Mais à quoi servent les crèches ? Par Pierre Moisset

Sociologue, consultant petite enfance

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jeune enfant joue à la crèche
En ces temps de stratégie de lutte contre la reproduction intergénérationnelle de la pauvreté mettant l’accueil collectif à l’honneur - et ce alors même que les crèches représentent, depuis bien longtemps, le symbole médiatique et social de l’accueil de la petite enfance – il me semble amusant de reposer la question : mais à quoi servent les crèches ? Je ne vais pas analyser ici les différentes fonctions sociales attribuées à ce mode d’accueil au fil des années, mais – dans la suite de mes deux chroniques précédentes – m’intéresser à l’usage concret qui en est fait par les parents. Un usage concret qui nous permettra de dire, par la pratique, à quoi elles servent aujourd’hui.

Les crèches, ou EAJE ce sont, d’après les données du dernier rapport de l’Observatoire de la Petite Enfance 448800 places d’accueil en 2017 qui, rapportées au nombre d’enfants de moins de trois ans représentent 19,5 places pour 100 enfants. En 2012, c’était 381700 places qui représentaient 15,8 places d’accueil théorique pour 100 enfants de moins de trois ans. Une belle progression donc. Mais on ne peut pas savoir si l’usage de ces places a également progressé entre ces deux dates, ni même si elle a progressé dans les mêmes proportions que cette augmentation. En effet, la dernière étude de la DREES date de 2013 et on attend la prochaine vague d’enquête sur ce sujet. Nous avons néanmoins, dans d’autres travaux, quelques indices. Comme je le mentionnais dans une précédente chronique à propos des baromètres de la petite enfance de la CNAF,  les parents ont -au fil de ces années- plus fréquemment fait des démarches pour l’accueil extérieur de leur enfant.  Mais, au sein des familles faisant des démarches, la part de celles s’adressant aux structures baisse, passant de 52 à 40% entre les deux dates. Autrement dit, la part des parents faisant des démarches en crèche reste constante entre les deux dates, autour de 25% des parents de jeunes enfants au total. Comment expliquer que la demande reste constante alors que l’offre augmente ?     

Bon déjà, tout simplement, par le fait que la demande excède depuis le début l’offre (en 2012 et 2017, 25% environ des parents faisaient des demandes auprès d’établissements représentant, respectivement, 16 et 20 places pour 100 enfants). Donc même si l'offre augmente, la demande ne la suit pas.
Mais, cela peut nous indiquer également que, si l’offre augmente, elle le fait peut-être surtout dans des zones déjà partiellement fournies en établissement collectif. En effet, les parents faisant des démarches auprès des établissements accessibles dans leur environnement immédiat et sur leurs trajets, on aurait pu imaginer que, si des EAJE ouvraient dans des zones autrefois non couvertes (rural, communes pauvres ou moins dotées), la demande aurait été beaucoup plus dynamique. Cette relative stagnation de la demande face à l’augmentation de l’offre peut donc nous indiquer que la progression de l’offre d’accueil collective s’est faite dans des zones déjà couvertes et tendues (villes) où elle rencontre une demande qui a toujours la même intensité, sans parvenir à la combler ou l’étendre.

Pour nuancer cette première hypothèse, on constate par ailleurs, que l’offre en EAJE a progressé -entre 2012 et 2017- sur l’ensemble des départements (ainsi on ne compte plus que 9 départements proposant moins de 10 places en EAJE pour 100 enfants de moins de 3 ans en 2017 contre 28 en 2012 et 54 départements proposaient entre 10 et 20 places en 2012 contre 71 en 2017, l’offre progresse donc également dans les territoires peu et moyennement couvert).

Il y a donc un relatif « mystère » de la stagnation de la demande d’EAJE face à la progression de l’offre.

Une récente étude de la CNAF nous livre, peut -être, des compléments d’information. Il y apparaît que les parents ayant des horaires « complexes » (travail en horaires décalés et/ou le week-end occasionnel ou régulier, travail avec des horaires rigides) recourent moins souvent à la crèche que ceux n’ayant pas de telles contraintes. Ces mêmes parents envisagent et recourent plutôt à des assistants maternels. Aussi, on peut imaginer que la relative stagnation de la demande s’expliquerait par le fait qu’une part croissante des parents de jeunes enfants qui sont en emploi ont des horaires décalés ou atypiques. Les EAJE étant perçus comme un mode d’accueil souhaitable mais trop rigide en terme horaire. De tout cela on pourrait déduire que les crèches répondent plutôt aux besoins des parents actifs avec des horaires réguliers et en journée. Un bon mode d’accueil, mais moins accessible aux parents inactifs, sans emploi ou avec des horaires atypiques qui sont d’ailleurs plus souvent des parents avec de faibles niveaux de formations. Mais tout cela reste à creuser, j’y reviendrai…

 
Article rédigé par : Pierre Moisset
Publié le 12 février 2020
Mis à jour le 12 février 2020