Nathalie Jouzeau, EJE : « Les nounous exercent un métier complexe qui mérite d’être connu et reconnu »

Nathalie Jouzeau est éducatrice de jeune enfant. Elle a travaillé pendant une quinzaine d’années en Relais petite enfance (ancien Ram) dans une banlieue située au sud de Paris. Dans ce cadre, elle a accueilli régulièrement des gardes à domicile accompagnées des enfants dont elles avaient la charge. Dans Des Nounous au cœur des familles, son dernier livre paru aux éditions Chronique sociale, la professionnelle de la petite enfance livre ses fines observations sur le travail complexe de ces femmes ainsi que des pistes de réflexion pour le professionnaliser.

 
Les Pros de la Petite Enfance : Pourquoi une éducatrice de jeune enfant décide un jour d’écrire un livre sur le métier de garde d’enfant à domicile ?

Nathalie Jouzeau : Plusieurs gardes d’enfant à domicile  fréquentaient le  Relais petite enfance où j’ai exercé pendant quinze ans,  Elles étaient plus nombreuses que les assistantes maternelles. En tant qu’éducatrice de jeune enfant, je ne connaissais pas ce métier et je doutais de la qualité de ce travail. Mais au fil des années, j’ai appris à les connaître et j’ai pu me rendre compte de leurs multiples compétences. Elles ne rendent pas un service à une famille, elles exercent un métier. Mais un métier particulier qui correspond à un mode de garde intéressant et confortable pour les parents qui travaillent avec une large amplitude horaire. Ce métier mérite d’être connu et reconnu.

Pourquoi avoir fait le choix d’utiliser le terme « nounou » ?
Nourrice, nounou, garde à domicile, auxiliaire parentale… Je me suis moi-même demandée comment les nommer. C’est vrai que le terme « nounou » est péjoratif car pas assez professionnalisant. Mais je trouve les dénominations « auxiliaire parentale » et « garde à domicile » très administratives et pas très jolies. Du coup, j’ai demandé à celles que j’accueillais quel terme elles utilisaient pour se nommer et elles m’ont toutes répondu « nounou ». Malgré ma propre résistance, j’ai fait le choix d’utiliser ce mot car je ne voulais pas les trahir mais aussi parce que le terme comporte une dimension affective et correspond davantage à ce qu’elles font. Ce choix peut faire controverse, mais je l’assume.

Comment voyez-vous désormais le métier de garde d’enfant à domicile au XXIe siècle ?
Quand on retrace l’histoire des nounous à travers le temps mais aussi à travers des personnages fictifs, notamment dans la mythologie, ce qui frappe, c’est le rôle important qu’elles jouent auprès des enfants mais aussi auprès des familles, car cet exercice particulier se passe au cœur des foyers et de l’intime. Elles sont dans la vie des parents. Aujourd’hui encore, des nounous peuvent rester de nombreuses années dans une même famille pour s’occuper de la fratrie, elles sont alors ancrées dans le foyer. Des liens peuvent même aboutir à de belles histoires d’amitié.

Ce mode de garde n’est-il pas daté et/ou réservé à une minorité de familles ?
Il y a encore quelques années, c’était assez rare de trouver des gardes d’enfant à domicile, ce mode de garde étant réservé plutôt à des familles aisées, mais aujourd’hui il se démocratise. Par exemple,  la garde à domicile partagée permet à deux familles de diviser le salaire de la nounou en deux. Employer une nounou devient une alternative pour les familles plus modestes car les places en crèches sont très rares et les assistantes maternelles de moins en moins nombreuses… Ces dernières années, j’ai même rencontré des agents de crèche et des auxiliaires de puéricultures qui ont fait le choix de quitter leur structure collective pour travailler dans des familles. C’est un phénomène assez nouveau qu’il serait intéressant d’analyser.

Comment devient-on garde d’enfant à domicile ?
Aucun diplôme, aucune formation et aucun agrément ne sont requis pour devenir garde d’enfant à domicile... Il existe une certification ( https://www.francecompetences.fr/recherche/rncp/7404/) garde à domicile, mais elle n’est pas obligatoire. Seuls la rencontre et l’entretien avec la famille sont déterminants et aboutissent (ou non) à un contrat de travail plus ou moins négocié. Ce contrat dépend de la convention collective de la branche du secteur des particuliers employeurs et de l'emploi à domicile. Pour la nounou, cela nécessite d’avoir au préalable des connaissances sur ses droits, sur les conditions de travail ainsi que les salaires pratiqués. Ce n’est pas évident pour celles qui débutent. Il existe aussi des entreprises privées qui font le lien entre les nounous et les familles mais ça coute plus cher aux familles sans forcément apporter davantage de garanties et empêcher d’éventuelles difficultés.

Quelles sont ces principales difficultés que peuvent rencontrer les gardes d’enfant à domicile ?
La mission d’une garde d’enfant à domicile consiste à s’occuper des enfants et de tout ce qui tourne autour des enfants. Elle n’est pas là pour faire le ménage ou le dîner de toute la famille. Dans la pratique, il n’y a pas de règlement qui le spécifie et il y a parfois des abus… Lorsqu’un conflit éclate avec la famille, la garde d’enfant à domicile est seule face aux parents qui sont ses employeurs. Elle n’est pas soutenue par une structure. Une autre difficulté est apparue récemment avec le développement du télétravail. C'est difficile pour elle de s’occuper de l’enfant en présence du parent ! Mais certaines y arrivent très bien. Même sans télétravail, trouver sa place professionnelle dans la sphère privée nécessite des qualités relationnelles extrêmement subtiles et fines.

Ce savoir-être est aussi une compétence professionnelle…
Bien sûr ! Même si elles l’ont appris de manière empirique et non par le biais d’une formation. Certaines d’entre elles communiquent beaucoup avec les parents dans un respect mutuel ce qui, de fait, instaure une coéducation. Elles s’adaptent constamment, tout en gardant leur personnalité et leur culture. Par leur expérience mais aussi grâce aux formations auxquelles elles s’inscrivent - la formation continue est un droit et les parents reçoivent une compensation financière pour trouver une remplaçante - elles peuvent aussi apporter du soutien, notamment aux jeunes parents qui se sentent parfois perdus.

Pourtant le regard que porte la société sur ce métier est peu valorisant. Comment changer la donne ?
Tout ce qui se passe dans la sphère domestique a peu de valeurs aux yeux de la société. Les métiers du care demeurent peu visibles et manquent de reconnaissance. En ce qui concerne la garde à domicile, toute la difficulté consiste à professionnaliser ce métier particulier sans le déshumaniser. Une nounou ne peut pas être formatée pour devenir interchangeable parce qu’il y a une dimension affective et un savoir-être indéniables dans la relation avec l’enfant et ses parents. En revanche, elle peut être outillée – via par exemple une formation certifiante qu’elle pourrait suivre en travaillant – pour connaître ses droits et ses devoirs, savoir réagir en cas de conflit, mais aussi pour pouvoir exercer et enrichir sa pratique au quotidien auprès des enfants. Surtout, il faudrait qu’il existe des lieux adaptés à la petite enfance (au-delà du relais petite enfance) pour que les nounous puissent sortir de la maison, se retrouver avec les enfants et constituer un réseau d’entraide entre elles. Il y a un véritable enjeu sociétal à améliorer et valoriser ce mode de garde qui correspond à un besoin pour les familles.

 
Article rédigé par : Propos recueillis par Anne-Flore Hervé
Publié le 30 janvier 2023
Mis à jour le 30 janvier 2023