Assistante maternelle : quand et comment recourir aux Prud'hommes ?

Un conflit avec les parents-employeurs ? Le litige peut être réglé, à l'amiable ou par le biais d'un jugement, par le conseil des Prud'hommes. Mais la procédure prud'homale est loin d'être un long fleuve tranquille... Bien au contraire, elle peut même parfois se faire aux dépens de l'assistante maternelle qui l'a entamée. D'où l'intérêt de bien s'y préparer et de se poser les bonnes questions avant de se lancer !
Quand faire appel aux prud'hommes ?
Comme tous les salariés du privé, les assistantes maternelles ont la possibilité de faire valoir leurs droits professionnels et les litiges avec leur employeur devant le conseil des Prud'hommes. Plus précisément, les Prud'hommes, comme on les surnomme communément, sont compétents dès lors que :
- il y a un contrat de travail de droit privé, écrit ou oral, entre l'employeur et le salarié,
- les litiges sont d'ordre individuel et relatifs au dit contrat pendant son exécution, voire dans certains cas, après sa cessation.  
Des salaires ou heures supplémentaires impayés, des conditions de licenciement non respectées, des congés non rémunérés... En théorie, l'assistante maternelle peut donc réclamer que « justice soit faite » pour tous les litiges qui ne sont pas en rapport avec son agrément (du ressort de la Commission Consultative Paritaire Départementale et du tribunal administratif) auprès du conseil prud'homal dont elle dépend. La compétence des prud'hommes étant territoriale, elle est donc établie en fonction de la domiciliation de la professionnelle.

Prud'hommes : une procédure qui a évolué
En pratique, la procédure est plus complexe. En atteste un chiffre : en 2012, il fallait attendre en moyenne entre 15 mois (en province) et 22 mois (à Paris) pour obtenir un jugement de fond relatif à un litige entre un salarié et son employeur, en partie du fait de l'incapacité des tribunaux à traiter les (trop) nombreux dossiers qui leur étaient soumis. Pour cette raison, la réforme de la procédure prud'homale de 2016 (1), ou loi Macron, a entrepris de désengorger les salles d'audience. Dans les grandes lignes, la procédure reste, pour le salarié et donc les assistantes maternelles en conflit avec leur employeur, la même.
- Première étape, les parties participent à une audience devant le bureau de conciliation, devenu avec la réforme bureau de conciliation et d'orientation (BCO). Le BCO ne se prononce alors pas sur le fond du dossier mais cherche un terrain d'entente à même de satisfaire les deux parties dans le règlement du litige.
- En cas d'échec de la conciliation, l'affaire est renvoyée devant un bureau de jugement composé de 4 membres : 2 représentants des salariés et 2 représentants des employeurs.
- En l'absence de jugement, une audience de départage est organisée en présence d'un juge départiteur du tribunal d'instance, à l'origine, de grande instance, depuis la réforme.

Prud'hommes : la cause n'est pas acquise aux assistantes maternelles
S'il est encore trop tôt pour dire si la réforme porte vraiment ses fruits en termes de rapidité des procédures, les représentants des assistantes maternelles déplorent qu'elle soit défavorable aux salariés isolés dont les assistantes maternelles font partie. « Avec la réforme, saisir les Prud'hommes est devenu plus difficile pour les professionnelles. Dès cette première étape de la procédure, elles doivent désormais préciser tous leurs chefs de demande, soit ce qu'elles réclament, à quel titre et les dédommagements attendus, ainsi que donner toutes les preuves écrites afférentes, » explique Liliane Delton, secrétaire générale de l'UNSA-ASSMAT au sujet du fameux formulaire CERFA de requête introductive d'instance.
Sans compter que la procédure en elle-même est loin d'être « biaisée » en faveur du salarié, comme on a tendance à le penser trop souvent. « On observe parfois, en bureau de jugement, un handicap pour les assistantes maternelles et un a priori positif vis-à-vis des parents employeurs, notamment car les conseillers représentants des salariés ont eux-mêmes souvent été dans ce cas, » continue-t-elle. Autre écueil plus fréquent qu'il ne parait : les conseillers ne sont pas toujours familiarisés avec les spécificités légales du métier d'assistante maternelle (subtilités entre les années complètes et incomplètes, heures supplémentaires et complémentaires, etc.), ce qui peut, là encore, avoir une incidence sur un éventuel jugement.

Recours aux prud'hommes : les bonnes questions à se poser
« On ne va pas aux Prud'hommes comme chez l'épicier ! »... La comparaison peut paraître un brin triviale mais elle a le mérite d'être claire : la procédure aux prud'hommes doit faire suite à une réflexion longuement murie par l'assistante maternelle, autour de 4 grands axes :
1. Ma démarche repose-t-elle sur des faits et ai-je les documents nécessaires pour les étayer (feuille de présence, emails, etc.) ?
Sur ce point, Liliane Delton est sans équivoque : « Toutes les disputes, les "on dit", les situations d'affect qui ne relèvent pas du droit du travail mais de la relation entre la professionnelle et les parents sont irrecevables ! La décision de justice se base sur des faits appuyés par des preuves et les conseillers jugent selon la législation en vigueur ».
Premier réflexe pour une professionnelle en litige : faire un bilan de toutes les pièces qu'elle peut apporter à son dossier et vérifier en quoi elles appuient les chefs de demande sur lesquels se basera l'instruction. À noter : ces pièces sont d'autant plus importantes qu'elles sont nécessaires, depuis la réforme, dès la saisine du conseil, mais aussi en cours de procédure. En effet, la loi Macron a instauré la mise en état des affaires avant l'audience du jugement. Dès lors, les parties sont obligées de fournir les arguments et les pièces avant le passage devant les conseillers. « Avant le jugement, chaque partie doit remettre ses conclusions à la partie adverse et il peut être nécessaire d'apporter à ce stade des documents complémentaires pour chaque chef de demande, » continue-t-elle. Sans compter que les parties peuvent se renvoyer le dossier jusqu'à ce qu'il soit estimé complet (selon le principe des répliques). Résultat : la liste des documents à fournir tend à s'allonger... et la procédure à se rallonger !

2. Ai-je à ma disposition tous les éléments (adresse de l'employeur, etc.) et les moyens (possibilité d'avancer les frais) pour mener la procédure à terme ?
Même si la professionnelle dispose de tous les documents attestant du bien-fondé de sa requête, la procédure en elle-même peut impliquer des frais et des démarches qu'on ne prévoit pas toujours. Mieux vaut donc s'y tenir préparée ! Un exemple concret : « La convocation des parents-employeurs à l'audience de conciliation et de mise en état se fait par courrier recommandé, » explique la représentante syndicale. « Or, certains parents ne vont pas chercher leur recommandé et c'est alors à l'assistante maternelle de les faire citer par un huissier. Cette seule démarche, qui n'est pas isolée, à un coût (80 euros), qui est aux frais de la professionnelle sans garantie de remboursement ultérieur ». Identiquement, il faut, avant toute conciliation, pouvoir remettre le dossier à la partie adverse. « Or, ce n'est pas à la justice d'aller chercher l'employeur. Si l'assistante maternelle n'a pas l'adresse des parents (suite à un déménagement par exemple), la procédure ne pourra pas être entamée, » continue-t-elle.

3. Ma requête est-elle réaliste ?
Certes, il est totalement justifié de vouloir faire prévaloir ses droits devant la justice, mais il faut garder à l'esprit que toutes les procédures aux Prud'hommes n'ont pas des « fins heureuses ». Liliane Delton ne cesse de le souligner : « toute démarche prud'homale doit être faite avec discernement. Si l'assistante maternelle est déboutée, la professionnelle peut être condamnée à rembourser les frais de justice de la partie adverse (2) ». Et de rappeler qu'il est donc risqué (et contre-productif) de faire appel à la justice pour des litiges mineurs comme quelques centaines d'euros de salaire impayées.
De la même manière, rien ne garantit que la professionnelle soit indemnisée... même si la décision de justice est en sa faveur : « Si les employeurs sont respectueux de la justice, ils s'acquitteront des montants dus. Mais le conseil des prud'hommes ne fait pas exécuter ses jugements. Si les parents refusent de payer, c'est alors à l'assistante maternelle de contacter un huissier pour organiser la saisie des comptes ou du salaire... à ses frais, » explique-t-elle (voir le témoignage ci-dessous). Et bien évidemment, s'il n'y a pas de salaire ou que la famille est en situation de surendettement, la saisie est simplement impossible. D'où l'importance de toujours s'assurer que les employeurs sont solvables.

5. Suis-je accompagnée dans ma démarche ?
En facilitant le travail des tribunaux, la réforme Macron a complexifié à certains égards le recours aux Prud'hommes pour les salariés. Pour optimiser ses chances de voir la procédure aboutir en sa faveur, il est donc conseillé de se faire accompagner par un avocat ou un représentant syndical. Et en la matière, il n'y a pas de bon ou de mauvais choix. Le soutien d'un représentant syndical a le grand avantage d'être gratuit, à condition que la professionnelle soit affiliée à ladite organisation. Toutefois, lors de l'audience de jugement, le représentant syndical ne bénéficie que de 10 minutes à la barre, là où l'avocat peut défendre son cas plus longuement. Le recours à un avocat par contre, induit des coûts plus élevés pour la salariée... qu'elle ne se verra pas nécessairement remboursés ! Là encore, tout est une question de réflexion préalable !


Merci à Liliane Delton, secrétaire fédérale nationale de l'UNSA-ASSMAT
(1) Décret n°2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail
(2) Selon l'article 700 du Code de Procédure civile,
« Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ».

Le témoignage d'Annie, assistante maternelle depuis 11 ans

"J'ai entamé une procédure aux Prud'hommes au tout début de ma carrière. À l'époque, les parents d'une petite fille que j'accueillais ont arrêté de me payer pendant plusieurs mois. Malgré mes courriers de mise en demeure, ils n'ont jamais versé les salaires manquants. Je me suis donc tournée vers les Prud'hommes. Mes employeurs ne s'étant manifestés ni au cours de la conciliation, ni lors de l'audience devant le conseil, j'ai obtenu un très bon jugement en ma faveur (versement des salaires, article 700, dommages et intérêts). C'est là que j'ai déchanté : les parents ont continué être aux abonnés absents, sans volonté de s'acquitter de leurs dus. Mon avocate m'a alors parlé des frais d'huissier (400 euros) à prévoir pour la saisie. Après presque 2 ans de procédure et plusieurs milliers d'euros en frais légaux, j'ai préféré abandonner plutôt que de continuer à avancer de l'argent que je n'avais plus l'espoir de revoir... »

Article rédigé par : Véronique Deiller
Publié le 13 octobre 2017
Mis à jour le 09 décembre 2019