La médiation animale : un concentré de sensori-motricité et d’échange pour l’enfant

Depuis les années 1970, les bienfaits de la relation enfant-animal se sont faits jour. D’abord initiés sur le plan des soins, la démarche irrigue désormais la petite enfance bien portante. A la clé, pour les bambins, des trésors de découvertes, dans un bain sensori-moteur. A condition, toutefois, de ne rien laisser au hasard.
La relation entre humains et animaux est millénaire. « Actuellement, quand on parle de médiation animale, c’est comme si on voulait retrouver, sous un terme médical, quelque chose de jadis fondamentalement naturel» explique Daniel Marcelli, (pédopsychiatre, professeur émérite de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et Président d’honneur de la Fnepe (Ecole des parents et des éducateurs).

La France, pays pionnier en la matière
La notion de médiation animale recouvre la mise en relation intentionnelle entre humain et animal, dans le cadre d’un projet social thérapeutique ou éducatif et dans le respect de l’un et de l’autre. Cette approche a d’abord été utilisée dans le domaine du soin, avec des enfants à difficultés psychiques, relationnelles, mentales ou motrices, sous l’impulsion du pédopsychiatre américain Boris Levinson et, en France, du vétérinaire Ange Condoret. Si la France est l’un des pays pionniers en la matière, c’est sans doute parce qu’il est l’un de ceux où l’on compte le plus d’animaux familiers, avec près d’un foyer sur deux déclarant un animal de compagnie. Selon un sondage réalisé en 2016 par la Fondation Adrienne et Pierre Sommer, qui soutient le développement de pratiques fondées sur les interactions humain – animal, 91 % des personnes interrogées estimaient que l’animal familier pouvait contribuer au développement de l’enfant.
Face aux bienfaits avérés de la pratique, celle-ci a été élargie, depuis quatre ou cinq ans, aux enfants bien portants. Elle connaît notamment aujourd’hui un essor important dans les établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE), qu’il s’agisse de crèches publiques ou privées, de halte-garderie ou de lieux multi-accueils. Le tout, sous la forme d’ateliers ad hoc ou, de manière plus informelle, de mise en contact avec des animaux, sous forme de visites de fermes pédagogiques par exemple. « Sur les 80 à 90 appels à projets que nous recevons chaque année, une dizaine concerne la petite enfance (crèches, RAM, écoles maternelles…) », précise Boris Albrecht, directeur de la Fondation Sommer.

Une relation basée sur l’émotionnel et le sensoriel
Pour le petit enfant, le contact avec l’animal est en effet un concentré de bienfaits. « L’immense majorité des animaux familiers (chiens, chats, chevaux aussi ou autres animaux de ferme) sont attentifs aux petits enfants et ne les agressent pas, déclare Daniel Marcelli. Leur absence commune de maîtrise de la parole et leur extrême sensibilité aux expressions émotionnelles crée une sorte de proximité de statut entre l’enfant et l’animal, qui les rapproche l’un de l’autre. » Une analyse partagée par Boris Albrecht : « De 18 mois à 4-5 ans, l’enfant est vraiment dans le monde de l’affectif, dans le toucher, dans les émotions, pointe-t-il. L’animal permet une connexion directe à l’enfant et l’aide à mieux exprimer ses besoins et à reconnaître ses capacités. »
En ce sens, l’animal est, d’abord, un interprète-traducteur des émotions de l’enfant. « Ce n’est pas un hasard si les objets transitionnels ont forme souvent une forme d’animal, pointe Daniel Marcelli. Dans les dessins animés ou les contes, les héros qui leur parlent le plus sont des animaux qui souvent expriment ce que l’enfant pense ou ne peut ou n’ose pas dire. »
Claire Dhorne-Corbeil, psychomotricienne et diplômée en médiation animale, ajoute : « Les animaux dégagent de la chaleur, des odeurs, des bruits, ils sont agréables à toucher, ils bougent… On est à plein dans le sensori-moteur, développement de base du tout-petit. Donc la rencontre est forcément mobilisatrice de quelque chose : fascination, plaisir, peur parfois, car l’animal impressionne parfois l’enfant. Mais dans tous les cas, pour le tout-petit, la rencontre avec l’animal, c’est une impulsion vers la vie et vers l’autre, différent de soi. »

De l’affectif aux soins
Animal, pour le petit enfant, rime aussi avec partage. « Ce qui est bien, avec un animal que l’on peut tout lui raconter et qu’il ne répète rien ; c’est un compagnon présent et souvent disponible » sourit Daniel Marcelli. Cette dimension affective et émotionnelle prime jusqu’au 3-5 ans de l’enfant. Au-delà, c’est la dimension « soin à l’animal » qui prend la primeur. « A mesure que l’enfant grandit, l’on assiste à une sorte d’inversion des rapports : c’est lui qui devient le tuteur de l’animal », note Daniel Marcelli. A la clé, pour l’enfant, l’acquisition de la notion de la responsabilité, ainsi que celle du respect des besoins et des positions de l’autre, d’un être différent de lui et qui a aussi des limites et des exigences.

Chiens et chevaux en première ligne
Quels animaux privilégier pour ce type de rencontre ? « Dans nos appels à projets, nous voyons apparaître deux grandes familles, les canidés et les équidés, précise Boris Albrecht. Ils sont souvent accompagnés, dans les ateliers, de petits animaux de ferme (lapins, cobayes…). Le chien est le vecteur de communication numéro un, du fait de ses plus de 15 000 ans de cohabitation avec l’homme et qu’il est souvent en demande d’interactions avec l’humain. Le cheval, lui, est plus dans la fuite, dans l’esquive, mais présente l’intérêt de travailler sur l’approche de l’animal et sur la collaboration avec celui-ci. Les activités avec les ânes sont très positives aussi. Ce sont des animaux très intelligents et curieux, plutôt dans la collaboration et dans l’échange. Quand un âne ne veut pas réaliser une action, ce n’est pas parce qu’il est têtu, mais parce qu’il ne l’a pas comprise. Il pousse donc à travailler la communication. » Autre hôte phare des séances de médiation animale : le chat. « Il s’agit d’un animal à la fois très indépendant et très proche à la fois. Sa manière de se frotter, de se pelotonner, enchante le petit enfant », commente Daniel Marcelli.

Un projet à préparer soigneusement
Les spécialistes mettent toutefois en garde : pour porter pleinement ses fruits, dans un contexte apaisé et sécurisé, un atelier de médiation animale ne souffre pas de l’improvisation. Quelle que soit le type de médiation, l’ensemble des points touchant à l’accueil des animaux, à l’hygiène et la sécurité, ainsi que les activités mises en place auprès d’eux, doivent être anticipés et traités en amont. « Si le projet est bien construit, l’animal va démultiplier tous les effets positifs de la structure, pour les enfants comme pour le personnel. A l’inverse, s’il est mal monté, cela va cristalliser toutes les tensions de l’établissement, prévient Boris Albrecht. C’est pourquoi un projet de médiation animale met bien un an et demi à deux ans de préparation. » De son côté, Daniel Marcelli recommande : « Il faut éviter d’être dans un idéalisme excessif et angélique, car il y a des animaux dangereux. Par exemple, des animaux âgés ou à vécu traumatiques – comme ceux issus de refuges - peuvent parfois être irritables et ne pas supporter l’intrusion de l’enfant, ni que celui-ci vienne prendre leur statut. D’où la nécessité de sélectionner uniquement des animaux doux et patients, dont on connaît le passé et la manière dont ils ont été constamment bien traités. »  
Autant de conditions qui expliquent pourquoi les ateliers de médiation animale sont compliqués à mettre en œuvre et restent encore limités en EAJE. « De nombreuses réticences, des parents ou des professionnels, demeurent, pour de plus ou moins fausses raisons d’hygiène ou de dangerosité éventuelle des animaux, ce qui fait que beaucoup d’initiatives individuelles ont tourné court », regrette Claire Dhorne-Corbel.
 
Article rédigé par : Catherine Piraud-Rouet
Publié le 26 mars 2020
Mis à jour le 26 mars 2020