Rester professionnel avec tous les parents ! Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

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bébé marche pierds nus
Chaque professionnel de la petite enfance sera sans doute d’accord avec ce qui suit : le plus difficile dans ce métier n’est pas de savoir se mettre à la hauteur des jeunes enfants, même à la hauteur de leurs sentiments, comme dirait Janusz Korczak, mais de porter et supporter leurs parents ! Ils sont si exigeants, si indifférents, si désobligeants parfois ! Et aussi si charmants, si soutenants, si attachants, d’autres fois… Ce métier est un métier de l’humain dans lequel l’accompagnement des jeunes enfants ne peut s’envisager sans la fréquentation rapprochée de leurs parents, pour le meilleur et pour le pire !

Or ces derniers temps nous constatons tous une perte de crédibilité des professionnels au profit d’informations paraissant sur la toile : le meilleur lit « Montessori », la meilleure façon d’envisager la diversification alimentaire lorsqu’elle est menée par l’enfant, les repas sans viande, sans veau, sans agneau ou sans porc, les quantités alimentaires mesurées au gramme près, les couches trop petites ou trop grandes, selon les marques, la meilleure eau pour les biberons, etc.

Dans les crèches, cela se traduit aussi par des demandes que nous jugeons extravagantes, mais dont les raisons méritent sans doute d’être analysées. Comme celle de cette maman qui demande que tous les enfants de la crèche portent un casque afin d’éviter les chocs à la tête. Ou celle de ce papa qui souhaite que l’enfant mordeur soit évincé car il ne met pas son enfant dans un chenil, mais bien dans une crèche. Ou encore celle de ces parents qui ne comprennent pas que leur enfant ne soit pas déjà passé à des repas pour plus grand alors qu’il ne mange pas encore de morceaux, mais qu’à cela ne tienne puisque c’est écrit à partir de 15 mois sur le menu et qu’il en a justement déjà 16 ! Ou encore ce parent qui exige que son enfant participe bien à toutes les activités, alors que l’équipe a déjà expliqué que les enfants étaient libres d’aller et venir dans les univers ludiques, selon leurs souhaits. Sans compter les classiques de chaque année : le parent qui ne supporte pas que son enfant joue pieds nus car c’est la raison pour laquelle il s’enrhume, celui qui ne veut pas que son enfant sorte quand il pleut ou qu’il fait froid car il sera malade, celui qui ne veut pas d’un lit sans barreau ou celui qui ne veut pas d’un lit à barreaux, celui qui veut absolument des horaires de sommeil et de repas fixes, et celui qui déplore le manque d’activités préscolaires ! Il est possible de continuer cette liste déjà bien longue, mais l’important n’est pas temps de constater et se lamenter, que de se savoir se positionner dans l’accompagnement parental.
Il convient de ne pas se laisser désarçonner par les pseudos vérités véhiculées sur Internet. Il est vrai que la petite enfance a toujours été et reste traversée de modes et de recettes de puériculture qui changent au gré du temps, comme l’avaient si bien décrit Suzanne Lallemand et Geneviève Delaisi De Parseval1à leur époque. Aujourd’hui l’accès rapide à une foule d’informations entraîne une accélération du phénomène et peut perturber ou questionner certains parents qui cherchent alors à confronter leurs lectures ou leurs idées aux connaissances des professionnels.

L’important n’est pas de savoir qui a raison, ni même de vouloir faire entendre raison aux parents, mais bien d’énoncer clairement quel service est offert ou pas par le mode d’accueil. Non, nous ne mettrons pas de casques aux enfants car les bosses font aussi partie de l’expérience des jeunes enfants : il faut apprendre à tomber et à se relever. Oui, certaines équipes ou assistantes maternelles peuvent avoir envie de se lancer dans la DME, et il faut l’indiquer. De la même façon que nous ne jugeons pas ce que les parents choisissent de faire chez eux, ils ne peuvent ni juger, ni décider de ce qui se pratique à la crèche ou chez l’assistante maternelle, à partir du moment où cela a été pensé, est argumenté et annoncé, avant même l’entrée de l’enfant dans son mode d’accueil, par le biais des règlements de fonctionnement et projets divers. Là est la limite donnée aux parents : indiquer le service rendu par le mode d’accueil ET aussi ce qui n’est pas retenu.

En petite enfance, le travail nécessite l’acceptation inconditionnelle des personnes accueillies et accompagnées et une certaine capacité relevant du caméléon. Cela signifie l’absence de jugement sur la façon de faire et d’être (dans les limites de l’absence de maltraitances) et aussi être capable de prendre la couleur de la famille pour mieux la comprendre et l’accompagner. Mais cela ne correspond pas au renoncement des valeurs et choix professionnels qui peuvent être différents de ceux des parents. Pour autant l’enfant ne se trouve pas pris au milieu d’un conflit, mais prend conscience de l’existence des différences. Il comprend qu’à la crèche ou chez l’assistante maternelle certaines choses se passent autrement que chez ses parents. Muni de puissants logiciels d’analyse et de comparaison le cerveau du bébé comprend vite de quoi il en retourne et s’adapte à ce monde des relations humaines si complexe et si passionnant à la fois.

L’important est de conserver de bonnes relations avec les parents, en acceptant les différences des uns et des autres pour que l’enfant, au centre, puisse continuer à se sentir bien dans une alliance acceptable.
A la crèche il marche pieds-nus alors qu’à la maison il met des chaussons. Ses parents souhaiteraient qu’il participe à toutes les activités, mais à la crèche il s’agit d’univers ludiques libres en toute autonomie et leur enfant joue actuellement principalement avec les poupées !
Notons tout de même que, lorsque des différents importants rendent le travail en bonne intelligence et compréhension, impossible, alors il faut se séparer pour protéger l’enfant. Son bien-être dépendant de celui de tous les acteurs qui l’accompagnent. Cette séparation n’est pas un échec mais aussi un acte professionnel, car sans doute ces parents trouveront ce qu’il leur convient mieux dans un autre mode d’accueil dans lequel l’alliance sera plus harmonieuse entre les adultes, donc plus profitable à l’enfant.   

1.Suzanne Lallemand et Geneviève Delaisi De Parseval, L’art d’accommoder les bébés, 100 ans de recettes françaises de puériculture, Seuil 1980

 
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 07 mars 2021
Mis à jour le 07 mars 2021