Les téléphones portables et les bébés ! Par Monique Busquet

Psychomotricienne

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téléphones portables
Les effets toxiques d’une surexposition des jeunes enfants aux écrans sont maintenant connus. De nombreux enfants « surexposés » présentent d’importants troubles de la communication et du langage. Ceux-ci peuvent heureusement être réversibles, lorsque le temps passé avec des écrans diminue et laisse la place à du temps de partage et communication adultes-enfants.
La surexposition aux écrans résulte de différentes situations : l’enfant mis devant « un écran », l’enfant qui entend et voit les écrans que regardent les adultes, mais aussi tous les temps durant lesquels l’adulte est lui-même devant son écran (ordinateur, tablette et téléphone), en présence de l’enfant.

Nous sommes sans doute tous concernés, plus ou moins bien sûr, par cette dernière situation. Qui d’entre nous n’a pas regardé ou répondu à son téléphone alors que nous étions auprès de jeunes enfants.  Que se passe-t-il pour eux dans ces situations ?
Nous-mêmes avons tous vécu des moments désagréables lorsqu’un interlocuteur s’est tout à coup interrompu pour regarder ou parler à son écran ! Nous avons tous également croisé des personnes qui parlent « tout seuls », même  en notre présence (salle d’attente, transports en commun, magasin..), comme si nous ne partagions pas alors le même espace. Quels sont les effets de ces coupures de communication  sur nous ? Un sentiment de ne pas exister, voire d‘abandon, un sentiment de discontinuité, un moment d’étrangeté !

Et quels effets ont ces coupures, ces absences sur les bébés ?
Les bébés apprennent la communication dès la naissance. Il s’agit d’une communication d’abord non-verbale. Ils captent la moindre de nos mimiques, réagissent aux intonations de notre voix, ressentent nos émotions. Ils interagissent avec nous dans l’instant. Ils apprennent ainsi le monde qui les entoure, il le décode à travers nos réactions. Ils s’inquiètent s’ils nous sentent inquiets devant telle personne, ils sont joyeux si nous sommes joyeux dans telle situation. Adultes et enfants communiquent intimement. Etre ensemble, c’est comme être branchés sur la même longueur d’onde, c’est partager un même espace, un même temps.

On nomme attention conjointe, la capacité de l’enfant d’être et de partager ainsi avec l’adulte.
Dès la naissance, l’adulte regarde le bébé, lui sourit et lui parle ; il commente ce qui se passe pour lui (« tu as l’air d’avoir faim », « d’être fatigué » !), puis il commentera ce à quoi le bébé réagit ou s’intéresse (« tu as entendu la sonnette », « tu regardes les feuilles de l’arbre bouger »!).
Il regarde alors dans la même direction que le bébé. Puis, le bébé aussi va regarder ce que l’adulte  lui montre (« regarde les feuilles de l’arbre », « le chat qui passe »!).
Ensuite l’enfant montrera lui-même du doigt pour indiquer à l’adulte ce qu’il souhaite.
Il s'agit d’un développement subtil et complexe de capacités de communication, pour lesquelles l’enfant et l’adulte doivent partager la même situation.
Par ailleurs, des observations assez connues montrent  comment un enfant s’inquiète et se désorganise, lorsque sa maman  arrête de communiquer et que son visage devient « neutre et impassible », sans réaction aux mimiques et gestes du bébé. On voit alors l’enfant essayer d’entrer en relation, puis déconcerté et perdu, se mettre à pleurer  ou se réfugier à son tour dans le silence, se repliant sur lui .
Alors chaque fois que nous regardons notre « écran fétiche »  (toujours pour de bonnes raisons, bien sûr !), nous faisons vivre alors à  l’enfant des ruptures de communication. Notre corps exprime des choses qui ne sont plus en lien, plus cohérentes avec la situation présente. Il assiste à des modifications de tonus,  d’expression, d’intonation, de mimiques, d’émotions qui ne peuvent prendre sens pour lui.
L’enfant ne peut pas comprendre  lorsqu’il nous voit rire,  nous animer, nous énerver. Il n’y a plus de partage, plus d’attention conjointe, plus d’être ensemble.
Alors que c’est ce qui lui permet  d’apprendre la  cohérence de son monde : « lorsque j’entends ce bruit il va se passe ceci ; ou  « maman sourit, lorsque je lui souris ».

Communiquer c’est envoyer et recevoir des messages, c’est enchaîner des  interactions de demandes et de réponses successives. Je te regarde quand tu me regardes, je t’écoute quand tu me parles. C’est aussi indiquer à l’interlocuteur présent qu’il a de l’importance, de la valeur. Je suis attentif à ce que tu manifestes et le prends en compte. Un écran ne prend pas en compte les réactions tonico-émotionnelles. Une télévision continue à parler quoi qu’on lui dise et même si on ne lui parle pas !
L’enfant ainsi risque de ne plus savoir ce qu’est communiquer. Il risque de ne plus savoir par exemple, à qui l’on parle lorsqu’on s’adresse à lui.
En effet la parole prend sens parce que nous communiquons avec l’enfant. Ainsi il comprendra et répondra à ce qu’on lui demande et il demandera lui-même quelque temps plus tard en utilisant la parole.
Aussi, pour ne pas avoir, par exemple, à nous plaindre qu’ils ne nous écouteraient pas, parlons-leur, soyons avec eux dans une cohérence et une continuité de partage.
Soyons présents et « au présent » avec eux, sans nos écrans !
Article rédigé par : MOnique Busquet
Publié le 31 janvier 2018
Mis à jour le 12 février 2018