Quand les termes professionnels employés traduisent les représentations et pratiques. Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

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peinture à la crèche
Depuis que les professionnels de la petite enfance réfléchissent aux propositions ludiques à destination des jeunes enfants, ils emploient des termes qui traduisent leurs pensées, puis leurs pratiques. Ces mots évoluent au cours du temps et se modifient en fonction des tendances et des orientations pédagogiques. Un mot ne vaut pas l’autre, mais traduit, parfois inconsciemment, une représentation éducative et donc, au final, une pratique professionnelle.

Fut un temps, était souvent employé le terme d’activité ou, plus précisément : d’activité d’éveil. L’idée était ici de faire en sorte que les enfants soient en action ou que les propositions ludiques présentées provoquent chez eux un phénomène d’éveil qui leur soit profitable. Nous étions dans une période où l’on découvrait que les jeunes enfants n’étaient pas réduits à des tubes digestifs au cerveau plat et qu’il était possible de les éveiller en leur proposant des activités. Cela allait aussi dans le sens d’enfants agissants, d’enfants acteurs de leur développement et participant à l’ensemble de leur environnement. Les professionnels ont donc multiplié leurs propositions d’activités d’éveil.

Puis fut introduit le terme d’atelier ou d’atelier de jeux. Il s’agissait là de mettre le jeu au centre des intérêts de l’enfant, tout en précisant que jouer constituait leur « travail ». On retrouve ici la pensée de Maria Montessori et celle d’autres pédagogues avant elle pour ce qui concerne l’importance du jeu des jeunes enfants. Le mot « atelier » renvoie effectivement à la notion de travail ou d’apprentissage, l’atelier étant le lieu de l’artisan, de l’artiste ou de l’ouvrier. Les jeunes enfants, devenus acteurs agissants, étaient désormais regardés sous le prisme de leurs productions. L’organisation des lieux d’accueil se modifia alors pour créer des espaces où installer ces ateliers de jeux.

C’est ainsi que les notions d’espace et d’aménagement des espaces sont nées. L’espace étant à la fois la salle de jeux des enfants, mais aussi la division en plusieurs parties et l’espacement entre ces dernières pour créer des propositions ludiques différentes, sous forme d’atelier ou de « coins jeux ». Est entrée dans la pratique professionnelle l’idée que le découpage et l’installation de l’environnement des jeunes enfants était un facteur intervenant directement dans leurs façons de jouer et participait donc à leur développement.

Une différence est alors apparue entre les jeux (dits) libres conditionnés par le découpage des espaces mis en scène par les adultes et permettant aux enfants de jouer sans eux, et les jeux (dits) « dirigés » ou « accompagnés » renvoyant alors aux fameuses activités et/ou ateliers nécessitant la présence des professionnels et sensés permettre aux enfants de produire un certain « travail ». On retrouvait alors l’alternance scolaire entre le temps de « travail » demandant aux enfants un effort de concentration sous le contrôle de l’adulte et le temps de « récréation » leur permettant  de se divertir en jouant, sans nécessité de l’intervention de l’adulte.
Cette manière d’envisager l’environnement des jeunes enfants perdure encore dans les structures d’accueil. Elle n’est pourtant pas en adéquation avec le niveau de développement et les intérêts des enfants qui fréquentent la crèche, mais correspond mieux à ceux scolarisés. En effet, les plus petits ont besoin de l’adulte en permanence pour les accompagner dans leurs jeux. Il leur est impossible d’alterner leurs temps de jeux entre activité dirigée et libre.  De plus, ils papillonnent entre les différents coins sans avoir la capacité d’en respecter les usages.   

De ce fait d’autres pratiques pédagogiques et donc d’autres termes sont apparus en harmonie avec des savoirs plus actuels sur les apprentissages des jeunes enfants. Utilisés dans l’organisation pédagogique en Itinérance Ludique©, les univers ludiques conviennent mieux à une disposition du temps et de l’espace dans les structures d’accueil. Un univers ludique correspond à l’installation pour un temps long d’un environnement délimité visible et accessible à tous les enfants, comprenant à la fois des objets ludiques spécifiques et un professionnel en situation de les accompagner dans leurs jeux.  La pédagogie Itinérance ludique© est alors l’organisation qui permet d’installer suffisamment d’univers ludiques différents, à bon escient, sur l’ensemble de la journée de crèche. Ces univers sont non seulement concomitants, c’est-à-dire qu’ils se complètent bien, mais aussi concordants, c’est-à-dire qu’ils s’accordent entre eux pour créer des possibilités plus intéressantes pour les jeunes enfants. Chaque univers ludique est donc riche de ses propres propositions et l’ensemble des univers potentialise les possibilités d’apprentissage. Ce terme d’univers correspond aujourd’hui à ce que nous souhaitons proposer aux jeunes enfants et à leurs importantes capacités d’apprentissage. Il indique l’ensemble de tout ce qui existe ou pourrait exister, tout comme les petits inventent à la fois le monde réel en explorant, et l’ensemble des mondes possibles en expérimentant. Nous ne sommes plus dans l’atelier besogneux des siècles passés, ni dans le projet d’éveiller des jeunes enfants qui le sont par nature, mais bien dans une perspective plus vaste et illimitée, celle d’un environnement au-delà de notre monde et dont nous n’appréhendons pas vraiment les limites, pas plus que nous ne connaissons celles du cerveau de nos jeunes enfants.  

Jouer n’est donc pas un travail, mais bien l’essence même de l’enfance et particulièrement de la petite enfance, mais cela ne se fait pas dans n’importe qu’elles conditions et particulièrement pas sans un accompagnement digne des attentes des jeunes enfants qui ont besoin d’un regard éclairé et d’une attention des professionnels participant à l’ensemble de leurs aventures.

 
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 09 mai 2022
Mis à jour le 09 mai 2022