Etude Label Vie : le bonheur est dans la micro-crèche !

Ce premier article aborde une des surprises de l’étude Label  Vie sur la qualité de vie au travail des professionnels exerçant en crèche. Pour Pierre Moisset, auteur de l’étude, par-delà une image de mode d’accueil dérégulé, voire « low cost » (voir encadré), les micro-crèches semblent être, aux yeux des professionnels qui y travaillent, des lieux de « bonheur professionnel » particulier. C’est une surprise et c’est une surprise qui interroge plus globalement la conception que l’on peut se faire de l’accueil de la petite enfance et des conditions de sa qualité. Cette qualité ne résiderait-elle pas dans des petits collectifs d’enfants et de professionnels et dans une autonomie laissée à ces derniers notamment par rapport à la direction ? Les explications et réponses du sociologue. 
Les professionnels en micro-crèche semblent particulièrement heureux à travers l’étude réalisée avec Label Vie, ils déclarent ainsi :
•    Plus fréquemment une meilleure entente entre collègues
•    Plus fréquemment pouvoir faire des propositions au travail 
•    Plus fréquemment avoir de l’autonomie dans le travail
•    Et moins fréquemment être exposés à un travail trop rapide 

Nous allons explorer successivement dans cet article tout ce que l’on a pu apprendre sur la situation de ces professionnels par rapport à leurs conditions matérielles de travail (qualité des locaux et manipulations physiques quotidiennes), la qualité de leur relation d’équipe, le sentiment d’engagement et d’autonomie au travail et, enfin, la qualité du travail réalisé avec les enfants.

Des locaux de qualité et un bien-être matériel pour les pros 
On  aurait pu penser que l’accueil en micro-crèche rimerait avec un moindre confort matériel d’accueil, pour les professionnels comme pour les enfants. Parce que ce sont des établissements plus petits, qui s’ouvrent dans des bâtiments qui ne sont pas,  initialement,  forcément prévus à cet effet… Et bien les réponses des professionnels nous disent le contraire. En croisant le type d’établissement avec la qualité perçue des locaux par les professionnels, on observe principalement une différence entre les micro-crèches et les autres établissements (multi-accueil de différentes tailles, crèches). 
Les micro-crèches sont systématiquement mieux notées en terme de qualité des locaux (isolation phonique et thermique, luminosité, locaux pratiques, suffisamment vastes etc…). Cette différence se fait principalement sur l’isolation phonique et thermique (les écarts d’appréciation y sont les plus importants). Et cette différence d’appréciation des locaux entre professionnels de micro-crèche et les autres se maintient même si l’on raisonne uniquement sur les établissements les plus petits (en dessous de 30 places). Signe qu’elle n’est pas issue de la comparaison des micro-crèches avec des établissements plus grands mais aussi plus anciens, mais qu’elle reflète également une différence réelle de conception et de qualité des locaux. Les micro-crèches bénéficient probablement du fait d’être plus récentes, conçues et construites avec des savoirs et une sensibilité à l’accueil des jeunes enfants qui ont gagné en importance ces dernières années.

Ce bien-être matériel des professionnels en micro-crèche est confirmé lorsque l’on aborde la question des manipulations physiques (faciles ou pénibles) nécessaires au travail d’accueil des jeunes enfants et leur fréquence. Là encore, on aurait pu penser que la petitesse des micro-crèches irait de pair avec la nécessité de manipuler des lits, des rangements, des mobiliers pour aménager les temps de vie… et c’est tout le contraire qui ressort des réponses des professionnels. C’est en micro-crèche que les professionnels déclarent le plus fréquemment qu’aucune manipulation n’est nécessaire dans leur travail et qu'ils déclarent également le plus fréquemment que les manipulations sont faciles. Donc, le travail en micro-crèche est marqué plutôt par une absence de manipulations physiques ou des manipulations faciles. Ce sont donc des établissements qui semblent mieux pensés et conçus pour les professionnels, suffisamment récents et construits avec des normes plus exigeantes par rapport à l’ensemble du parc des EAJE. 

Des petites équipes mais des équipes qui s’entendent particulièrement bien 
Nous avons abordé dans l’étude les relations d’équipe sous l’angle de l’entraide (pouvoir compter sur ses collègues), de l’entente et de la cohérence (partager les mêmes valeurs, la même conception du travail). Les professionnels en micro-crèche se distinguent sur le sentiment d’entente et d’entraide de l’ensemble des autres professionnels. Ils ont également plus fréquemment un sentiment de cohérence d’équipe, mais sur ce dernier point, ils font partie de l’ensemble des professionnels travaillant dans de petits établissements (moins de 20 places). Aussi, le travail en micro-crèche, au regard de la taille de l’équipe va avec une plus grande proximité entre professionnels et une plus grande mise en cohérence. 

L’engagement et l’autonomie dans le travail 
Nous avons également testé la qualité de vie au travail en approchant la maîtrise que les professionnels ont de leur activité. Que ce soit à travers la possibilité de pouvoir proposer des changements ou améliorations dans le travail, le sentiment d’être autonome, le sentiment de travailler à un rythme trop rapide et, enfin, le sentiment d’être fréquemment interrompu dans le travail. Ces différentes variables approchent une même dimension de maîtrise de son activité à travers son rythme et sa continuité, la capacité de prendre des décisions (autonomie) ainsi que le fait de faire valoir son expertise (proposer des améliorations et changements). Les professionnels en micro-crèche disent plus fréquemment pouvoir « facilement » proposer des améliorations, être autonome dans le travail, et ne pas travailler à un rythme trop rapide. Ce dernier point (le rythme de travail) est d’autant plus remarquable que, au sein de notre échantillon, la plupart des micro-crèches relèvent de gestionnaires privés lucratifs. Et que l’on observe par ailleurs une relation significative entre ces gestionnaires et le fait de déclarer plus fréquemment (pour les professionnels) travailler à un rythme trop rapide. Donc, même dans un contexte de pression au travail propre au privé lucratif, les micro-crèches semblent être des enclaves plus paisibles ou, tout du moins, des enclaves où les professionnels se sentent plus en maîtrise et en prise sur leur travail. 

La qualité du travail avec les enfants
Nous avons abordé la qualité du travail avec les enfants à travers toute une série de questions demandant aux professionnels de s’évaluer sur différentes dimensions de ce travail : respecter le rythme des enfants, avoir une relation suffisamment personnalisée avec eux, proposer des activités intéressantes, proposer un environnement sain etc… Pour plus de clarté dans les analyses, nous avons regroupé certaines questions dans des variables synthétiques regroupant l’information dispersée dans différentes questions portant sur des thèmes proches. 
Ainsi, la variable « connaissance et accompagnement personnalisé de l’enfant » regroupe les évaluations que font les professionnels du respect de l’individualité de l’enfant, de la connaissance qu’ils en ont etc… Deuxième variable synthétique, l’animation du collectif d’enfants qui regroupent les questions relatives à l’aménagement des relations entre enfants, les activités proposées…  Enfin, troisième variable, la qualité de l’environnement d’accueil qui regroupe les évaluations sur un « environnement sain », l’alimentation, proposer suffisamment d’espace et un bel environnement… 

Sur ces différents points, les professionnels de micro-crèches, avec les autres professionnels travaillant dans de petits établissements (moins de 11 places), se distinguent en déclarant plus fréquemment faire un travail de qualité sous cet angle de l’accompagnement personnalisé des enfants. En revanche, on n’observe pas de différences significatives concernant l’animation du collectif et l’environnement. Cela pourrait sembler contradictoire par rapport à ce que l’on a vu plus haut concernant la qualité des bâtiments. Mais peut être que, sur la question de la qualité du collectif d’enfants et de l’environnement, les micro-crèche souffrent aux yeux de leurs professionnels de ce qui fait leur force sur l’accompagnement personnalisé : leur taille. Un environnement peut être bien conçu, pratique, bien isolé et plaisant, s’il est aussi limité par la taille de l’établissement, ses apports sont relativisés. De même la qualité de l’animation du collectif d’enfants peut être moins sensible parce que les groupes d’enfants sont bien plus petits. Et de plus, on a observé que cette qualité d’animation variait non pas en fonction de la taille et du type d’établissement mais en fonction de l’accueil par section d’enfants ou en âges mélangés et de la qualité des relations des professionnels avec la direction. Or, ces relations à la direction sont, logiquement, vécues comme plus distantes et moins soutenantes en micro-crèche. 

Ombres et lumières des micro-crèches 
Au sortir de ces analyses, les micro-crèches n’apparaissent pas comme des lieux de dérégulation du travail d’accueil de la petite enfance. Des lieux qui, à ce titre, donneraient le sentiment aux professionnels de faire du moins bon travail auprès des enfants, dans de moins bonnes conditions et sans coordination professionnelle. Ce sont des bâtis et des aménagements plus fréquemment de qualité, qui ont l’air suffisamment bien pensés pour donner un sentiment de confort aux professionnels. Des lieux également où les professionnels se sentent à distance de la direction mais à proximité et en forte cohérence les uns avec les autres. Ces qualités liées à leur nouveauté et leur taille leur donnent, on l’a vu, beaucoup d’intérêt aux yeux des professionnels. Voilà pour ce qui est des lumières. 

Au titre des ombres, on peut souligner que la distance vécue avec une direction « itinérante »  empêche les professionnels de micro-crèches de ressentir certains des avantages de l’encadrement. : notamment la réflexion et l’encadrement qui semblent être des supports de la bonne animation du groupe d’enfants. Autre ombre, le fait de relever de gestionnaires privés lucratifs dont les politiques de ressources humaines sont plus dures (on y viendra dans un prochain article) modère, aux yeux des professionnels, certains avantages du travail en micro-crèche. Quoiqu’il en soit, ces établissements ne semblent pas être les petits chevaux de Troie du libéralisme dans l’accueil de la petite enfance mais un contexte particulier d’accueil qui sollicite d’être pleinement pensé pour que les avantages de sa taille se combinent avec les ressources de l’encadrement et de l’animation des équipes.

Les micro-crèches : petits chevaux de Troie de la dérégulation ?

Les micro-crèches sont, dans certains discours ou certaines représentations rapides, vues comme des « quasi-crèches ». Des petits, tout-petits établissements parfois perçus comme étant de moindre qualité, des sortes de moins disant ou de « discount » de l’accueil collectif du jeune enfant. Cette suspicion qu’elles suscitent est probablement liée tant à l’acte de naissance qu’aux modalités d’essor de ce mode d’accueil. 

• L’acte de naissance d’abord : la notion de micro-crèche est introduite « à titre expérimental » dans le code de la santé publique par le décret n°2007-230 du 20 février 2007 relatif aux établissements et services d’accueil des enfants de moins de 6 ans. Il s’agit, sur ce point comme dans d’autres, dans ce même décret de stimuler ou faciliter la création de places d’accueil, soit en desserrant les exigences réglementaires relatives à la formation et à l’expérience des professionnels en direction ainsi qu’auprès des enfants au sein des EAJE ; soit en proposant, donc, de nouvelles formes d’établissement. Des établissements plus petits, plus faciles à créer en termes d’installation bâtimentaire et pour lesquels les fonctions de direction sont allégées (un même responsable pouvant être référent sur plusieurs micro-crèche). Les micro-crèches naissent donc avec, penchée sur leur berceau, la fée de la dérégulation. La suspicion est née.     

• Les modalités d’essor maintenant. En 2018 (1) les micro-crèches représentent 10,6% des places d’accueils proposées en accueil collectif. Cela pourrait sembler peu mais cache un phénomène massif même si ces effets restent, pour l’instant, marginaux : entre 2017 et 2018 sur les 11300 nouvelles places d’accueil collectif créées, 7500 l’ont été par l’ouverture de place en micro-crèche. On trouvait déjà une situation analogue entre 2016 et 2017 . Les micro-crèches sont donc responsables de l’essentiel de l’augmentation des places d’accueil collectives ces dernières années. Extrêmement dynamiques, elles font même contraste par rapport à l’accueil collectif dans son ensemble qui ne connaît, au grand dam des Conventions d’objectifs et de Gestion (COG) entre la CNAF et l’Etat, qu’une très résistible progression ces dernières années. 
    
(1) Observatoire national de la petite enfance, rapport 2020 sur les données de 2018. 

Article rédigé par : Pierre Moisset
Publié le 20 septembre 2021
Mis à jour le 12 octobre 2021