La barrière et l’agrément. Par Pierre Moisset

Sociologue, consultant petite enfance

Lors d’une récente intervention auprès d’un public d’assistantes maternelles, mes propos ont provoqué un débat entre ces dernières et des membres de la PMI également présents. Un débat autour des barrières. Les barrières au domicile des assistantes maternelles : des barrières devant les escaliers ou les zones recélant des risques potentiels. Des barrières même dans les jardins des assistantes maternelles. En effet, dans le département en partie rural où j’intervenais, les assistantes ont des jardins et terrains parfois si vastes que les personnels de PMI leur demande d’en clôturer une partie pour la sécurité des enfants alors que le terrain dans son ensemble est déjà ceint d’un mur de taille suffisante… Des barrières donc…

Et qu’est ce qui faisait débat ? Pour certaines assistantes, ces barrières ne faisaient pas sens. En effet, elles considèrent que leur métier est d’apprendre aux enfants les opportunités et dangers d’un univers familial et domestique. Leur univers domestique personnel qu’elles utilisent dans le cadre de leur activité professionnelle d’accueil, mais en tant qu’il est semblable à celui qu’ils connaissent chez leurs parents. Et, si elles veulent pouvoir accompagner les enfants dans cette découverte et apprentissage de l’univers domestique, il est absurde de le sécuriser. Aussi, les barrières, d’une certaine façon, les empêchent de faire leur travail.

Du côté des personnels de PMI (en charge de l’agrément et du contrôle des assistantes maternelles), veiller à la sécurité des enfants, à la sécurisation de leur environnement est une nécessité. On peut les comprendre, si un accident arrive et qu’un défaut de sécurité (l’absence d’une barrière de sécurité par exemple) est pointé, le service de PMI peut également être tenu pour responsable. Et la charge, la responsabilité alors peut être terrible. Aussi mieux vaut une barrière peu utile mais potentiellement salvatrice qu’un risque non couvert.

Et voilà tout notre beau monde dos à dos : les assistantes maternelles se sentant brimées dans leur exercice professionnel ; les professionnels de PMI tenant à sécuriser et se sécuriser. Oui, mais on ne peut réellement en rester là.

En effet, ce que disent les assistantes maternelles est important, essentiel : accueillir les enfants chez elles, dans un espace domestique et familial qu’elles mettent en scène, qu’elles aménagent (ce qui ne veut pas dire sécuriser) pour l’accueil des enfants se fait dans une perspective d’éducation, d’éveil et d’apprentissage. Une éducation et un apprentissage à un espace domestique, partagé avec d’autres enfants avec qui chaque enfant accueilli forme une petite communauté (ils ne sont pas régis par des rapports familiaux). Et si les assistantes maternelles veulent pouvoir conduire cette fonction d’apprentissage et d’éducation, elles doivent en avoir la possibilité objective : c’est à dire ne pas être empêchées par des normes de sécurité qui sont peu présentes dans le quotidien familial des enfants. On peut illustrer cet apprentissage grâce à un autre débat, très intéressant, que j’avais eu avec des assistantes maternelles lors de l’élaboration d’une charte de qualité de l’accueil. L’une d’entre elles avait pointé  le fait qu’elle avait, chez elle, un four à paroi chaude et non pas un four à paroi froide. Pourquoi ? Parce que, insistait-elle, si elle s’équipait d’un four à paroi froide, sans risque pour les enfants et ne demandant pas de surveillance ou d’avertissement, les enfants accueillis auraient pu s’habituer à la possibilité de toucher le four sans risque... Et si leurs parents avaient un four à paroi chaude, les enfants habitués à l’insouciance auraient pu se brûler chez eux… Pour cette professionnelle donc, le fait d’exposer les enfants à la possibilité d’un risque et donc à la nécessité d’une éducation et d’une surveillance, faisait partie de son travail plus global d’éducation et de sécurisation de l’enfant sur l’ensemble de ses scènes de vie. Et on peut comprendre alors qu’un enfant habitué à être endigué dans ses explorations par des barrières pourra d’autant plus se précipiter sans méfiance chez ses parents vers les escaliers parce qu’il n’aura pas appris à se méfier des escaliers en général mais appris à buter sur des barrières. On ne peut donc sécuriser l’espace d’accueil au-delà d’une certaine limite sans mutiler, d’une certaine façon le travail d’accueil. Soit.
 
Mais qu’est-ce que la PMI peut faire face à cela ? Il me semble souhaitable et possible que l’évaluation de la sécurité de l’espace d’accueil passe par un dialogue poussé avec les assistantes maternelles sur leurs pratiques quotidiennes et concrètes d’éducation aux risques des jeunes enfants, et de protection des jeunes enfants. D’accord elles n’ont pas de barrière devant ces escaliers. Mais où les enfants jouent-ils ? Et ne sont-ils pas tentés d’aller vers les escaliers ? Que fait-elle face à cette possibilité ? L’assistante pourra alors expliquer qu’elle parle de l’escalier aux enfants et qu’elle les a clairement prévenus et que donc ils savent comme elle sait qu’il ne faut pas s’en approcher seul… Bien sûr, cela est moins rassurant qu’une barrière (et si l’enfant tente quand même ?), une barrière matérielle qui ne dépend pas de la versatilité des enfants. Mais il me semble qu’il faut accepter cette part relationnelle et non matérielle de la prévention. Elle est vérifiable il me semble dans les propos de l’assistante maternelle. Mais pour cela il faut l’interroger précisément, concrètement sur ses pratiques d’accueil, sa position dans la pièce, les relations qu’elle établit avec les enfants et qui lui assurent, ou non, qu’ils respecteront les interdits et précaution. Il me semble que cela pourrait enrichir tant le métier des professionnels de PMI que l’activité des assistantes maternelles.
 
Article rédigé par : Pierre Moisset
Publié le 10 mai 2022
Mis à jour le 15 décembre 2022