Catherine Dolto, médecin, auteure : « Tous mes livres naissent dans mon cabinet »

Médecin, haptothérapeute, Catherine Dolto est l’auteure de plus de 75 livres, traduits dans le monde entier, dans la collection Mine de Rien (Gallimard Jeunesse Giboulées), qu’elle a créée il y a 20 ans avec l’éditrice et amie Colline Faure-Poirée. Un anniversaire qui est l’occasion de revenir sur l’incroyable succès de cette collection … qui mine de rien a fait son grand bonhomme de chemin ! 
Les Pros de la Petite Enfance : On trouve vos livres dans les familles, mais aussi dans les crèches, les écoles maternelles, les bibliothèques. Comment expliquez-vous le succès de cette collection ?
Catherine Dolto : Et dans les salles d’attente des pédiatres ! Un pédiatre me disait : quand je vois le livre qu’un petit patient tient dans ses mains, je connais le problème ! Ces livres marchent parce qu’ils sont conçus pour les enfants et leur entourage. Dans mes consultations, je reçois des parents et des enfants … et leur mode de vie. Tout ce qui se dit s’adresse aussi bien aux enfants qu’aux parents.

Ce sont donc des livres qui permettent de faire naître un dialogue sur des sujets « délicats » entre enfants et parents, enfants et adultes en général ?
 Souvent des choses posent problème aux enfants et les grandes personnes ne pensent même pas que ce sont des choses qui intéressent les enfants. Ils n’imaginent même pas que l’enfant a besoin qu’on parle de ça.Ou bien les parents sentent qu’il faudrait parler de quelque chose mais n’ont pas les mots pour… Le livre est un catalyseur d’échanges.  
Moi je les écris et ensuite les gens en font ce qu’ils veulent.Des titres comme « fille ou garçon », « caca-prout » sont des bouées que je lance  dans l’océan de la petite enfance !
Certains les lisent pas à pas, d’autres prennent les images avec leurs mots. Ces livres ont un effet thérapeutique. Ils font du bien.

Vous avez écrit deux titres autour des modes de garde : la crèche et les nounous. Cela fait partie des petits problèmes quotidiens des enfants ?
Le temps de l’enfant est lent. Une journée d’enfant est plus longue qu’une journée de grande personne. Les petits passent plus de temps dans leur mode d’accueil que chez eux avec leurs parents. Et comme l’enfant ne peut pas vivre sans affection ou affectivité avec son entourage, ce qu’il vit avec ces personnes (et leur état psychique) est très important pour eux.
Il faut donc pouvoir en parler : on sous-estime l’importance des « au revoir »  aux nounous. Pour l’enfant, passer d’un équilibre (précaire) à un autre ce n’est pas évident. Ni simple. Il faut dire quelque chose. Ces moments d’interfaces sont très importants. On demande tant d’efforts d’adaptation aux petits puisqu’ils sont dépendants de nous !
Les professionnels doivent pouvoir parler de la maison avec bienveillance (pas une curiosité malsaine). Et ses parents parler de l’assistante maternelle ou de la crèche. L’enfant n’est pas cloisonné, il a besoin que les grandes personnes fassent de bons liens au moment de la césure.

Quels sont vos titres best sellers ?
Les colères et la mort. Certains se vendent en continu comme l’hôpital et les allergies.

Et vos titres préférés ?
Dans le fond j’aime beaucoup ceux qui parlent des problèmes actuels comme « J’ai deux pays dans mon cœur » ou « Des amis de toutes les couleurs » qui parlent de l’immigration. Ou « Juste pas juste »

Il y a des titres que vous n’écririez pas de la même façon aujourd’hui ?
Oui, d’ailleurs, au fil des rééditions, je réactualise certains textes. Celui sur la télévision par exemple parle aujourd’hui des écrans. Et puis ma pratique  a évolué, je ne dis pas les choses de la même façon à mes patients, or toutes les phrases sont issues de mes consultations. Dans les premiers livres, il y a avait plus de « il faut » par exemple, maintenant j’évite vraiment.

Au delà des thèmes, il y a effectivement les mots utilisés, les phrases, la façon de décrire et d’écrire écrire les situations …
 Dans mon idée, on s’adresse à l’intemporel de l’être. Dans les sentiments, il n’ y a pas d’âge. D’ailleurs cette collection est conçue pour les enfants dès 18 mois/2 ans. Et je m’étonne de voir certains enfants de 7 ou 8 ans y trouver leur compte. Tout comme les adultes.
La collection repose sur quelques grands principes : il n’y a jamais de situation fermée, il y a toujours de la place pour l’ambivalence, ce n’est pas infantilisant (ça je le tiens de ma mère !). Et surtout, on ne prend jamais d’exemple chez les animaux, ou les plantes. Dans Mine de Rien, il n’y pas de place pour les « petites graines ».
Le travail d’écriture est assez subtil et c’est dû à ma pratique clinique : quand on parle beaucoup avec les enfants de ces grands thèmes-là, on apprend à voir ce qui fonctionne ou ce qui ne fonctionne pas avec les métaphores, par exemple.



 

20 ans, ça se fête !

A l’occasion de l’anniversaire de la collection Mine de Rien, Gallimard Jeunesse Giboulées, sortira trois nouveaux titres : « Les mots et les images qui font peur », inspiré par les attentats de l’année dernière, « Histoires de manger » et le livre-anniversaire qui est la quintessence de l’esprit de la collection : « Mine de Rien, il y a des mots qui font grandir » et qui parle des grandes césures de l’enfance.

Article rédigé par : Catherine Lelièvre
Publié le 28 février 2016
Mis à jour le 04 juin 2021