Parler aux tout-petits, oui mais de quoi ? par Monique Busquet

Psychomotricienne, formatrice petite enfance

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dialogue adulte enfant
De quoi parler aux tout-petits ? D’eux-mêmes, des sensations dans leur corps, de ce qu’ils perçoivent avec leurs sens, des émotions qu’ils éprouvent.
Le jeune enfant est traversé à tout moment par tant de ressentis !  Il lui est indispensable que l’adulte les lui raconte, décode, nomme, exprime, qu’il lui donne du sens :  « Tu dois avoir faim, tu as sans doute soif, chaud, froid ; tu as vu, tu as entendu telle chose…., tu as l’air triste, tu as peur; tu as très envie de ce jouet ; tu as l’air très déçu, tu es très pressé, tu es inquiet ; tu penses à ta maman, tu avais envie de rester avec ton papa ? »  Or nous avons bien souvent tendance à lui parler de nous plutôt que de lui. Nous lui disons  « je m’en vais, je n’ai pas trois mains, je m’occupe de toi après, je ne peux pas rester à coté de toi, ton papa s’en va … ».
L’ensemble des professionnels sait qu’il faut « verbaliser » à l’enfantMais par habitude, nous avons surtout tendance à expliquer et à « nous justifier » :  « je dois m’occuper des autres, ta maman doit aller travailler, je ne peux pas faire autrement » . Peut-être est-ce aussi une façon de nous rassurer de ne pas pouvoir répondre comme nous aimerions à leurs demandes.   

Mais expliquer est-il réellement utile et suffisant ? Dire à l’enfant « ton parent va travailler », c’est lui parler de quelque chose qu’il ne perçoit pas, qu’il ne peut se représenter, qu’il ne ressent pas directement.  Ce qu’il ressent, c’est l’absence, le manque, c’est sa tristesse.  Le travail de son parent, c’est « un ailleurs » qu’il ne peut percevoir. Certes l’enfant pourra répéter ces paroles, il pourra associer « quand maman, papa ne sont pas là, ils sont au travail ».  Mais cela a peu d’impact sur ce qu’il ressent, sur son émotion du moment. Celle-ci risque de rester aussi intense. De même si un enfant entend un bruit fort et en a peur,  il est intéressant de lui expliquer d’où ce bruit provient, mais cela reste abstrait s’il ne peut voir la source du bruit.  Il a surtout besoin que nous lui parlions de lui directement. « Tu as entendu un bruit. Tu as été surpris, tu as eu peur… ».

Parler à l’enfant de ce qu’il vit, c’est lui montrer que nous avons une réelle attention pour lui et ce qu’il éprouve. Ainsi l’enfant peut se sentir compris. C’est un de ses grands besoins. Tout au moins sentir que nous en avons l’intention réelle. Il est vrai que nous ne faisons que des hypothèses sur ce qu’il ressent,  nous pouvons nous tromper, mais l’enfant nous envoie des éléments de réponse lorsque ce que nous disons est juste ou non pour lui. Et il est sensible à notre intention, à notre recherche. C’est également permettre à l’enfant de se connaitre, lui et son environnement proche. Enfin en grandissant, il pourra à son tour être attentif à lui-même. Il aura l’habitude de porter attention à son corps, à ses ressentis, il saura les reconnaitre, les nommer, les exprimer. Or nous savons aujourd’hui que cette attention à soi est gage de santé et bien-être.

Peut-être aurez-vous la curiosité d’écouter les paroles dites habituellement aux enfants (sans porter de jugement ou critiques ni sur vous ni sur vos collègues, bien sûr). Juste une prise de conscience.
Ensuite vous pouvez vous exercer à parler à l’enfant de ce qu’il ressent et perçoit de son environnement proche. Lui parler de ce qui s’est passé, de ce qui se passe, de ce qui va se passer, de « son point de vue à lui » et pas seulement de votre point de vue.  

Vous verrez combien l’enfant s’apaisera plus facilement, combien vous êtes alors dans un partage avec lui. Ainsi quand un enfant pleure au départ de son parent, vous pouvez lui dire des paroles comme : « Tu avais envie de rester avec lui/elle, de continuer à jouer, de lui faire un câlin ; Tu es bien triste, tu penses à lui/elle, à ce que tu as fait ce matin avec ton parent, à ce que tu feras ce soir…  tu aimerais continuer à jouer chez toi ». Avec un grand, on peut le questionner  « à quoi aimerais tu jouer, que ferais tu avec ton parent ? » même s’il ne sait pas encore répondre.  Cela permet d’évoquer, de faire vivre ce que l’enfant a dans le cœur, dans le corps et dans la tête.

 
Article rédigé par : Monique Busquet
Publié le 31 mars 2022
Mis à jour le 10 juin 2023