Qui a raison ? Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

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bééb couvert
Une professionnelle me demandait très récemment si je n’avais pas un texte à lui proposer pour l’aider à expliquer à un parent qu’il ne devait pas trop couvrir son enfant. Comme beaucoup de professionnels j’ai de suite pensé qu’il était trop couvert pour dormir et donc que les consignes en matière de prévention de la mort inattendue du nourrisson n’était pas comprise par le parent. Un réflexe de puéricultrice évident. Mais non, il s’agissait d’autre chose. La maman d’un enfant de la crèche lui met deux à trois couches de vêtements, pulls et autres car elle a très peur qu’il « attrape » froid et tombe alors malade.  Les professionnels de la crèche « effeuillent » cet enfant au fur et à mesure de la journée.
Les relations avec cette maman s’enveniment lorsqu’elle constate que son enfant a participé à une sortie au cours de laquelle les professionnels n’ont pas pris soin de lui mettre son écharpe, ce qu’elle avait pourtant demandé ! Elle se met alors en colère en disant qu’il va encore tomber malade et que leur week-end sera une nouvelle fois fichu, à cause de la crèche. C’est pour cette raison que cette professionnelle souhaitait un texte pour aborder avec la maman, la question de l’habillement de son enfant, avec bienveillance et diplomatie. Une réelle bonne intention de sa part.
Or il n’existe aucun texte de pédiatres ou de spécialistes indiquant de quelle façon habiller un jeune enfant, en dehors du conseil donné de lui mettre des vêtements correspondant à la température de son environnement, et de savoir qu’un tout-petit n’a pas encore une régulation thermique aussi performante qu’un adulte. De ce fait il se refroidit  ou se réchauffe plus vite qu’un adulte lorsque la température descend ou monte.

Faute de ressources écrites pouvant lui donner des arguments en son sens, je me suis interrogée sur le fait que la professionnelle m’avait présenté la situation en étant certaine que la maman couvrait trop son enfant et qu’il n’avait pas besoin de mettre une écharpe pour sa sortie. En fait, il lui semblait évident que la maman avait tort. Mais comment savoir si cela est le cas ?
En effet, nous sommes tous différents dans nos ressentis thermiques. Lorsque je souhaite déjeuner dehors avec le soleil, mon mari refuse souvent, arguant que le vent d’Est est trop froid, et qu’il risque d’attraper une pneumonie ! Qui a raison ? Nous deux, bien entendu, car chacun juge selon son propre sentiment. Et c’est ce que font cette maman et cette professionnelle, puisque l’enfant n’est pas encore capable d’annoncer son propre ressenti. A-t-il trop froid ou trop chaud ? Tant qu’il ne transpire pas à grosses gouttes ou qu’il n’a pas les lèvres bleuies il est bien difficile de le savoir. Donc en tant que personne adulte qui accompagnons un jeune enfant, nous projetons sans cesse nos propres ressentis et représentations sur l’enfant, en pensant si j’ai froid, il peut aussi avoir froid. Et, pire, lorsque j’ai froid, je tombe plus facilement malade, donc lui aussi. Et une maman pense toujours qu’elle a raison puisqu’elle est la maman et connait mieux son enfant que personne d’autre au monde.

Le problème soulevé ici n’est donc pas de faire changer d’avis cette maman car c’est impossible. Il est encore moins de la juger ou la culpabiliser sur ce qu’elle pense être juste pour son enfant, mais bien d’annoncer les différences de point de vue. Nous ne ressentons pas la température de la même façon les uns et les autres et de ce fait nous ne nous protégeons pas de la même manière. Il est bien normal de projeter nos sensations sur les petits, notre propre corps servant alors d’étalonnage pour juger ce qui est bien pour eux. Personne n’a donc raison ou  tort, mais chacun doit comprendre que l’autre détient sa propre vérité.

Comment faire alors ?
Prendre en considération le point de vue de la maman en lui indiquant le nôtre. Constater qu’ils sont différents et admettre que nous n’avons pas réellement celui de l’enfant, en dehors de situations extrêmes. Ainsi cela devient non pas : « excusez-moi, j’ai oublié de lui mettre son écharpe, comme vous me l’aviez demandé » qui montrerait une culpabilité professionnelle, mais : « j’ai jugé qu’il faisait trop chaud pour lui mettre son écharpe, même si je sais que vous me l’aviez demandé » qui indique un choix professionnel. En affirmant sa façon de voir la situation et donc sa responsabilité vis-à-vis de l’enfant, on prend cette place professionnelle. On accepte d’avoir une différence de point de vue avec le parent, pour ce que l’on juge être, à ce moment-là, le bien-être de l’enfant. Le parent en sera peut-être un peu peiné sur le moment, mais il comprendra que le professionnel agit aussi en fonction de ce qu’il pense être bien pour leur enfant, et c’est aussi tout à fait rassurant.  

L’idée n’est pas de faire toujours ce que l’on veut en tant que professionnel et de ne pas tenir compte des consignes des parents, mais de savoir relativiser ce qu’il est possible ou pas de faire à la crèche, ce que l’on peut, ou non, garantir aux parents. Il est certain que l’on ne peut pas les assurer de suivre toutes leurs recommandations, souhaits, demandes. Et au lieu passer ces « exigences » sous silence, ou de vouloir rallier les parents à notre façon de penser, autant exposer clairement les choix professionnels, le projet pédagogique et constater que cela n’empêche en rien d’avoir de bonnes relations avec les parents.
Car être partenaire de l’éducation d’un jeune enfant ne signifie aucunement être d’accord sur toute la ligne, cela oblige juste à en discuter ensemble. Tant mieux si des consensus peuvent être trouvés : comme emporter l’écharpe au cas où le vent se lève, ou relever le col du manteau si besoin…Et tant pis si ce n’est pas le cas. Mais la relation n’est pas rompue, la confiance demeurant, grâce à une vraie communication à la fois directe et posée, sans enjeux de pouvoir ni de savoir. Avec de la chance l’enfant n’aura pas été malade le week-end en question et les parents comme les professionnels seront bien reposés. Peut-être auront-ils même déjeuné dehors, si le vent a tourné !

 
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 05 mai 2021
Mis à jour le 05 mai 2021