Liliane Holstein, psychanalyste : « le dessin et le coloriage ne sont pas seulement une affaire de motricité fine »

Liliane Holstein, psychanalyste spécialisée dans les thérapies brèves, reçoit en consultation de très jeunes enfants. L’occasion pour elle de constater tous les bienfaits qu’ils peuvent retirer du coloriage et du dessin : des activités qu’elle juge importantes pour leur développement. Rencontre.
Les Pros de la Petite Enfance : On sait que le dessin et le coloriage participent au développement de la motricité fine aux enfants. Pourquoi ?
Liliane Holstein :
Les jeunes enfants n’ont pas une maîtrise du geste ni de la coordination aisée. Avant 2 ans, quand ils dessinent sur une feuille, tout le corps peut être entrainé dans le mouvement. Vers 2 ans, 2 ans et demi, ce sera seulement le bras, et à partir de 3 ans, la main concentrera le mouvement : le développement de la motricité fine commence. La motricité fine c’est le développement de tous les petits muscles au bout des doigts : l’enfant est capable de tenir un pinceau, une craie. Si ça nous paraît simple, c’est pourtant un geste d’une très haute précision, qui demande une grande évolution cérébrale. L’utilisation des crayons est très importante pour travailler ce geste et permet de muscler la main. Il faut savoir que la psychomotricité fine permet une grande aisance dans l’acquisition et la maîtrise de l’écriture. En revanche, quand l’enfant a une tablette, il peut apprendre très vite à développer les gestes informatiques : augmenter, réduire, mais ça reste très primaire par rapport à la finesse de la pince pouce index.

A partir de quel âge peut-on proposer le dessin aux enfants ?
Vers 2 ans et demi. A un an, l’enfant peut seulement attraper de façon grossière le crayon et il va éventuellement taper la feuille avec, faire des trous dedans, marquer des petits points. Vers 2 ans, il peut tenir le crayon un peu mieux et faire des croix, des traits discontinus : là on peut lui montrer des gestes, comme colorier un cercle. A 2 ans et demi, 3 ans, un nouveau paramètre entre en jeu, la coordination entre ce que l’enfant voit et ce que la main va faire : il développe une habileté cognitive à reconnaitre et reproduire les formes. Il commence par des lignes verticales et horizontales, des cercles, cela traduit l’évolution cérébrale car le cerveau de l’enfant ne lui permet pas de faire ça 6 mois avant. C’est aussi le début des bonhommes, des têtes.

C’est une « activité » dont ils se lassent vite ?
Les enfants de cette tranche d’âge n’ont pas une grande capacité d’attention, sauf cas exceptionnel. Certains plus physiques que d’autres vont rester un temps assez court à dessiner, puis se lever, aller voir autre chose, revenir. D’autres sont plus paisibles et ont besoin de se détendre, soit parce que c’est dans leur nature, soit parce qu’ils vivent des situations stressantes à l’extérieur. Il faut les laisser faire l’activité le temps qu’ils le désirent. Par ailleurs, ils ne sont obligés d’être assis pour colorier ! Ils peuvent le faire debout voire allongés.

Quels sont les outils à privilégier ?
Tous les supports sont intéressants : carton, feuille, papier coloré. On peut les positionner à la verticale si l’enfant a du mal à rester assis, en scotchant une grande feuille sur un mur. En permettant à l’enfant de rester debout, il peut se concentrer plus longtemps. Dans un premier temps, on propose des feuilles volantes plutôt qu’un cahier qui donne une sensation de contrainte. Les enfants peuvent utiliser des feutres à l’eau, des crayons de couleurs – c’est joli, ça interpelle déjà leur imaginaire.

Les enfants sont-ils attirés par certaines couleurs ?
Oui on le voit bien en psychothérapie. Les tout-petits aiment les couleurs vives : bleu, vert jaune, rouge. Beaucoup d’entre eux aiment aussi le marron, contrairement aux adultes qui la trouvent terne : c’est la couleur de la terre, de la renaissance. Le bleu est une couleur plutôt calmante, de contemplation, préférée par les enfants paisibles qui n’aiment pas la pression. Le jaune représente la joie de vivre, le soleil, et donc la communication, l’envie de vivre avec les autres. Intermédiaire entre les tons chauds et froids, le vert est une drôle de couleur, qui peut soit montrer un certain équilibre, soit révéler une forme d’insécurité dans la vie de l’enfant. Le rouge est la couleur de l’énergie. Si elle est souvent utilisée, on peut reconnaître un enfant au tempérament agressif ou problématique. On pense que les enfants n’utilisent pas beaucoup le noir, mais les enfants de 2 ans s’en servent souvent pendant la période d’opposition. Et il y a les petits qui utilisent toutes les couleurs : ceux qui ont une bonne communication, sont joyeux et n’ont pas de problème. C’est une indication extraordinaire pour les professionnels qui travaillent auprès des enfants.

Comment les adultes peuvent-ils accompagner au mieux les petits ?
Dans cette tranche d’âge, les enfants ont un besoin narcissique très fort : la reconnaissance. Il est donc important pour les adultes, que ce soit leurs parents ou les professionnels qui les accueillent, d’observer et commenter ce qu’ils font, toujours positivement bien sûr et même si c’est un dessin très primaire. Ils peuvent réagir sur le choix des couleurs, l’utilisation de l’espace sur la feuille, les formes… Le professionnel peut aussi faire le lien entre l’enfant et les parents en disant par exemple « C’est très joli, tes parents seront contents ». Il peut participer : commencer le dessin et laisser l’enfant le compléter, cela produit une interaction, un jeu. Comme lorsqu’on raconte une histoire et qu’on laisse l’enfant la continuer. Ce jeu de chassé-croisé offre à l’enfant une joie immense. L’adulte n’est pas obligé de rester tout le temps avec l’enfant, il peut observer, partir en voir un autre, revenir.

Dessin et coloriage ont-ils un impact sur leurs émotions ?
Le fait de se concentrer sur ce qu’il fait, mettre de la couleur ou représenter quelque chose, lui permet de se détendre et donc de calmer ses pulsions. Les petits ont en effet des pulsions inconscientes très fortes. Autour de 3 ans, c’est la période de l’acquisition de la propreté, du contrôle des sphincters : une période compliquée où ils passent d’une liberté totale de leurs mouvements au contrôle de leurs besoins. C’est la période oedipienne où l’enfant est brassé intérieurement par des pulsions très agressives de violence, nervosité, jalousie. Colorier et dessiner peut les apaiser. Les enfants ont encore une grande liberté à cet âge-là : on ne leur demande pas de produire telle chose, on les laisse aller à leur imagination. Ce sera plus rare dans leur vie future, où les consignes vont s’accumuler.

Les touts-petits y prennent aussi beaucoup de plaisir ?
Oui c’est une activité compète qui touche tous les paramètres de leur évolution et de leur bonheur. Ils ont du plaisir à dessiner, tous les enfants le disent en consultation. C’est un moment de détente neuromusculaire et psychologique et presque une forme de contemplation. Les enfants ne sont pas seulement intéressés, mais heureux de dessiner. On n’oublie jamais ces instants de joie. Le contact avec le papier, l’odeur des crayons, du bois : ces souvenirs gravés dans nos mémoires nous viennent de la petite enfance.
Article rédigé par : Armelle Bérard Bergery
Publié le 27 avril 2017
Mis à jour le 09 décembre 2019