PARLER Bambin veut renforcer le langage des tout-petits

C’est un dispositif ambitieux mais controversé… L’approche PARLER Bambin, actuellement expérimentée dans près de cent crèches à travers la France, veut « améliorer significativement les compétences langagières des enfants de 3 à 36 mois » identifiés comme « petits parleurs » dans les crèches de zones à forte densité de population précarisée. Si, selon l’ANSA qui coordonne le projet, les retours sont plutôt enthousiastes et prometteurs, les critiques fusent de toutes parts et l’on manque encore d’études fiables pour en apprécier l’efficacité, malgré l’ampleur du dispositif déjà mis en place.
Aux balbutiements de l’approche PARLER Bambin, le Dr Michel Zorman, médecin et chercheur à l’Université et au CHU de Grenoble, proposait une méthodologie assez rigide, avec une perception du développement du langage très scientifique. Ses travaux sur le langage s’inspiraient directement d’expériences d’envergure, menées aux Etats-Unis et au Canada dans les années 60 et 70, qui mettaient en évidence l’influence de l’environnement de l’enfant sur ses acquisitions en matière de langage (notamment un milieu défavorisé, une famille monoparentale, le chômage, le manque de diplômes etc.). Ces études longitudinales justifient que le niveau de langage atteint à 2 ou 3 ans a un impact certain sur les apprentissages scolaires, les capacités de compréhension en lecture, les compétences syntaxiques et le vocabulaire. C’est en partant de ce postulat que l’approche PARLER Bambin fut théorisée puis expérimentée à Grenoble en 2008, en collaboration avec le Centre Communal d’Action Sociale (CCAS). Mais au fil de ses observations et de ses échanges avec les professionnels de la petite enfance « dont il a beaucoup appris », le Dr. Zorman a manifestement assoupli certaines postures excessives de son dispositif, dans la méthodologie comme dans la pratique. En reprenant PARLER Bambin en 2015, l’ANSA a également fait évoluer la formation : « la manière dont ont été formés les professionnels par les équipes de Grenoble n’a rien à voir avec la formation PARLER Bambin d’aujourd’hui, les modalités de mise en œuvre ne sont plus les mêmes » affirme Marguerite Bergès.

Des ateliers pour booster les « petits parleurs »
Acteurs de premier plan dans l’approche PARLER Bambin, les personnels des crèches sont formés sur trois volets. Dans un premier temps, on leur recommande de solliciter les enfants dans leur environnement quotidien pour les inciter à parler. D’individualiser la relation avec chacun d’entre eux en évitant l’usage du « on », en prénommant les enfants, en prenant le temps de converser avec eux, même avec les plus petits. Mais aussi, éviter d’anticiper leurs demandes, ne pas tout mettre à portée de main pour leur donner l’occasion de demander, quitte à semer quelques obstacles… Ensuite, la formation PARLER Bambin demande la mise en place d’ateliers de langage par groupe de deux ou trois, pendant 15 à 20 minutes, trois fois par semaine. La conversation s’appuie sur des outils simples (livres, photos) dans le but d’enrichir le vocabulaire et de renforcer l’estime de soi de ces enfants (dès 18 mois-2 ans) préalablement repérés « petits parleurs » par les équipes. Leurs progrès sont évalués et consignés après chaque atelier. Enfin, l’implication des parents reste un point essentiel dans la réussite du dispositif. L’équipe s’assure de leur coopération par des transmissions plus larges sur le développement de l’enfant, tente de les sensibiliser au plaisir du langage et de la lecture avec leur enfant, et les sollicite pour l’évaluer à la maison.

S’approprier pleinement la méthode

Malgré une formation commune, les structures semblent appliquer le PARLER Bambin de façon plus ou moins soutenue, adaptée à leurs sensibilités et à ce que leur permettent leurs effectifs, qui n’ont pas été renforcés pour autant. Ici on a adopté les « bonnes pratiques » pour favoriser le langage au quotidien mais l’idée des ateliers a été laissée de côté, faute de personnel et d’espace nécessaire. Là, on applique le programme à la lettre en remplissant des fiches et traçant des courbes d’évaluation. Ailleurs, hors de question d’évaluer et de tester l’enfant, la simple observation et le dialogue d’équipe restent les meilleurs outils. En partenariat avec la maison d’édition la Cigale, PARLER Bambin propose des imagiers, affiches et supports spécifiques pour appliquer le PARLER Bambin au quotidien. « Cependant, précise Marguerite Bergès de l’ANSA, les professionnels sont libres d’utiliser les supports qu’ils souhaitent afin de s’approprier pleinement la méthode. »  Car au delà de la formation, l’ANSA souhaite que les pros s’approprient les bonnes pratiques transmises par PARLER Bambin pour que le projet ne soit pas vécu comme une contrainte de plus mais vienne « infuser le quotidien ». « Dans chaque crèche, explique Marguerite Bergès (ANSA), c’est un EJE ou un volontaire qui est garant du projet et qui porte le rôle central de coordination des ateliers. Nous avons également mis en place un réseau des crèches formées, à qui nous proposons régulièrement des réunions pour réfléchir ensemble autour du langage, de notre motivation, des outils… ».  

Quelle efficacité pour PARLER Bambin ?
Si l’enthousiasme était palpable à ses débuts, il faut avouer que l’on manque encore de recul sur les effets à long terme d’une telle « stimulation ». « Les compétences de langage acquises dans leur 3e année vont-elles perdurer ? » s’interrogeait lui même le Dr. Zorman en 2011 dans la revue ANAE. Seule l’étude d’envergure, lancée en 2016 par l’ANSA, permettra d’analyser en profondeur la formation et l’accompagnement de PARLER Bambin et leur impact sur les pratiques professionnelles puis sur le développement des enfants, mais elle n’aboutira que fin 2020, début 2021 ! Pour en avoir le cœur net, la Direction Petite Enfance de la Mairie de Nantes a financé par ses propres moyens dès 2013, une recherche-action menée pendant trois ans par le CREN auprès des quatre multi-accueil de la ville de Nantes qui ont mis en place l’approche PARLER Bambin, afin d’évaluer la plus value du dispositif sur le développement langagier des enfants. L’étude, qui a suivi 294 enfants dont 128 jusqu’en PS, met en lumière le renforcement de la dynamique d’équipe et des bénéfices pour l’enfant dans des dimensions plus globales que le vocabulaire (communication avec des gestes, place dans le groupe, confiance en soi, capacités d’attention, etc.) mais ne met pas en évidence un effet positif global de l’approche PARLER Bambin sur les enfants, dont les progrès, identiques dans le groupe de contrôle et dans le groupe expérimental, ne semblent pas imputables au dispositif lui-même.  
 
L’inquiétude des professionnels de la petite enfance
Au delà de l’efficacité même de l’approche PARLER Bambin, les professionnels de la petite enfance se sont rapidement inquiétés du bien fondé de telle pratiques. En 2016 déjà, la Fédération des Orthophonistes de France (FOF) et la FNEJE 38 associée au collectif Pasde0deconduite, montraient leur inquiétude et mettaient en garde sur les dérives possibles de ce type de dispositif, sans trouver beaucoup d’écho auprès des politiques, emballés par la visée sociale du projet. « L’échange attendu est vu sous l’angle de la répétition (…). Le langage n’est pas QUE la langue bien formulée. La façon dont chaque enfant développe son langage est unique et ne répond pas à un programme d’apprentissage » soulève la FOF. Pour le collectif Pasde0deconduite, « l’intention louable de favoriser la future réussite scolaire des tout petits passe ici par une pression exprimée sur des enfants encore petits. » A la FNEJE 38, on s’offusque de ce dépistage précoce. « Arrêtons de pousser les enfants trop tôt par rapport à leur développement ! » demande Elodie Cuvillier, présidente de l’association. En 2018, Patrick Ben Soussan, Sylvie Rayna et de nombreux spécialistes de la petite enfance ont publié un livre à charge (« Le programme « Parler Bambin », enjeux et controverses » aux Editions Eres), dont nous faisions écho sur Les Pros de la Petite Enfance, mais au sujet duquel l’ANSA regrette de ne pas avoir été contactée.   
 
Article rédigé par : Laurence Yème
Publié le 15 février 2016
Mis à jour le 01 mars 2018