La vie à pleine bouche. Par Sophie Marinopoulos

Psychologue-psychanalyste

Bébé qui met un jouet à sa bouche
Nombreux sont les parents qui se désolent de voir leur enfant mettre à la bouche. « C’est sale », «  il peut se faire mal », « il peut avaler n’importe quoi »… La bouche est faite pour être nourri puis éventuellement, mordre Sophie la Girafe vers quatre mois puisque c’est bon pour les premières douleurs dentaires. Mais il n’est pas envisageable que bébé se mette à sucer tout ce qui est à sa portée.
Si le sujet est sensible au regard du thème de l’hygiène qui le sous-tend, il est fondamental de transmettre aux parents le secret le mieux gardé des bébés. Il faut leur dire que sa bouche est son meilleur ami. Par elle, grâce à elle, il entre en contact avec le monde extérieur, ressent le lait couler en lui, construisant sa première identité corporelle. Une identité liquide qui lui permet de ressentir son corps de la tête au pied. Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, il éprouve au fil de la tétée que celui-ci jusque-là tendu à l’extrême par la faim, devient mou, se détend, se relâche. Un corps mou et un esprit apaisé suivent donc les dernières gouttes de lait et favorise son éveil, son appétence à communiquer.

Le voilà prêt à écouter le monde qui l’entoure et en premier lieu son corps. Un corps bien maladroit et si peu mobile dans les premières semaines de vie. L’espace de découverte est donc étroit mais il n’en reste pas moins riche de possibles. Calé dans son lit, repu et satisfait, changé par les mains expertes de sa nounou ou de ses parents, bébé explore. Il regarde avec ses yeux ce qui l’entoure certes, mais pas seulement. Il regarde aussi autrement et ailleurs : en lui. Pour cela sa bouche s’anime et bébé se lance. Il semble immobile or il est en pleine gymnastique buccale. Il vient de faire faire une semi galipette à sa langue qui bascule de gauche à droite et bute sur une matière lisse à la forme bombée. Ces gencives inconnues il les adore ! Il aime la sensation du rond, de la dimension pleine. Il s’aventure et sort la langue provoquant un léger souffle à l’entrée de sa gorge. Délicieux. Puis la rentre et la lance au plafond. Boum ! Elle se colle sur un espace creux, strié, un palais dont il ignore même le nom. Simultanément un liquide dit salive coule. Il s’étouffe un peu tant le liquide se fraie un chemin rapidement, alors il ferme ses lèvres pour mieux déglutir. Sa bouche ainsi se ferme. Plus exactement « il la ferme ». Il est le commandant de sa bouche. Il peut l’ouvrir et la fermer. Il peut la fermer et la gonfler. Il peut la gonfler et la dégonfler.
Papa et maman le regardent et rient. Ils ont l’air content et ce n’est pas pour lui déplaire. Lui se sent grand. Téméraire. Alors fort de ce plaisir partagé, il va plus loin et laisse sortir le liquide de sa bouche qui coule sur le menton de sa peau. Un menton dehors. La langue est dedans. Elle va dans les creux, elle passe sur les bosses. Il ressent tout. Rien ne lui échappe. Dedans, dehors, dessus, dessous, mou, dur, lisse, strié, liquide, solide, sonore, contenant, contenu, rond, anguleux…tout se transforme en incroyables découvertes ! Il est épuisé et s’endort savant et repu de ces merveilles à portée de bouche. Demain il en est sûr il recommencera.

Alors il faut pouvoir dire aux parents qu’un bébé en grandissant, regarde et analyse avec sa bouche. Il met à la bouche pour découvrir avec les moyens qui sont à sa portée. Il a une bouche de main. Ses connaissances s’inscrivent ainsi dans un corps qui éprouve et qui va au fil des mois acquérir de l’assurance. Ce savoir que le bébé enregistre sensoriellement avant de le comprendre intellectuellement est l’arrière-plan de la connaissance. C’est ainsi qu’il jouera à mettre dedans ou dehors, à faire des ronds ou des traits, à remplir ou vider, à reconnaitre les ronds et les carrés…calcul, écriture, géométrie sont à portée de sa bouche ! L’appétence du bébé précède la curiosité de l’écolier.
Bien, ceci dit, l’école est encore loin. Pourtant il n’y a pas d’âge pour les découvertes. Alors prenons le temps de faire le point sur les pour et les contre de cette «  manie » du bébé de mettre à la bouche. Et pourquoi pas lors d’une grande soirée débat, organisée par des équipes de la petite enfance, proposer aux parents de témoigner sur ce qu’ils observent des jeux de bouche de leur bébé dès la naissance. Une belle occasion de parler de bébé sur un thème jamais proposé.
Une occasion amusante pour les guider sur l’incroyable capacité d’un tout petit de développer ses compétences cognitives et de construire sa pensée de bébé.
Pari retenu ? A vos agendas !
Bonne rentrée à tous

1.F. Dolto avait appelé une situation clinique ainsi
Article rédigé par : Sophie Marinopoulos
Publié le 29 août 2016
Mis à jour le 02 août 2017