Commission des 1000 premiers jours : son rôle et sa feuille de route
Les 1000 premiers jours, une notion scientifique promue par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et que le Président de la République avait reprise dans sa conférence de presse post grand débat pour illustrer l’une des priorités de son quinquennat : la lutte et la prévention contre les inégalités et la pauvreté. « Les vraies inégalités avait-il expliqué alors sont les inégalités d’origine, les inégalités de destin, les inégalités à la naissance. (…) Aussi pour traiter de ce sujet, il faut agir dès la petite enfance. (…) Les 1000 premiers jours de la vie d’un citoyen français sont décisifs, sur le plan affectif, sur le plan cognitif, c’est là qu’on construit parfois le pire et qu’on peut bâtir le meilleur. »
Une commission de 17 experts réunis autour de Boris Cyrulnik
Adrien Taquet a donc proposé au Président de la République une commission d’experts - chercheurs et praticiens - car pour préparer le parcours des 1000 jours, il souhaite s’appuyer sur les dernières avancées scientifiques, notamment celles des neurosciences, et sur l’expérience de professionnels aguerris à l’accompagnement parental.
A sa tête, un président emblématique, le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, entouré de deux vices-présidentes Isabelle Filliozat, psychologue-psychothérapeute connue du grand public et particulièrement des parents pour ses livres et ses ateliers, et Alexandra Benachi, gynécologue-obstétricien. La commission comporte 17 membres (voir la liste dans l'encadré ci-dessous) de spécialités et sensibilités diverses. On se doute que sa composition n’a pas été aisée, mais pesée et soupesée. Et dans ces cas-là, il y a toujours des mécontents.
Une commission pas assez représentative pour certains
La commission relativement restreinte et jugée insuffisamment représentative par certains qui regrettent amèrement de ne pas en faire partie. C’est le cas notamment des puéricultrices qui, via l’ANPDE, ont exprimé leur mécontentement : « le gouvernement officialise la création d’une commission des « 1000 premiers jours de la vie de l’enfant ». Celle-ci est composée d’experts mais, une fois encore, le gouvernement omet de considérer l’expertise des IPDE. Pour cela, nous souhaitons alerter Adrien TAQUET, Secrétaire d'État en charge de la protection de l'enfance auprès de la Ministre des Solidarités et de la Santé, car les 1000 premiers jours de la vie de l’enfant, c’est aussi le travail des infirmières puéricultrices et des infirmiers puériculteurs que nous sommes ! ».
Tout comme les professionnels spécialisés dans l’accompagnement des parents les plus fragiles auraient aimé être mieux représentés dans cette commission. D’ailleurs, au moment même où la commission des experts des 1000 premiers jours de l’enfant était officiellement installée, les professionnels membres de l’Alliance francophone pour la santé mentale périnatale, née lors d’un colloque en juin 2019, se réunissaient à Marseille. A l’issue de trois jours de travaux, conférences et ateliers, ils ont co-signé* une sorte de manifeste intitulé : « A cause des bébés : l’appel de Marseille » (voir en pièce jointe ci-dessous).
Un texte destiné à souligner que ces 1000 premiers jours sont aussi déterminants (et donc constituent une priorité absolue) pour mettre en place « une prévention prévenante » à destination des parents les plus vulnérables. Ceux présentant des troubles psychiques, ceux en grande précarité, ceux souffrant de handicaps, etc. Une façon de rappeler que ces parents-là ne doivent pas être oubliés au nom de l’universalisme. Une façon aussi de signifier que professionnels de la santé périnatale veulent, eux aussi, participer à l’élaboration de ce futur parcours des 1000 premiers jours.
Une commission ouverte qui consultera
Néanmoins, et Adrien Taquet l’a rappelé, « les membres de la Commission des 1000 premiers jours travailleront avec d’autres experts et institutions ». En clair, la commission procédera à l’audition de tous ceux et celles qui peuvent apporter un regard sur cette période des 1000 jours. Par ailleurs, ses travaux seront complétés et nourris par « du terrain » puisque le secrétaire d’État se déplacera dans toute la France pour rencontrer des familles, écouter leurs souhaits et « co-construire avec elles cette nouvelle politique publique ». Lors de ce tour de France, il visitera des lieux dédiés au soutien à la parentalité et rencontrera aussi des professionnels dont c’est le métier.
Des objectifs précis et ambitieux
Le Président de la République suit ce dossier de près car il fait écho à des engagements forts de son quinquennat.
« Au cœur de cette commission, il y a une vraie politique d’égalité des chances » a-t-il souligné à plusieurs reprises. Avant de préciser ses attentes. « J’attends de cette commission qu’elle réponde à ce que vivent les parents, les enfants et répondent à la stratégie que met en place le gouvernement. (…) J’attends de vous que vous nous aidiez à faire des choix. (…) Je veux que votre travail nous conduise à investir au sens premier du terme sur nos enfants. (…) J’attends que vous nous aidiez à faire de bons choix. Cela touchera l’organisation de la PMI ; le bon accompagnement des parents, en particulier des mères seules… (…) »
Les 4 axes prioritaires des travaux de la commission
Les objectifs ainsi fixés, il s’agit pour la commission de répondre concrètement à 4 priorités. Certaines sont à court terme, et d’autres à plus long terme.
La priorité des priorités - et ce sera probablement l’objet principal du rapport attendu au cours du premier trimestre 2020 -, c’est d’élaborer un corpus de règles de santé publique (au sens large du terme) qui font consensus dans les milieux scientifiques et professionnels. C’est sur cette base que seront établis les repères et conseils destinés aux parents. A charge aussi pour la commission d’identifier les personnes ressources qui pourront aider les parents à les mettre en œuvre. Ces dizaines de repères concerneront aussi bien les écrans que l’importance du sommeil ou encore l’alimentation.
A partir de là, la commission devra élaborer un nouveau parcours des 1000 premiers jours en s’inspirant des expériences d’autres pays comme la Finlande, la Norvège (dont une conseillère auprès du ministre de l’Education est associée à la commission) ou du Québec (représenté lui aussi par une de ses experts au sein de la commission). « Il ne s’agira pas, comme l’a souligné Boris Cyrulnik, de faire du copier-coller, « mais au moins d’étudier ce qui se passe dans ces pays et de voir ce qui peut être adapté à la France. »
L’idée aussi de ce nouveau parcours est qu’il soit universel (pour tous les parents) mais qu’il puisse permettre de détecter les troubles, difficultés ou handicaps le plus précocement possible, et prévoir des accompagnements spécifiques envers les parents le plus démunis : pauvreté, monoparentalité, fragilité psychique, etc.
Autre chantier sur lequel devra se pencher la commission : les congés de naissance. Leur durée, leur partage entre les deux parents ? Et surtout il lui faudra évaluer, à la lumière de ce qui passe ailleurs, l’impact des congés de naissance sur la vie des familles : la façon dont se tissent les premiers liens avec l’enfant et sur le développement de l'enfant en général.
Enfin, et cette priorité est une priorité à long terme, il est demandé à la commission des premiers 1000 jours d’examiner le fonctionnement des modes de garde. Et là tout est ouvert. Néanmoins, on sait que le gouvernement considère que les modes d’accueil peuvent et doivent jouer un rôle important dans la lutte précoce contre les inégalités. Ces fameuses inégalités de destin qui font qu’on n’a pas les mêmes chances de réussite dans toutes les familles. Avec notamment de grandes différences au niveau des compétences langagières.
Faut-il un service public de la petite enfance ?
« Je ne sais pas s’il faut créer un service public de la petite enfance généralisé mais je sais qu’on doit faire un investissement public dans ces 1000 premiers jours de notre petite enfance. Et le faire de la manière la plus pragmatique, la plus adaptée et innovante » a conclu le Président de la République.
Que serait un service public de la petite enfance ? Concernerait-il exclusivement les modes d’accueil, offrant une sorte de droit opposable aux parents qui pourraient exiger une solution de garde pour leur enfant ? S’agirait-il seulement de rebaptiser et redéfinir les missions de la PMI qui effectivement serait la pièce maitresse de cet accompagnement massif des parents et des jeunes enfants ? Ou bien encore serait-ce, selon l’acception classique reprise par la FNEJE par exemple, un service relevant d’une compétence de l’Etat, gratuit et garantissant une égalité d’accès à tous ? Des points qu’éclairciront les travaux de la commission, mais qui relèvent de décisions éminemment politiques.
Ce qui est certain c’est qu’au-delà des mots, le Président de la République et son gouvernement choisissent d’investir dans la petite enfance. Et d’y apporter peut-être des moyens, mais sûrement de la confiance et de la bienveillance. Et Emmanuel Macron l’a souligné, les professionnels de santé et de la petite enfance, eux aussi, auront besoin d’être soutenus pour jouer leur rôle d’accompagnement auprès des familles.
* Les signataires : CIANE (Collectif Inter associatif des Associations de Naissance), CNGOF (Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français), CNSF (Collège National des Sages-Femmes), FNAAFP/CSF, FNAPSY (Fédération Nationale des Usagers de la Psychiatrie), Maman Blues, Société́ Marcé Francophone, Groupe WAIHM-F.
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Pièce(s) jointe(s):
- 68.99 Ko a_cause_des_bebes_w.pdf
Les membres de la Commission
Boris Cyrulnik, neuropsychiatre. Président
Alexandra Benachi, gynécologue -obstétricienne, vice-présidente
Isabelle Filliozat, psychothérapeute, vice-présidente
François Armanet, pédopsychiatre-psychanalyste, professeur honoraire à l’université de Genève et de Lausanne; Nathalie Casso -Vicarini, juriste-EJE, fondatrice d’Ensemble pour l’éducation de la petite enfance ; Gislaine Dehaene-Lambertz, pédiatre et directrice de recherche au CNRS ; Romain Dugravier, pédopsychiatre ; Maya Gratier, professeure de psychologie et de musicologie du développement ; Antoine Guedeney, pédopsychiatre et docteur en psychologie du développement ; Gilles Lazimi, médecin généraliste du centre municipal de santé de Romainville, responsable des actions de prévention santé ; Johanne Lemieux, spécialiste de l’enfant adopté ou placé au Québec ; Sophie Marinopoulos, psychologue clinicienne , psychanalyste, fondatrice des lieux d’accueil « Les pâtes au beurre » ; Nathalie Mutel-Laporte, sage-femme, cadre de santé ; Rebecca Shankland, maitre de conférence en psychologie à Grenoble, responsable de l’observatoire de la parentalité et du soutien à la parentatlité ; Laurent Storme, professeur de pédiatrie ; Jacqueline Wenbdland, professeur des universités à l’institut de psychologie de Paris ; Richard Delorme, pédopsychiatre.
En appui : Tove Mogstad Slinde, conseillère auprès du ministre norvégien de l’éducation.
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