ESAR, une classification des jeux et des jouets

Depuis qu’il y a des jouets, la tentation et le besoin de les regrouper par catégories existent ! Plusieurs classifications se sont heurtées à la difficulté de prendre en compte à la fois les caractéristiques matérielles des jeux et la richesse des comportements des joueurs. La plus aboutie, connue surtout des ludothécaires, date de la fin du XXe siècle et vient du Québec. Son nom -ESAR- est un acronyme, E pour exercice, S pour symbolique, A pour assemblage, R pour règles, précédé de “système", mot qui désigne un ensemble structuré. Ses auteurs sont 3 psychopédagogues et un bibliothécaire (1), qui dans le cadre d’une recherche universitaire à Montréal,  ont collaboré à l’élaboration de cet outil opérationnel en 1982, finalisé en 1993 et enrichi en 2015. Les explications de Fabienne Agnès Levine, psychopédagogue.

 
Comment classer les jouets ?
ESAR s’adresse à différents professionnels de l'éducation et de l'animation mais pas tellement aux parents à qui il appartient de choisir et de regrouper les jouets de leurs enfants selon des critères personnels et intuitifs.À partir de connaissances issues à la fois de la psychologie et des techniques documentaires, le système ESAR est constitué autour de critères objectifs pour répertorier un grand nombre de jouets et lister leurs qualités éducatives. Comme pour les documentalistes avec les livres, la cotation à base de lettres et de chiffres est la garantie de critères communs facilitant le rangement et la circulation des objets.Une fois indexé, un matériel ludique sera donc répertorié de la même manière par tous les utilisateurs de cet outil méthodologique. Ainsi tous les jouets classés C221 ont comme point commun « la capacité de coordonner la perception visuelle à un mouvement précis de manipulation » en tant que jeux de coordination œil-main. À ne pas confondre avec les jouets A107 qui répondent à la définition des jeux de manipulation : « exercices et expériences de jeux avec des mouvements de préhension comme saisir, serrer, taper, lacer, façonner, vider, remplir, tracer etc répétés pour le plaisir de résultats immédiats ».

L'improvisation n'est pas permise car la cotation prend du temps, nécessite la consultation des grilles de définitions et se fait de préférence à plusieurs. De ce fait, une fois qu’un jouet est coté, tous les autres utilisateurs d’ESAR peuvent bénéficier de cette démarche analytique.

Quels sont les critères d’ESAR ?
La classification ESAR s’appuie sur les stades de développement établis par le psychologue Jean Piaget (1896 - 1980). Elle comporte 4 catégories de jeux et une trentaine de sous-catégories. Sans être superposables à des âges, les 4 grands groupes sont constitués autour de la progression de la maturité intellectuelle.

Les jeux d’exercice ont comme point commun le fait de susciter un « jeu sensoriel et moteur répété pour le plaisir de s’exercer, de réussir et de produire des résultats immédiats ». La plupart des jouets des deux premières années en font partie car pendant le stade de l’intelligence sensori-motrice, les conduites exploratoires sont nombreuses. Cependant il existe des jeux d’exercice complexes qui sont pratiqués à tout âge, comme certains jeux moteurs.
Les jeux symboliques « permettant de faire semblant, d’imiter les objets et les autres » apparaissent à la fin de la seconde année, pendant le stade de l’intelligence représentative, et durent longtemps.  
Les jeux d’assemblage « qui consistent à réunir, à combiner, à agencer, à monter plusieurs éléments pour former un tout, en vue d’atteindre un but précis » s'adressent à tous les âges, dès un an, car leur niveau de difficulté est très large. Ils font appel à différents niveaux d'intelligence des stades sensori-moteur, représentatif et logique.
Les jeux de règles « qui comportent un code précis à respecter et des règles acceptées par les joueurs » correspondent au stade de l'intelligence logique qui repose d'abord sur des opérations mentales concrètes puis formelles. Piaget situait les premiers jeux avec des conventions vers 6 ans, lorsque l'intelligence commence à se détacher de l'expérience vécue en anticipant les résultats et en formulant des hypothèses. De nos jours, il existe des jeux de règles simples qui plaisent aussi aux enfants de 2 à 6 ans.
L'étude complète d’un jeu comporte 6 facettes et plusieurs sous-catégories qui entrent dans les détails et affinent la description.
Par exemple, pour une boîte à formes classique :
Facette A (type de jeux) : A107 (jeu de manipulation)
Facette B (habiletés cognitives) : B302 (apparier), B303 (identifier les couleurs), B 304 (identifier les formes)
Facette C (habiletés fonctionnelles) : C106 (préhension), C107 (déplacement), C108 (mouvements dans l’espace).
Cet examen minutieux peut être approfondi encore dans 3 autres domaines, celui des activités sociales (facette D), des habiletés langagières (facette E) et des conduites affectives (facette F).

ESAR a comme particularité d'analyser du matériel ludique avec des critères psychologiques, sans observer les joueurs. Les jouets ne comportent pas tous des éléments distinctifs dans chacune des 6 facettes. Par ailleurs 2 jouets en apparence identiques n’ont pas systématiquement les mêmes cotes si ils possèdent des caractéristiques différentes, comme une boîtes à formes en bois non figurative et une autre représentant un escargot sur un socle à quatre roues. C'est uniquement la manipulation de chaque jeu ou jouet, soumise intellectuellement à l’épreuve des descripteurs ESAR (un ensemble de définitions), qui détermine les cotations de chaque facette.

D’ESAR à COL : vers une simplification
En 1989, Odile Perino a été la première à utiliser la grille d’analyse ESAR dans une ludothèque française qu'elle a créée et dirigée, à Lyon. Pendant plusieurs années, elle a contribué à la rédaction de centaines de fiches publiées dans le "Ludoscope". Connaissant bien la complexité de la classification québécoise, elle a donc eu l’idée d’élaborer avec son équipe une version simplifiée, publiée en 2002 sous le nom de COL, classement des objets ludiques.

Ce classement est focalisé sur les catégories de jeux d’exercice, symboliques, d’assemblage et de règles. La codification est plus rapide à établir et plus facile à retenir, avec des abréviations plutôt que des cotations à base de lettres et chiffres. Par exemple, une toupie est répertoriée E sen-man, soit E pour « exercice », puis sen pour « sensoriel » et man pour « manipulation ». Un domino est répertorié R ass, R pour « règles » et ass pour « association ».

Les deux outils méthodologiques sont complémentaires et répondent à des besoins différents. Pour déterminer le procédé ludique d’un jeu, correspondant à la première facette d’ESAR, il faut consulter le manuel COL, d'une vingtaine de pages seulement. Pour une analyse approfondie d’un point de vue psychologique, en distinguant toutes les compétences sensori-motrices, intellectuelles et sociales à l’œuvre chez le joueur, le guide ESAR, épais et contenant de nombreux concepts à assimiler, est difficile à utiliser sans une formation spécifique.

Pourquoi utiliser ESAR  et COL ?


En ludothèque mais aussi dans d’autres espaces collectifs, le matériel de jeu se compte en plusieurs dizaines d’objets et atteint facilement une ou quelques centaines. Pour gérer les stocks au moment du prêt, du retour, de la vérification, du rangement et de la mise en circulation des jouets, il est nécessaire de trier, classer, attribuer un code, répertorier manuellement ou avec un logiciel.

Dans les établissements d’accueil de la petite enfance, les jouets font souvent l’objet d’une gestion plus improvisée et sans critères fixes, excepté en ce qui concerne les protocoles de nettoyage. S’initier à ESAR donne aux professionnels de la petite enfance un autre regard sur les joueurs et leur matériel de jeu, rend plus scrupuleux en terme de rangement mais aussi d’aménagement de l’espace.

Le fait d'adopter une organisation rationnelle des jouets selon ESAR, COL ou toute autre classification n’a pas pour objectif d’interférer sur le comportement des joueurs mais de mettre en valeur la richesse potentielle du matériel de jeu. En aucun cas le fait de classer, définir, étiqueter doit empêcher de répondre au besoin fondamental de jouer. Les deux démarches sont bien distinctes : catégoriser et comprendre un matériel ludique d'une part, respecter la liberté et les initiatives de son utilisateur d'autre part.


1) Denise Garon, disparue en 2005, Marion Doucet , Rolande Fillion, qui continue à promouvoir le système ESAR dans plusieurs pays et  Robert Chiasson.

Pour aller plus loin, suivre notre formation en ligne : Aménager et équiper les espaces de jeux.




 

Pour aller plus loin

Pour découvrir ESAR et COL :
Casal A-S, Jacob S, Le jeu de l’enfant : du nouveau-né à l’enfant de six ans, Vuibert, la collection de l’assistante maternelle
Perino O, Des espaces pour jouer. Pourquoi les concevoir ? Comment les aménager ?  Erès
Le COL, Classement des Objets Ludiques, FM2J Editions (bon de commande sur le site de FM2j)
Filion R, Le système ESAR. Guide d’analyse, de classification et d’organisation d’une collection de jeux et jouets, version 2002 ou 2015 (bon de commande sur le site de l’ALF)

Pour se former à ESAR :
Site de l’association des ludothèques françaises ; http://www.gestasso.com/association/associationdesludothequesfrancaises/
Site de Rolande Fillion, co-auteur d’ESAR : http://www.systeme-esar.org/
Site de Patricia Oger, consultante ludothèque : http://www.creation-ludotheque.fr/
Site du centre national de formation aux métiers du jeu et du jouet à Lyon : http://www.fm2j.com

 

Article rédigé par : Fabienne Agnès Levine
Publié le 12 octobre 2016
Mis à jour le 02 juillet 2019