Je régresse, tu régresses, il régresse. Par Sophie Marinopoulos

Psychologue-psychanalyste

enfant qui mange
Il n’est pas rare dans les métiers de la petite enfance d’entendre des parents venir se plaindre de leur enfant « qui régresse ». Dans ce constat inquiet, les parents racontent un « avant » où tout allait bien et un « maintenant » où rien ne va plus. Il y aurait comme un changement brutal qu’ils vivent mal et qui les attaque sournoisement. Ils notent comment leur enfant avait acquis la propreté, comment il mangeait tout seul, comment il pouvait aller jouer dans sa chambre sans systématiquement demander la présence de sa mère ou de son père. Toutes ces étapes tant attendues étaient devenues une réalité.
L’autonomie, acquise graduellement par l’enfant, est pour le parent un soulagement, mais aussi on peut y lire toute la fierté d’une mission bien accomplie. Ne sont-ils pas des bons parents quand l’enfant est sur le chemin d’une croissance épanouie ? Légitime est ce sentiment, nécessaire est cette nourriture que nous nommerons narcissique tant elle alimente le parent d’une satisfaction personnelle.
Alors quand l’acquis disparait, quand le progrès s’échappe, quand l’enfant est de nouveau dépendant, refusant de manger seul, pleurant pour qu’on joue tout à côté de lui, nous assistons à la détresse parentale qui peut aller jusqu’au sentiment que l’enfant le persécute. Telle Véronique qui est furieuse et me décrit comment  « il fait exprès de ne pas vouloir manger tout seul. Il sait très bien le faire. Je suis obligée de rester près de lui et de lui tenir la cuillère alors qu’il sait que je dois aller m’occuper de sa petite sœur ». Cette maman est non seulement excédée mais blessée d’assister à «  ce gâchis » alors qu’elle a tout fait pour ce premier enfant, pour aller à son rythme. Elle ne le comprend plus.

Si le sujet occupe ma chronique aujourd’hui c’est pour évoquer le rôle fondamental du professionnel de la petite enfance face à cette question. Car nous devons aller plus loin que l’accueil des mots des parents. Nous devons donner du sens au comportement de l’enfant qui régresse. Le parent doit pouvoir comprendre que la régression est parfois nécessaire dans la vie de l’enfant. Que grandir peut provoquer chez lui,  pour des raisons contextuelles (naissance d’un autre enfant, changement de rythme familial, déménagement…) le besoin de s’arrimer dans des repères « d’avant ». Régresser c’est aller chercher en soi quelque chose que l’on connaît pour mieux supporter la nouveauté et l’angoisse qu’elle procure. L’enfant n’est pas un adulte en miniature mais bien un adulte en devenir. Son équilibre demande notre attention et notre compréhension. Quand l’enfant régresse il ne perd rien. Ces acquis sont bien en lui, au fond de son être. Son besoin au moment de la régression est d’être entendu dans son mal être, dans son inquiétude face à ce qu’il vit. C’est sa manière de s’exprimer.

Par exemple je pense à des parents qui nous demandent « s’ils doivent acheter un biberon à leur enfant de 4 ans, comme celui-ci le réclame à la naissance de son petit frère ? » Cela les contrarie car « maintenant il boit au bol ». Pouvoir entendre que l’achat du biberon ne signe pas un retour en arrière des progrès mais bien une manière d’accompagner l’enfant dans les changements qu’il vit est utile pour des parents. Acheter le biberon revient à signifier à l’enfant qu’ils sont avec lui, même quand il est déstabilisé, et qu’ils le comprennent. La régression est une forme de pause dans la croissance. L’enfant grand se débarrassera vite du biberon acquis car il aura envie de redevenir grand « pour être tout seul avec papa ou maman et aller faire des choses sans le bébé ». Lui donner envie d’être grand permettra de dépasser ce comportement régressif.  
Quand le parent entend un professionnel de l’enfance l’informer de ce qui se passe pour l’enfant, que c’est un comportement fréquent de régresser, qu’ils ne doivent pas s’inquiéter car leur enfant grandit bien, cela participe à la résolution de la situation.
A très vite pour d’autres réflexions...
Article rédigé par : Sophie Marinompoulos
Publié le 06 juin 2016
Mis à jour le 18 août 2017