ainsi l’espoir de Janusz Korcszak de voir le respect des jeunes enfants devenir la norme éducative.

La liberté de bouger. Emmi Pikler a insisté sur la liberté de mouvement des jeunes enfants. Rejetant les langes des emmaillotements qui faisaient ressembler les bébés à des momies, elle a rendu possible l’observation de la motricité des petits, ainsi libérés. Depuis, et grâce à elle, nous savons que tous les jeunes enfants passent à peu près par les mêmes stades de développement moteur. Allongés sur le dos, ils se rassemblent en rejoignant leurs bras et leurs jambes, apprennent avec beaucoup d’efforts et après de nombreux essais à se tourner sur les côtés, puis du dos sur le ventre et du ventre sur le dos. De la position ventrale, ils peuvent s’appuyer sur les bras pour se soulever et reculer, puis envisager de pousser sur leurs jambes pour avancer en rampant. Ce n’est qu’après ce stade, qu’ils se hissent sur les genoux et les mains pour un quatre pattes qui les mène à la position assise. Ils finalisent leurs quatre pattes en grimpant partout et en se mettant debout, trouvent leur équilibre et expérimentent la marche, une des caractéristiques humaines que nous partageons avec quelques autres animaux, également bipèdes. Ce qu’aujourd’hui nous appelons la « motricité libre » du bébé, correspond au fait de lui permettre de se développer normalement, sans brûler les étapes et sans en occulter aucune, en l’accompagnant au mieux par un aménagement de son environnement rendu propice à ses expériences et ses explorations. Une liberté des plus importantes car elle conduit à un bon repérage du corps dans l’espace, une bonne coordination des mouvements, de bons appuis, un bien-être dans un corps unifié et structuré qui permet au cerveau de se lancer dans d’autres apprentissages nécessitant tout autant coordination et structure, comme la lecture ou l’écriture. Le slogan d’Emmi Pikler : « Regardez ce que votre bébé sait faire », s’appuie donc sur la confiance que l’adulte porte à l’enfant pour son développement moteur.

La liberté de choisir. Maria Montessori s’est, quant à elle, obstinée à prôner l’autonomie de l’enfant comme une liberté de choix. Reprenant elle aussi cette notion de développement naturel de l’enfant, elle observe des périodes sensibles d’apprentissages, communes à tous les enfants, un peu comme les stades moteurs précédents. Elle définie la période sensible du langage, qui permet à l’enfant d’apprendre naturellement à comprendre et à parler les langues qu’il entend, sans effort et sans avoir besoin qu’on lui enseigne. La période du mouvement, lorsque l’enfant est poussé sans cesse à bouger et qu’il apprend tout par l’action de son corps. La période des sens, qui le pousse à explorer le monde qui l’entoure par ses manipulations, en utilisant l’ensemble de ses capacités sensorielles. Celle des petits objets, pendant laquelle l’enfant est fasciné par l’ensemble des détails de son environnement. Celle du comportement social, qui le plonge dans les relations avec les autres, et enfin celle des images, qui le conduit à l’apprentissage de la lecture. Ainsi Maria Montessori a proposé une pédagogie basée sur l’observation de l’enfant, dans sa globalité, afin de construire pour lui des environnements favorables à son autonomie. Pour elle, cette autonomie se conçoit par le fait que c’est à l’enfant de faire ses propres expériences, en investissant librement les « ateliers » qu’il souhaite. La liberté d’agir de l’enfant, selon Maria Montessori, souvent rappelé dans ce slogan : « Aide-moi à faire seul » s’appuie sur sa liberté de choix et sur le fait que seul l’enfant sait ce dont il a besoin pour progresser.

La liberté d’interagir. Plus près de nous, Mira Stambak et son équipe de chercheurs ont montré que lorsque la possibilité d’agir librement les uns avec les autres était donnée aux jeunes enfants, alors ils construisaient ensemble des connaissances bien plus importantes sur le monde. Par l’observation mutuelle des actions des uns et des autres, les enfants reprennent les idées remarquables, et par l’imitation que les autres font de leurs propres actions, ils comprennent mieux ce qu’ils font, en le voyant de l’extérieur, en une sorte de miroir grossissant. Les libres interactions sociales entre les jeunes enfants conduisent à des proto conversations mêlant savoirs, savoirs être et savoirs faire, qu’ils apprennent ainsi à développer : prendre en considération les intentions des autres, trouver des solutions, faire valoir son point de vue, établir des liens de cause à effets, etc.
Cette liberté d’interagir n’est possible que si l’environnement le permet, par l’installation de jeux communs entre enfants, dans lesquels les adultes savent leur laisser la place, y compris dans le règlement de leurs conflits.

La liberté de jouer. L’Itinérance Ludique est la pédagogie de la petite enfance qui regroupe l’ensemble de ces libertés. Elle conçoit une organisation des structures d’accueil permettant aux enfants de circuler librement dans l’ensemble des espaces où des univers ludiques ont été installés. Ainsi la liberté de se mouvoir, de choisir et d’interagir est respectée, puisque chaque enfant peut aller à sa guise, selon son mode de déplacement, vers les expériences ludiques dont il sait qu’elles correspondent à ses besoins, et y retrouver les autres enfants avec lesquels ils souhaitent jouer. La question de l’âge ou des acquisitions ne se posent pas, puisque chaque enfant est entièrement libre de sa propre itinérance ludique, de sa propre liberté de jeu. Tel un petit navire parti en mer, chaque enfant est libre de s’arrêter dans le port d’attache de son choix représenté par l’un des professionnels de la crèche. Un équilibre entre aventure et sécurité qui permet à chaque enfant de se sentir libre de partir et de revenir, libre de bouger, libre de choisir, libre d’interagir, c’est-à-dire libre de jouer comme un bébé.

 
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 01 février 2021
Mis à jour le 01 février 2021