Claire Boutillier, psychologue : « Comment sécuriser les enfants victimes de maltraitance ? »

Claire Boutillier* a exercé pendant 5 ans en tant qu’assistante maternelle et à cette occasion écrivait des chroniques pour les Pros de la Petite Enfance. Elle est revenue l’année dernière à son métier d’origine, psychologue. Elle témoigne ici de cas de suspicion de maltraitance sur des enfants et de son impuissance et celle du parent. Les Autorités prennent souvent ces affaires à la légère et la justice avance trop lentement.
Les Pros de la Petite Enfance : Installée depuis à peine un an, vous avez été surprise par la fréquence des cas de maltraitance dans votre patientèle. C’est ce qui vous pousse aujourd’hui à en parler.
Claire Boutillier :
Je n’avais pas forcément conscience de ce qui m’attendait quand j’ai repris ma profession de psychologue, mais je savais que je pourrais faire face à des cas de maltraitance sur les enfants. Avant de m’installer, j’avais rencontré des collègues psychologues sur la même ville et je leur avais demandé si elles avaient souvent affaire à ce genre de situations : pour l’une d’elles c’était arrivé seulement 2 fois en 10 ans, pour les autres jamais. Moi j’y ai été très vite confrontée et aujourd’hui, les violences faites aux enfants concernent un quart de ma patientèle (je fais une cinquantaine de suivis). C’est énorme par rapport aux autres, sachant que mon cabinet n’a vraiment ouvert qu’en janvier. Je ne peux pas expliquer ce décalage, peut-être qu’elles ne voient pas ce genre de situations ou qu’elles ne veulent pas en parler.

Vous recueillez le témoignage des enfants ou des parents ?
Les deux. La première fois, il s’agissait d’un petit garçon de 5 ans dont les parents étaient séparés. Il avait expliqué à sa maman que son oncle paternel (encore mineur) lui faisait faire des jeux à connotation sexuelle. Il n’a pas voulu en dire plus, mais à moi il a tout raconté. J’ai pu faire un signalement dans la soirée. Cette situation est exceptionnelle : les enfants ne se livrent pas souvent si facilement. En général c’est plutôt les parents qui viennent me voir avec une interrogation.
Certains enfants ne disent rien du tout. Je pense à ce cas où une maman a déposé plainte car elle soupçonnait fortement que son fils de 6 ans avait été abusé. Pour l’instant il ne veut rien me confier et je ne vais pas lui mettre la pression. Mais lors de nos séances il lui est arrivé d’avoir des réactions qui m’interpellent.
C’est encore plus compliqué quand on n’est pas sûr… Ma plus petite patience concernée a 30 mois : elle m’a parlé de bisous magiques qu’on lui faisait à un certain endroit. On soupçonne que cela fait référence à une situation arrivée au domicile de son père, mais on ne sait pas qui cela concerne, ni même si elle l’a réellement vécu ou simplement vu.

Comment ces témoignages sont-ils accueillis par la police ?
La grosse difficulté c’est quand les enfants ne témoignent pas eux-mêmes. Souvent les parents se retrouvent avec les propos de leur enfant dont ils sont les seuls témoins. Et quand ils vont porter plainte, ils sont a priori très mal reçus. C’est ce que partagent malheureusement beaucoup de femmes - cela pourrait être des pères, mais en l’occurrence j’ai surtout affaire à des mères. Les autorités ne les croient pas, pire, elles insinuent qu’elles mentent afin d’obtenir la garde exclusive de l’enfant par exemple.
J’ai eu le cas d’une jeune fille de 14 ans qui s’est rappelée avoir été abusée entre 7 et 9 ans par le père de la famille où elle avait été placée. Elle en a alors parlé à l’infirmière de son collègue qui a fait un signalement. L’adolescente a donc été auditionnée par la police qui lui a répondu que ce n’était pas bien d’inventer des choses. Elle est rentrée chez elle et a été punie. Plus tard ses sœurs ont avoué qu’elles avaient aussi subi des abus, mais aucune n’a finalement osé porter plainte. Donc tout le monde a réalisé ce qui se passait mais le « fautif » n’a pas été inquiété.

Vous constatez donc une certaine carence des pouvoirs publics ?
Les parents se retrouvent parfois complètement démunis. Dans le cas de cet enfant de 5 ans qui s'est confié à moi, la mère m’a demandé ce qu’elle devait faire le temps que l’enquête avance, car l’oncle en question vivait avec le père. Pour moi il semblait impossible de le laisser retourner dans cette maison où il serait encore exposé au danger. Mais la police comme son avocat lui a affirmé qu’elle serait hors la loi si elle ne remettait pas l’enfant à son père. De son côté, la cellule départementale de recueil et d’évaluation de l’information préoccupante (CRIP) m’a dit qu’elle n’y était pas obligée. Il n’y a donc pas de règle claire. Pourquoi n’y a-t-il pas d’aménagement prévu dans ce genre de cas ? Qu’est-ce qu’on fait pour l’enfant en attendant ?
Autre exemple de ce vide parfois problématique, avec une maman qui m’a amenée ses deux fils de 5 et 6 ans. Elle s’était séparée de leur père l’année précédente parce qu’il était violent et lui ne l’a pas supporté : il l’a menacée, tabassée et est allé jusqu’à percuter sa voiture. Il a alors été interné dans un hôpital psychiatrique jusqu’au procès puis a été condamné à une peine. Mais elle n’était pas applicable tout de suite et l’homme a été libre pendant 3 mois. Résultat : d’un côté il n’avait pas l’autorisation de voir sa femme, mais de l’autre il pouvait continuer de voir ses enfants car aucun jugement n’avait été prononcé sur son autorité parentale. Il a donc continué de la harceler et a commencé à utiliser ses enfants pour lui nuire en leur racontant des mensonges sur elle et en leur faisant du chantage. On a vu petit à petit l’état des garçons se dégrader… Ils m’ont tout raconté. Au départ je pensais que je n’avais pas besoin de faire un signalement étant donné qu’une enquête était déjà en cours. Mais j’ai fini par en faire un et l’homme a été incarcéré.

Comment pouvez-vous réagir face à ces situations ?
Je remplis des « informations préoccupantes » pour la CRIP : soit elle les requalifie en signalement, envoyé au procureur, soit elle demande qu’une enquête sociale soit menée. Quand elle m’y autorise, j’invite l’autre parent (celui qui ne croirait pas l’enfant ou serait soupçonné) à venir me voir au cabinet. Je peux aussi faire passer aux professionnels qui accueillent l’enfant des questionnaires standardisés pour évaluer son comportement et éventuellement prouver ainsi qu’il se passe quelque chose d’anormal. Dans le cas de cette petite fille de 30 mois, l’assistante maternelle était d’accord mais la crèche familiale dont elle faisait partie a refusé car les deux parents devaient être d’accord.
Le problème c’est qu’en tant que professionnel on n’ose pas forcément témoigner, on a peur de dire quelque chose qui serait faux, donc diffamatoire et qui nous placerait ainsi hors la loi. Donc moi je parle, mais je n’ai pas le concours d’autres professionnels qui suivent l’enfant.

En tant que psychologue, vous vous sentez démunie ?
Oui, on est dans le flou sur ce qu’on fait vis-à-vis des enfants. Je me demande quel est mon rôle dans tout ça.
J’ai peur aussi parfois, quand un parent se met en colère contre moi dans le bureau ou m’envoie un courrier. Quel soutien avons-nous ? Pourquoi n’y a-t-il pas déjà un accompagnement des professionnels ?
Suite au rapport de Laurence Rossignol sur les violences faites aux enfants que j’ai lu (mais sans information préalable officielle de sa diffusion), j’ai trouvé une adresse email à contacter pour avoir des informations sur le sujet ou émettre nos remarques. J’y ai répondu il y a deux mois en évoquant tout cela et j’attends toujours une réponse. Pourquoi ça reste lettre morte ? Nous on fait ce qu’on peut dans le cadre de notre travail, mais que fait-on face aux questions de justice ? Nous devons pouvoir conseiller les parents. Par exemple, certains ne savent pas qu’ils auraient pu effectuer un signalement. On ne sait pas comment réagir, on ne sait pas vers qui se tourner pour chercher du soutien…


*Claire Boutillier dispense des formations sur les sujets de la maltraitance, des violences éducatives et de la bientraitance éducative par le biais de Sylvan Formations à la Rochelle ou sur demandes dans le cadre de projet hors prise en charge formation continue.
Article rédigé par : Armelle Bérard Bergery
Publié le 08 septembre 2017
Mis à jour le 13 décembre 2021