Une petite enfance à haute valeur éducative. Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

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educatrice de jeunes enfants avec petite fille
« Dès lors qu’on souhaite un monde toujours plus humain fondé sur les valeurs essentielles de respect, de justice sociale et animé par l’esprit de raison, l’éducation constitue nécessairement l’épine dorsale de tout projet social» a dit Jean-Michel Blanquer en 2019, suite à l’adoption de la loi pour une école de la confiance, qui abaissait l’instruction obligatoire à 3 ans. Il perpétuait en cela la pensée des réformateurs de la fin du XIXème siècle qui défendaient l’idée qu’ouvrir une école permettait de limiter le nombre de futurs prisonniers. Ce lien que nous établissons encore entre les carences culturelles et les  risques sociaux reste très présent, et l’école est toujours perçue comme une institution régulatrice de lutte contre les inégalités sociales. Pourtant, force est de constater qu’elle a bien du mal à remplir ce rôle et qu’elle ne peut pas le faire seule, qui plus est si tardivement. En effet, tout ne commence pas à trois ans !

Certes, les professionnels de la petite enfance prennent peu à peu conscience que l’éducation des bébés est leur métier, et pas uniquement leur accueil ou leur accompagnement. Mais les modes de garde, devenus des modes d’accueil, peinent pourtant à se définir comme des lieux d’éducation des petits. Tout se passe comme si l’école était la première et la seule institution éducative de la petite enfance. Le bébé, perçu autrefois comme un tube digestif, est devenu une personne compétente. Pour autant, ses capacités innées semblent n’avoir aucunement besoin d’éducation ni d’environnements favorables à leurs expressions.  Bien au contraire, il nous faut admettre que la vie d’un bébé peut être riche d’apprentissages, pourvu que ces derniers correspondent à son niveau de développement et soient soutenus par une éducation spécifique.
Avant trois ans les enfants font des apprentissages qu’il est nécessaire de connaitre lorsqu’on est un professionnel de la petite enfance. Un bébé apprend à s’attacher et à s’appuyer sur les adultes, pour s’aventurer et explorer un environnement qu’il ne connait pas encore. Cette exploration de son monde physique se fait bien avant d’apprendre les règles sociales qui lui permettront de vivre avec les autres. Un bébé apprend à mobiliser son corps dans l’espace, à contrôler sa motricité et à devenir de plus en plus habile de ses mains. Il apprend à manipuler les objets de son environnement pour en comprendre leurs caractéristiques physiques et leurs réactions sous ses actions. Cela lui sera utile pour envisager, plus tard, leurs fonctions et leurs possibles utilisations. Il apprend à communiquer avec son entourage et à comprendre les humains, des êtres si complexes mais si intéressants. Il apprend à parler non seulement pour mieux communiquer encore, mais aussi pour comprendre sa pensée et celle des autres et être en mesure de la partager.

Ce bébé est un vrai papillon car il passe d’une sollicitation à une autre, il butine toutes les les propositions de son environnement, poussé par une curiosité innée sans faille, avec pour seule condition celle de se sentir en sécurité. Sans doute est-ce  pour lui la meilleure option pour apprendre vite de si nombreuses choses, sans effort ni plan préétabli. Mais il ne peut faire tout cela tout seul. Il a besoin d’adultes capables de créer ces environnements apprenants et de lui servir de phare pour éclairer ses découvertes, de port d’attache pour le réassurer et parfois de bouées pour lui venir en aide, pour qu’il ne se noient pas sous les propositions et l’excitation ludique.  Cette éducation des bébés s’apprend, tout autant que les gestes techniques consistant à changer une couche ou donner un repas. Or, elle est souvent le parent pauvre de la formation des professionnels de la petite enfance. A tel point que nombre d’entre eux ne savent pas qu’ils sont des éducateurs de bébés. Alors ces professionnels se rendent utiles autrement. Ils sont ces pieuvres à multiples bras contenant les bébés qui pleurent, ou ces abeilles butinant de tâches en tâches qui ne les voient plus. Ils passent à côté de leur vrai métier, celui qui a du sens et de la valeur : éduquer des bébés.
Dommage, car l’école n'est le début ni de l’éducation ni des apprentissages des enfants, ou seulement celui des savoirs scolaires et d’une certaine idée de la sociabilité attendue des jeunes enfants. Elle ne représente que la suite logique, le prolongement évident de ce qui a déjà été mis en place par les parents et les professionnels de la petite enfance. Placer l’entrée à l’école maternelle au centre de toutes les attentes sociales, comme étant la première étape d’une éducation ne sert qu’à ajouter une pression inutile qui ne peut qu’être défavorable aux enfants. Au contraire, assurons-nous d’avoir fait notre travail en ayant créé un environnement à haute valeur éducative pour tous les bébés que nous accueillons jusqu’à leurs 3 ans. Ceci pourrait être un vœu pour cette nouvelle année 2023. Mais pas un vœu pieux. Et ne nous trompons pas de chemin, car parler d’un environnement apprenant ou de haute valeur éducative ne signifie pas transformer des papillons en chenilles ouvrières. Bien au contraire, mettons en place des pédagogies leur permettant d’être ces beaux papillons aux couleurs si différentes…

 
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 02 janvier 2023
Mis à jour le 02 janvier 2023