L’information et le bruit : la restitution de la journée de l’enfant, au ras du sol. Par Pierre Moisset

Sociologue, consultant petite enfance

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J’ai déjà eu l’occasion dans cette chronique d’aborder la question de la restitution de la journée de l’enfant au cours d’une série d’écrits. Je m’y suis attaché à analyser les évolutions sociales et professionnelles qui font que la restitution est un enjeu de plus en plus important des relations parents-professionnels.

C’est également avec toutes ces réflexions que j’ai été, en janvier dernier, animer une journée pédagogique auprès d’équipes de crèche municipale en région parisienne. La partie conférence de la journée fut amusante et interactive .
En revanche, la partie « ateliers » fut explosive et interpellante. En effet, j’ai demandé aux professionnels des structures de jouer différentes scènes de restitution qui leur avaient posé question, à différents titres, les semaines précédant notre rencontre. Les professionnels présents se sont répartis en plusieurs groupes, ont choisi une scène dans leur stock d’expériences et ont joué ensuite à tour de rôle cette scène. Les professionnels se répartissaient les rôles entre enfants, parents et donc professionnels et jouaient pour l’ensemble du reste des équipes et moi-même.

Fut ainsi évoquée le cas d’une mère débordée et fatiguée qui, en arrivant dans la structure s’asseyait en soupirant et soufflant pendant que son enfant mettait à mal l’ensemble du reste de la section par son comportement agressif. Les professionnels ne sachant pas comment l’interpeller pour qu’elle « prenne la main » sur son enfant face à son attitude abattue.

Deuxième évocation (impliquant le même enfant agité) une jeune mère venant chercher son enfant est « frappée » par un autre enfant présent. Son compagnon et elle reviennent un peu plus tard en demandant à pouvoir évoquer cet « incident » avec la direction.

Ce qui m’a marqué dans ces différentes scènes jouées c’est, déjà, l’intensité et la vérité que parviennent à y injecter les professionnels. Ainsi, plusieurs professionnelles assises sur le sol jouaient les enfants. Pendant qu’une de leur collègue tente de faire la restitution de la journée, l’une des « enfants » prend une bouteille en plastique et la frappe régulièrement, obstinément sur le sol. Puis elle vient interpeller tout aussi obstinément la pauvre professionnelle qui souhaite faire sa restitution. Pour enfin, monter sur les tables en jouant la crise finale de l’enfant en mal d’attention… Tout cela joué avec une vérité confondante !

Ce qui me touche dans ces moments-là c’est la force et la précision avec laquelle les professionnels « engramment », inscrivent en elles les scènes vécues et parviennent à les restituer du point de vue de l’enfant, du parent, du professionnel…     

Deuxième point marquant dans ces scènes et qui, bien qu’évident en apparence, m’a instruit, le fait que la restitution est un moment très délicat parce que c’est le moment de la rencontre des deux usagers de l’accueil de la petite enfance : le parent et l’enfant. Et l’attention aux parents pour leur restituer le vécu de l’enfant vient mettre en tension les enfants présents en mal d’attention. D’où le bruit et la tension, si bien jouée par les professionnels. Bref, ces professionnels m’ont fait toucher du doigt le bruit, la confusion, la tension typiques de leur cadre d’activité et m’ont fait faire un voyage sensible et jubilatoire en même temps pour nous tous.
Et j’avoue avoir été, en tant que « théoricien », totalement dépaysé et déplacé. Ce qui me fait dire que si, pour ces professions, réflexions et théories peuvent être utiles elles ont aussi et surtout besoin d’espaces de réflexions et de « rejeu » sensibles où l’on peut jouer pour ressentir, rejouer pour essayer de faire différemment, faire des hypothèses avec son corps et ses mouvements. Au ras du sol et des émotions.

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Article rédigé par : Pierre Moisset
Publié le 16 mars 2019
Mis à jour le 19 mars 2019