« Ta vie de femme est finie, ici commence ta vie de professionnelle de la petite enfance ! » Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

Voici la phrase qu’une future professionnelle de la petite enfance a dite lorsqu’on lui a demandé d’indiquer ce qu’elle avait retenu de ses premières semaines de cours ! Certes cela indique qu’elle a pris conscience que cette profession implique des règles de vie, mais il est aussi permis de se demander s’il n’y a pas eu une erreur d’aiguillage de la part de l’élève ou du formateur ! En effet, d’une part, présenter la profession sous cette forme ne risque pas de mettre des paillettes dans les yeux des futures professionnelles, et d’autre part, comment est-il possible d’opposer à ce point les deux états, celui de femme et celui de professionnelle ? Peut-être faut-il transposer le terme de professionnelle à celui de « mère », état  qui serait lui aussi incompatible avec celui de femme ?! Mais alors cela signifierait que nous sommes revenus des dizaines d’années en arrière !
 Mais pourquoi donc a-t-elle dit ça ?

Parce que sa formatrice lui a présenté la formation en commençant par un ensemble de règles physiques, vestimentaires et comportementales indissociables, selon cette dernière, d’un métier de la petite enfance.

Pas de vêtement court, de décolletés, de bijoux, de maquillage, etc. En effet, dans cette histoire, il n’est pas question de séduire les pères venus confier ou rechercher leur enfant ! Une tenue trop subjective, trop attirante ou trop débraillée ne serait pas adaptée à une professionnelle de la petite enfance ! Majoritairement féminines, ces professions s’inscrivent dans nos préoccupations sociales passées et actuelles au sujet des contraintes vestimentaires féminines, dont l’objectif est soit de plaire, soit d’éviter de plaire. Dans le cas présent, il s’agirait d’éviter la tentation, de rester à sa place de « nounou », en restant aussi sans bijoux ni maquillage, ornements de séduction par excellence. Et si les mamans peuvent, elle, s’occuper de leur enfant en tailleur, talons hauts et rouge à lèvre, il n’en est pas de même des professionnelles de la petite enfance. La différence doit être visible, à l’image de cette photo du 19ème siècle montrant la nourrice poussant le landau à côté de la maman : impossible de confondre les deux personnages.

Sous couvert d’hygiène et de sécurité, les ongles doivent être courts et non vernis, les cheveux attachés, le maquillage léger et les bijoux proscrits. Il ne faut pas risquer de griffer les enfants, de véhiculer une bactérie, de les blesser, voire de les intoxiquer avec du fond de teint ! Sous couvert d’hygiène et de confort, les tenues vestimentaires doivent être adaptées pour s’accroupir auprès des plus petits, et pouvoir se pencher… sans trop en montrer, évidement ! Tout doit être dans la sobriété et l’effacement en correspondance avec la fonction de « simple nounou ».

Comment faut-il s’habiller alors ? Héritage de la nourrice et de l’infirmière, la tenue vestimentaire des professionnels de la petite enfance a toujours fait débat. A la crèche il s’agit de savoir si le professionnel met une blouse ou une tunique pantalon, ou s’il lui est permis de travailler avec ses vêtements de ville.
A domicile, il s’agit de ne pas heurter les parents, comme si la représentation physique de la « nounou » devait correspondre à un code moral établi
. Dans le premier cas, la professionnelle hérite de la tenue hospitalière, en lien avec l’institution qui en a dirigé les contours pendant de nombreuses années.
A la maison, que ce soit les assistantes maternelles ou les gardes à domicile, c’est la même histoire de nourrice qui imprègne encore les codes actuels. Elles étaient anciennement vêtues d’un costume particulier et leur travail était réglementé par la moralité chrétienne. Aujourd’hui, pantalons et tee-shirts bien larges ou blouses permettent de cacher les formes, évitent les coquetteries et correspondent à l’image que l’on se fait de ces métiers oblatifs, c’est-à-dire ceux dont le leitmotiv est le don d’amour poussant à se sacrifier pour l’enfant, Madone éternelle.

Cette future professionnelle de la petite enfance ne s’attendait pas à découvrir un tel univers !
Et cela ne s’arrête pas à la tenue vestimentaire …Au-delà de la tenue vestimentaire à proprement parlé, on inculque aux futures diplômées des consignes sur le comportement attendu que l’on estime être en rapport avec leurs fonctions d’accompagnement et d’éducation de jeunes enfants.

Elles ne doivent pas s’attacher aux enfants, car l’amour est réservé aux parents (sous-entendu aux mères…) et ne dire qu’elles les aiment car seuls les pédophiles disent aimer les enfants ! Là évidemment, notre future professionnelle n’en croit pas ses oreilles…
Sans compter aussi qu’elles ne doivent pas être trop proches des parents afin d’éviter de créer de la familiarité qui ne permettrait plus de faire la différence entre la professionnelle et la famille…Donc pas de tutoiement, pas d’amitié, pas de service rendu, pas d’acceptation de cadeau ou autre source de contentement personnel.
Seul le salaire doit être envisagé dans une ambiance rigoureuse mais pas top chaleureuse. Pourtant en venant travailler dans la petite enfance, elle pensait se trouver au cœur de l’affection, de la douceur et du plaisir partagé de l’éducation d’un tout petit ! Que nenni, lui a-t-on expliqué, au point qu’elle et nombre de ses consœurs de formation se sont demandées si elles n’avaient pas fait une erreur de parcours. Elles qui avaient pensé apprendre un joli métier plein de promesses, dans la fraicheur de leurs belles années de femmes, comprenaient qu’il fallait entrer dans les ordres et éteindre toutes les flammes qui les habitaient…celles de l’enfer, cela va de soi !  


 
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 07 juillet 2021
Mis à jour le 07 juillet 2021