Débat autour des normes dans les EAJE : ce que les ordonnances pourraient changer

Aujourd’hui l’article 50 (ex-26 bis) de la loi pour un Etat au Service d’une Société de Confiance (ESSOC) permet que des mesures soient prises, par ordonnances, pour simplifier les normes notamment dans les EAJE. L’idée étant de faciliter l’implantation de modes d’accueil sans que cela ne se fasse au détriment de leur qualité. C’est autour de ce thème, sujet à polémiques, que Les Pros de la Petite Enfance a réuni des représentants du secteur (voir encadré) pour une table ronde le 3 septembre 2018 au salon Babycool Paris. Retour sur l’essentiel des échanges.
Les normes dans la petite enfance : un sujet récurrent
David Blin, chef du bureau des familles et de la parentalité à la Direction Générale de la Cohésion Sociale (DGCS) a retracé « l’historique » de cet article 50 qui ouvre aujourd’hui tout un champ de possibles. Tout est parti d’un constat partagé par l’ensemble du secteur. « On s’est rendu compte a -t-il expliqué que, collectivement, on avait des difficultés à faire vivre le cadre normatif applicable aux modes d’accueil du jeune enfant ». Et ce depuis de nombreuses années déjà.

Il y eut en 2014 les recommandations du Conseil de la Famille qui invitaient à clarifier ce cadre normatif. Puis en 2015, la DGCS avait commandé une étude qui visait à faire le point sur l’application de la réglementation des Établissements d'Accueil du Jeune Enfant (EAJE) par les services de PMI. Et, « c’est sur la base de cette étude que des travaux ont été conduits afin d’aboutir, avec la collaboration et l’engagement de toutes les parties prenantes, à la publication l’année dernière du guide des normes applicables aux EAJE à l’intention des services de PMI » a rappelé David Blin. Un guide à droit constant qui a permis d’aboutir à des consensus sur certaines difficultés d’applications et d’articulations entre les normes. Mais un guide non opposable.


Une méthode : la concertation ; un objectif : faciliter le développement des modes d’accueil
Aujourd’hui la loi permet d’aller plus loin. « Il s’agit d’un cadre de travail. On ne s’oblige à rien, on se donne la possibilité de faire en concertation avec les parties prenantes du secteur » a précisé David Blin. Cette loi autorise le gouvernement à légiférer par ordonnance en vue de clarifier et mettre en cohérence la réglementation applicable aux modes d'accueil - collectifs et individuels.
Les ordonnances ont trois objectifs qui s’étendent chacun à l’ensemble du champ des modes d’accueil du jeune enfant. Le premier c’est de clarifier. Il faut quelque chose de plus lisible en termes de réglementation, « cela peut passer par le fait de rassembler dans un même code un certain nombre de dispositions qui sont dispersées aujourd’hui » a souligné David Blin. Le deuxième c’est de mettre en cohérence certains cadres normatifs afin de remplir le troisième objectif. A savoir, gagner en efficacité - être plus rapide pour mettre en œuvre tous les contrôles qui restent nécessaires sur l’application de la réglementation - et en équité - adopter un dialogue serein et constructif qui permette d’avancer les arguments de chacun dans la construction et l’élaboration d’un projet d’accueil, pour se mettre d’accord sur la meilleure manière d’accueillir les enfants.

Et, concluant cette mise en contexte, David Blin a donné la logique globale du chantier : « Je trouve que l’on a une grande chance, et donc collectivement une grande responsabilité, de pouvoir revoir en même temps le cadre financier applicable aux EAJE (la COG prévoit des dispositions d’évolution importante de la PSU en instituant trois bonus et en doublant les heures de concertation) tout en reprenant le cadre normatif. Nous avons par exemple l’occasion de redéfinir les objectifs des modes d’accueil, notamment la qualité d’accueil et ce qui la compose. »

Faut-il simplifier les normes ? Des points de vue divergents
Une fois exposés, les grandes orientations de la loi et les objectifs des ordonnances qui seront prises, chacun des intervenants a pu préciser si, selon lui, cette clarification-simplification est nécessaire.
 
Attention à la dérégulation. Pour Marie-Christine Colombo, médecin de PMI en Meurthe et Moselle , vice-présidente du SNPMI, clarifier les normes est une nécessité mais a-t-elle expliqué « nous souhaitons déconstruire l’idée que la simplification des normes va automatiquement créer un développement quantitatif des places d’accueil ». Selon elle, cette simplification ne sera en effet pas de nature à répondre aux ambitions de développement. Et d’appuyer ses propos en reprenant l’exemple de l’essor des micro-crèches à la suite des dérégulations introduites par les décrets successifs de 2007 et 2010. Certes cela a créé des places, mais celles-ci ne sont pas accessibles à tous (le reste à charge est important pour les familles)  et ne se situent pas dans les endroits attendus.

Cela ne va pas aider à la création d’EAJE. Élisabeth Laithier, adjointe au maire de Nancy, co-présidente du groupe petite enfance de l’Association des Maires de France (AMF), elle aussi en est persuadée : revoir les normes n’est pas suffisant pour encourager la création de places d’accueil. C’est un élément, mais pas le plus déterminant. « Cette simplification est quelque chose d’utile et d’attendu a-t-elle insisté. Mais il y a d’autres facteurs incitatifs pour la construction de nouveaux EAJE.» Néanmoins, «a simplification est une bonne chose car certaines normes sont parfois contradictoires ». Pour exemple, la réglementation sur les poignées de porte qui est en désaccord avec celle sur l’accès pour les personnes en situation de handicap... Un véritable casse-tête pour les gestionnaires et porteurs de projets !

Les normes sont utiles. Birgit Hilpert, éducatrice de jeunes enfants, porte-parole de Pas de bébés à la consigne, s'est montrée en accord avec ces points de vue mais a fait remarquer que « la plupart des normes ont une raison d’exister ». Clarifier, rendre plus lisible les normes pour aider les communes et les partenaires qui souhaitent créer des crèches, oui. Mais faut-il aller plus loin ? Pas sûr... si on ne veut pas abîmer la qualité de l’accueil - le principal combat de Pas de bébés à la consigne.

La simplification doit engendrer une baisse des coûts. Sylvain Forestier, président de la Fédération Française des Entreprises de Crèches (FFEC), sans langue de bois a exposé un tout autre point de vue. « On sait tous ici que les crèches sont un des moyens d’accueil privilégiés pour les jeunes enfants et notamment pour les publics en difficultés. (...) On est pris dans un triangle de la petite enfance et tant qu’on y est, il sera difficile de développer des places en crèches ». Ce triangle : des normes très contraignantes, le prix que paient parents (le plus bas d’Europe) et les financements publics. Selon la FFEC il y aura une baisse du nombre d’EAJE en France, et ce notamment dû au fait des fermetures qui se multiplient. Sylvain Forestier a insisté également sur un point : la simplification doit se traduire par une baisse des coûts. « ll faut arrêter de vouloir faire des crèches 5 étoiles, c’est une erreur, parce qu’en France on a déjà les plus belles crèches d’Europe. Et elles doivent être ouvertes au plus grand nombre».


Définir le contenu des ordonnances avec les acteurs de la petite enfance en 4 séquences de travail
L’article 50 de la loi donne un cadre assez ouvert. Reste à lui donner du contenu en définissant les mesures qui seront prises par ordonnances courant 2019. David Blin a présenté la méthode de travail envisagée, fondée sur la concertation car « on ne fait rien d’intelligent tout seul, encore plus dans un secteur où les compétences sont extrêmement partagées ». Associer l’ensemble des représentants et des parties prenantes de l’accueil du jeune enfant (familles, État, collectivités locales, gestionnaires d’EAJE ou représentants des assistantes maternelles) comme par le passé mais aussi, selon les thématiques abordées, des partenaires occasionnels qui viendront s’exprimer sur des aspects plus spécifiques.
« L’idée c’est vraiment de reprendre le système dans son entier tant au niveau législatif que réglementaire, pour que les normes soient plus simples à mettre en oeuvre pour tout le monde » a expliqué David Blin. Et à ce stade « on ne s’interdit rien ».

1. Il faut d’abord se mettre d’accord sur les objectifs de l’accueil et notamment ce qui compose la qualité d’accueil. Ce sera l’objet de la première séquence de travail qui devrait être organisée avant la fin du mois de septembre et sera consacrée aux différentes catégories des modes d’accueil. « Si on veut se mettre d’accord sur les restrictions que les normes posent à l’exercice de l’accueil du jeune enfant, il faut d’abord se mettre d’accord sur les objectifs de politique publique qui fondent ces conditions et ces règles relatives aux moyens » a -t- il souligné. Pour ces travaux, la boussole sera la Charte nationale de l’accueil du jeune enfant.  

2. La deuxième séquence de travail sera axée sur le rôle et les responsabilités de chacun des acteurs de la petite enfance et de la manière dont ils interagissent entre eux, dans le cadre d’une gouvernance plus clairement posée qu’aujourd’hui.

3. Les cadres normatifs spécifiques à l’accueil du jeune enfant - les règles que l’on pose sur l’exercice de cette activité, du côté des assistantes maternelles et des crèches - seront au cœur de la troisième séquence de travail.

4. Avant d’aborder, pendant la dernière séquence, les cadres normatifs non spécifiques aux modes d’accueil. Autrement dit, toutes les règles avec lesquelles les professionnels vivent au quotidien comme la réglementation panique et incendie, par exemple.
Chacune de ces séquences sera dense à cause du nombre d’avis divergents et des champs de normes concernés qui sont extrêmement larges. « On a un calendrier ambitieux au rythme d’une séquence de travail par mois (de septembre à décembre), avec pour objectif d’avoir l’économie générale d’une réforme en fin d’année » a conclu David Blin.

Les normes d’encadrement et de qualification : on n’y touche pas !
Une loi qui ouvre à tous les possibles... Pour le meilleur ou pour le pire, selon les points de vue des intervenants. Chacun a pu ainsi s’exprimer sur ce qu’il souhaitait ou ne souhaitait surtout pas.
Pas de bébés à la consigne, le SNPMI et l’AMF se sont retrouvés sur un point : pas question de toucher aux normes d’encadrement (les taux, rappelons-le sont de 1 professionnel pour 5 enfants qui ne marchent pas, et un professionnel pour 8 enfants qui marchent) ni à la qualification des professionnels de la petite enfance. Et même , pour Birgit Hilpert, si elles devaient être revues, elles devraient l’être à la hausse et non à la baisse comme ce fut le cas en 2010 avec le fameux décret Morano.
L’AMF défend surtout le maintien de l’existant : « On ne cédera pas sur le fait que revoir les normes entraînerait une baisse des qualifications et de l’encadrement du personnel a martelé Élisabeth Laithier. Certes il y a une pénurie de personnel qualifié, mais il est hors de question que celle-ci débouche sur une qualification moindre des professionnels qui encadrent les enfants ». L’AMF préférerait réfléchir sur le développement des formations pour les professionnels afin de les rendre plus accessibles (lieu et prix) et qu’elles intègrent les nouveaux enjeux correspondant à l’évolution de la société, comme le soutien à la parentalité. Marie-Christine Colombo a ajouté que « le maintien de la qualité est indispensable si on veut considérer que l’accueil des enfants dans les EAJE est un investissement social. (…) Développer un accueil pour tous et surtout partout. Nous sommes très attachés à l’équité territoriale ».

La FFEC ouverte à tous les changements
« J’ai l’impression qu’on veut faire de la magie, s’est exclamé Sylvain Forestier. On voudrait avoir plus de qualité mais avec moins d’argent, ce qui est pratiquement impossible. Aujourd’hui l’enveloppe globale qui est dévolue par la Cnaf à la petite enfance par la prochaine COG va baisser en francs constants notamment du fait de l’inflation et du plafonnement des progressions ». La seule façon de bouger les lignes, c’est en ouvrant des crèches en entreprise ou revoyant le prix demandé aux parents (ce que font les micro-crèches). « On veut augmenter la qualité en baissant les coûts et c’est mathématiquement impossible car la qualité, ça demande de l’argent ».
Pour ce qui est du changement et de la simplification des normes, la FFEC est ouverte à tout. « On veut simplement des normes claires, opposables et cohérentes, notamment en matière d’immobilier et d’aménagement » a martelé Sylvain Forestier. Favorable au guichet administratif  unique (« nous sommes le seul pays d’Europe à ne pas l’avoir »), la FFEC souhaiterait aussi que les ordonnances s’attachent à lutter contre la pénurie de professionnels qualifiés. Elle ne serait pas hostile, notamment dans les zones les plus tendues, à créer des formations d’auxiliaire de puériculture sans stages hospitaliers (c’est là que le bât blesse). Des auxiliaires de puériculture qui dès lors ne pourraient travailler qu’en crèche. « Ce serait un moyen de débloquer des choses sans pour autant que ce soit des formations au rabais » a plaidé Sylvain Forestier. Un point de vue non partagé par les autres participants à la table ronde.

Un moment clé où tout est possible
« L’exercice de ces six prochains mois va être un travail d’équilibre, et sans doute occasionnellement d’équilibrisme » a admis David Blin après avoir entendu les requêtes de chaque “porte-parole” présent. « Nous devons à la fois traiter un problème de court terme et de moyen terme. Si l’on s’attache à traiter les deux temporalités en même temps, on peut mieux réagir et dépasser les contradictions apparentes ». Les séquences de travail aborderont donc à la fois : l’année prochaine, comment fera-t-on pour ouvrir des crèches avec du personnel qualifié ? Mais également : comment fait-on pour que dans 5-10 ans, on ne soit pas mis au pied du mur et qu’on ait bien un système de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences locales en matière de la petite enfance ?
Les mois à venir, la concertation engagée, les séances de travail programmées signent un moment-clé pour la petite enfance où tout est possible. Ce qui est sûr c’est que les acteurs semblent d’accord sur un point : la simplification souhaitée ne doit pas aboutir à une déréglementation du secteur de la petite enfance. Avec un appauvrissement des normes et une baisse de la qualité de l’accueil proposé aux jeunes enfants et à leurs familles.

Les intervenants de la table ronde

De gauche à droite sur la photo :
  Dr Marie-Christine Colombo : Médecin chef de PMI en Meurthe et Moselle, représentant ici le Syndicat national des médecins de PMI. Les PMI dépendent des départements, elles donnent les autorisations d’ouverture aux structures et les contrôlent. On leur reproche souvent de na pas interpréter et appliquer la réglementation de la même façon d’une PMI à l’autre.
Sylvain Forestier : Président de la FFEC (Fédération Française des Entreprises de Crèches). Les entreprises de crèches qui jouent aujourd’hui un rôle important dans la création de nouvelles places en crèches, notamment grâce à l’essor des micro-crèches.
 Elisabeth Laithier : Adjointe au maire de Nancy, Co-présidente du groupe petite enfance de l’AMF (Association des maires de France). Élisabeth Laihier c’est la voix des communes, de leurs difficultés et aspirations. Et elle ne manque jamais de rappeler que la petite enfance ne fait pas partie de leurs compétences réglementaires...
Catherine Lelièvre, dircetrice des Pros de la Petite Enfance, animatrice de la table ronde
David Blin : Chef du bureau des familles et de la parentalité à la DGCS. Il a animé les groupes de travail préparatoires à cet article de loi et c’est lui encore qui animera les groupes de travail qui permettront d’aborder le contenu des futures ordonnances.
Birgit Hilpert : éducatrice de jeunes enfants, porte-parole ici de Pas de bébés à la consigne, un collectif né en 2009 et qui regroupe la plupart des organisations professionnelles de la petite enfance ou de parents. Son combat : la qualité de l’accueil.

Article rédigé par : Julia Dumoulin
Publié le 12 septembre 2018
Mis à jour le 26 octobre 2021