Les pros savent-ils vraiment (tout) ce qu’ils font avec les enfants ? Par Pierre Moisset

Sociologue, consultant petite enfance

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professionnelle et jeune enfant
Il m’arrive régulièrement ces derniers temps de dire de manière provocante en conférence, face à des professionnels de l’accueil du jeune enfant, qu’ils ne savent pas ce qu’ils font quand ils accueillent de jeunes enfants. Je m’empresse de préciser : « Vous ne faites pas n’importe quoi. Vous faites même en sorte que le quotidien des enfants soit vivable et aimable, mais néanmoins vous ne savez pas ce que vous faites ».
Ce que je veux dire par là c’est que, passées les formations initiales, passées les fiches de poste, passés les projets d’établissements et autres projets, les professionnels ont encore nombre d’incertitudes et de dilemmes à résoudre face aux enfants, au quotidien. J’en veux pour preuve un des résultats de l’étude menée avec le réseau Devenir d’Enfance. Nous avions interrogé les assistants maternels sur la qualité de leur formation initiale, en leur donnant la possibilité de dire s’ils l’avaient trouvé bonne ou mauvaise, mais également de dire s’ils trouvaient que cette formation préparait assez bien au métier.

La majorité des assistants maternels répondant ont trouvé que cette formation était bonne, mais également - à une courte majorité toujours - qu’elle était bonne mais ne préparait pas assez bien au métier. Autrement dit, cette formation peut être instructive, bien structurée, mais elle n’arrive pas à décrire et à préparer ce qui constitue le métier concret des professionnels de l’accueil. Et elle n’y arrive pas parce qu’elle ne parle que trop peu de ce qu’il faut concrètement faire pour accueillir de jeunes enfants.
Nous aurions posé la même question aux professionnels de l’accueil collectif, je pense que nous aurions eu les mêmes réponses. Les professionnels procèdent à nombre d’adaptations, de réajustements, de positionnements et repositionnements pour accomplir leur mission et avoir le sentiment de faire du bon travail avec les enfants. Et nous ne savons que très peu de choses sur ces actes et ces repositionnements.

D’ailleurs, qu’est-ce qui permet à un professionnel de l’accueil de se dire qu’il fait du bon travail ? Le respect de consignes et d’un rythme institutionnel (le change fait en tant de temps, les déjeuners donnés en temps et en heure) ? L’activisme et la tentation d’offrir plus de jeux, plus de contes, plus d’interactions aux enfants accueillis ? Les marques d’amour reçues de la part des enfants ? Un peu de tout ça.

Certains professionnels passent d’une conception à une autre du travail pour tenter de cerner ce qu’est, justement, le travail d’accueil du jeune enfant. Ainsi d’une auxiliaire de puériculture qui me disait : « J’ai commencé chez les bébés et je voulais tellement bien faire, et je me suis retrouvé avec des enfants tellement collés à moi que les enfants hurlaient et je me suis dit, ça ne va pas pourquoi les enfants ils crient ? On n’est pas là pour les faire crier, on est là pour qu’ils passent une bonne journée, je m’étais mal investie et c’était trop et j’ai pris du recul. » Cette professionnelle a commencé par tenter de « mesurer » la qualité de son travail par l’amour reçu en retour de la part des enfants. Mais cela a des limites, évidentes. De même que la posture « techniciste », ou la posture activiste. Accueillir de jeunes enfants sollicite la disponibilité, mais aussi la distance, l’observation et la médiation. Cela demande penser un espace et des rythmes d’accueil, mais aussi la vitesse de l’action auprès de l’enfant et la coordination entre collègues. Et tout cela vous le faites, mais vous ne le savez pas. Ou que trop peu.
Article rédigé par : Pierre Moisset
Publié le 04 octobre 2019
Mis à jour le 07 octobre 2019