Un enfant qui va bien, qui va mal : de quoi parlons-nous ? Par Monique Busquet

Psychomotricienne, formatrice petite enfance

David ADEMAS
Portrait petit garçon
 Comment va cet enfant? Bien ? Mal ? Ce sont des questions récurrentes pour les professionnels de la petite enfance. Elles se posent à la fois pour accompagner au mieux chaque enfant, pour repérer des éventuels troubles de développement  et pour penser les pratiques d’accueil.

Mais « aller bien » peut recouvrir des significations très différentes.
Parlons-nous de l’état émotionnel, des ressentis de sécurité, de confort et de bien-être de l’enfant ?
Parlons-nous de son développement, de là où il en est dans ses acquisitions ?  Ou parlons-nous des racines qu’il construit en profondeur et qui influenceront son devenir et sa vie d’adulte ?   La période de la petite enfance est très particulière, pour plusieurs raisons.  
L’enfant ne peut dire lui-même comment il va ; il s’exprime par son corps, dans du non-verbal pas toujours simple à décoder ; il est donc difficile et subjectif de savoir ce qu’il éprouve.
Ce que l’enfant vit fait trace ; il emmagasine des souvenirs non conscients qui auront un impact sur sa façon d’être au monde ultérieurement, impacts difficiles à « mesurer » et anticiper malgré les connaissances et recherches actuelles.
Une grande partie des processus de développement ne sont pas visibles et ils sont sous l’influence de très nombreux facteurs.

Que regardons-nous et comment décodons-nous ce que nous voyons ?
Lorsque nous disons que tel enfant va bien ou mal, il me paraît toujours utile de préciser de quoi nous parlons. Ainsi les pleurs ou leur absence sont-ils le signe que l’enfant va mal ou va bien ? Est-ce une question d’inconfort et d’émotion ou de développement ?
Par exemple, j’entends souvent « il ne pleure pas, il va bien ». Mais est-ce que ne pas pleurer, signifie que l’enfant va bien ? Ne pas extérioriser ses émotions, ne pas solliciter les adultes ne veut pas dire que l’enfant va bien. Les pleurs sont signe de tristesse, de manque, de peur, de douleur, d’inconfort, d’insécurité donc « cet enfant ne va pas bien ». Mais cet enfant exprime ses ressentis avec un comportement d’appel ajusté, donc nous pourrions dire qu’il « va bien ».
De même, être calme, observateur, réservé, tranquille, est-ce signe d’aller bien, une question de tempérament ou signe de ne pas oser, de timidité excessive, voire d’inhibition ?
Ou encore est-ce un signe d’aller bien que de sembler s’adapter sans manifester, sans réagir à ce qui est donné à vivre, lorsque ceci n’est pas suffisamment respectueux des besoins de l’enfant ?
Est-ce signe d’aller mal lorsque les enfants expriment fortement leurs besoins de crier, de courir, de vider, de faire du bruit, comportements qui semblent si normaux lorsqu’ils peuvent jouer en extérieur…

Regarder si un enfant va bien, c’est donc porter un regard à la fois global et fin (et qui nécessite un certain nombre de connaissances et une suffisante attention).  C’est se préoccuper et prendre en compte en premier lieu ce que l’enfant manifeste, ce qu’il semble éprouver sur le moment.  C’est avoir en tête, le processus de développement et d’acquisitions de l’enfant et les signes d’alerte indicateurs de pathologie ou trouble de développement. C’est également regarder ses modes de relations aux autres, ses capacités à communiquer, s’exprimer, solliciter si nécessaire, avoir des initiatives, savoir se faire consoler ou s’autoconsole, mémoriser, apprendre à apprendre, persévérer, inventer, ses stratégies d’actions et d’exploration sur les objets, l’expression de ses émotions, sa confiance en soi, ses capacités d’attention etc…   Ces compétences sont difficilement quantifiables, pas assez souvent observées et soulignées et tout autant importantes pour « aller ou grandir bien ».

Ce qui est vécu par le jeune enfant est le socle de ses fondations, comme le sont les racines d’un arbre. Elles ne sont pas visibles en surface et sont pourtant indispensables à la vie de l’arbre, à ses feuilles et ses fruits. L’enfant qui « va bien » construit ses racines pour « grandir bien » et devenir un adulte qui ira « suffisamment bien ». Celui-ci pourra alors trouver un juste équilibre qui lui permette de répondre à ses propres besoins et respecter ceux des autres. Alors oui, la question de « comment va un enfant » aujourd’hui et demain, est une question qui se pose chaque jour, et dont les réponses peuvent être diverses et complexes.
Au-delà des connaissances sur l’enfant et sur l’interaction de ses facteurs de développement entre génétique et spécificité neurophysiologique, enjeux psychoaffectifs et qualité des relations, environnement et expérimentations sensorimotrices faites par l’enfant, les réponses sont également parfois remplies de nos valeurs et de nos subjectivités.
Et je ne résiste pas ici à l’envie de mettre une pointe d’humour. Dès mes premières années de travail en crèche, il y a plus de 35 ans, j’entendais dire  « les enfants « ne sont plus comme avant, ils sont plus éveillés, plus agités, moins obéissants, ils n’écoutent rien … ». Déjà, il me semblait voir nos subjectivités à l’œuvre. J’avais alors en tête les propos attribués à Platon, autour de « l’autorité qui n’était plus respectée par les jeunes d’aujourd’hui », enfin ceux de son époque, il y a plus de 2050 ans. Nos constats restent analogues chaque année. Sont-ils justes ?

La question qui me paraît essentielle à avoir en tête, reste « Comment donner à vivre aujourd’hui aux enfants de quoi leur permettre « d’aller suffisamment bien » aujourd‘hui et demain, au regard des connaissances actuelles ?








 
Article rédigé par : Monique Busquet
Publié le 02 novembre 2022
Mis à jour le 16 novembre 2022