Halte-garderie semi-plein air : l’importance de la nature pour les professionnelles

Dans une recherche menée durant deux ans dans un établissement d'accueil du jeune enfant semi plein air, pour l’obtention d’un Master 2 des Sciences de l’Education à l’université de Paris 8, Valérie Roy confirme le bien fondé de ces espaces extérieurs. En se focalisant ici sur les effets de la nature et des éléments naturels sur la quotidien des professionnels auprès des tout-petits.
A l’heure de l’épuisement nerveux, des salles mal insonorisées, la vie en crèche ou en halte-garderie peut s’avérer un combat quotidien, une désuétude. L’usure professionnelle guette à tout moment, compte tenu de la grande disponibilité exigée, de la prise en charge importante des groupes d’enfants. Entre les demandes des familles, les salles surchargées d’enfants, quelles solutions trouver ?
Les structures plein air ou semi plein air ont cet avantage d’offrir aux enfants mais aussi aux professionnelles une bouffée d’oxygène, un bien-être simple et sain.
La charte nationale de l’accueil du jeune enfant précise : « Pour que je sois bien traité.e, il est nécessaire que les adultes qui m’entourent soient bien traités. Travailler auprès des tout-petits nécessite des temps pour réfléchir, se documenter et échanger entre collègues comme avec d'autres intervenants. » Les professionnelles créent l’ambiance émotionnelle dans laquelle les enfants vont évoluer. Pourquoi ne pas nous offrir plus de qualité quand nous pouvons nous le permettre ?

Une relation pédagogique entre professionnels, nature et enfants
J’ai constaté, au bout de 7 ans d’implication, que les enfants apparaissent souvent calmes en exerçant en plein air. Les professionnelles sont moins nerveuses, plus disponibles, moins stressées, plus joyeuses, lorsqu’elles prennent en charge des enfants en plein air. Le vent souffle, le corps réagit et une émotion apaisante s’introduit à l’intérieur dès que le soleil matinal arrive dans le jardin.
La nature agirait comme un régulateur autant pour les professionnelles que pour les enfants.

Les bienfaits reconnus des éléments naturels

Le soleil a longtemps été reconnu comme une thérapie vivifiante. « Le soleil produit l’or éthérique et la terre le condense » : source de vie intense, il transmet une énergie positive. Les rayons du soleil apportent à l’organisme une immunité plus grande. Ils développent la résistance aux agents infectieux. Sous son influence, la tonicité du muscle et même son volume augmente. Un autre effet important de la lumière, grâce à ses rayons ultra-violets de courte longueur, est celui exercé sur le système osseux. « Ces rayons constituent photo-chimiquement une vitamine antirachitique dont les principes sont contenus dans la peau et le sang. Cette vitamine, donc la lumière qui l’engendre, permet la fixation de la chaux venant des aliments sur le squelette. »  La nécessité de sortir les enfants dehors est donc importante.
 
L’eau est bénéfique à la santé. L’eau est un besoin vital, elle est vitale à l’organisme pour vivre. L’eau de pluie possède des qualités apaisantes, surtout quand il fait chaud. L’eau charge parfois l’air d’humidité qui agit sur l’organisme, la fonction respiratoire. Les enfants adorent créer des relations avec l’eau mais les professionnelles peuvent aussi en tirer un bénéfice durant, par exemple, les jeux d’eau. Ceux-ci sont toujours très exploités par les enfants, ils aiment jouer avec cet élément. Les sensations ressenties sous l’eau sont agréables et parfois très intimes. « Glisser les bras sur l’eau, sentir ses bras comme des algues, dessiner l’eau, créer des courants d’eau plus ou moins forts, battre l’eau, la frapper, la heurter, la pousser, la caresser … toutes ces associations qui mettent en lien action et geste, et qui sont autant d’états affectifs, émotionnels pouvant s’exprimer à travers l’eau » .

L’élément air, exposé par Jean-Pierre Besancenot, directeur de recherche au CNRS, responsable du laboratoire, dans « Climat et Santé », est aussi intéressant : « Le vent intervient à plusieurs titres dans les échanges de chaleur qui s’exercent, à travers la peau, entre le corps et l’air : il renouvelle la pellicule gazeuse au contact de l’épiderme et en équilibre thermique avec lui, il règle les apports caloriques que reçoit l’organisme, augmente l’efficacité de la convection, accélère aux dépens de la chaleur interne l’évaporation de la perspiration cutanée, de la vapeur d’eau expirée et de la sueur... »

La terre est vivante sous nos pieds, nous ressentons ses effets sur la partie pelouse. La terre est la représentation de la croissance de tout ce qui est. C’est l’élément par lequel les êtres se corporifient, se façonnent dans de multiples formes. La terre donne consistance aux trois autres éléments. Elle apaise.

L’effet de la nature sur le quotidien auprès des enfants
Karine, éducatrice de jeunes enfants dans une structure en plein air durant son entretien précise : « Déjà moi je suis d’une nature plutôt calme au départ, mais quand on travaille en extérieur on est moins stressé … parce que l’on est en observation de ce qui se passe autour de nous avec les enfants, mais aussi de ce qui se passe aussi au niveau des éléments naturels. Et lire une histoire sous un arbre avec des feuilles qui bougent un petit peu, des enfants qui vont, qui viennent, et bien c’est hyper apaisant ».
L’espace extérieur apaise le système nerveux des professionnelles et leur permet de décharger leur tension interne. Le soleil vient caresser la peau, les joues des professionnelles. Cette luminosité agit favorablement sur la relation établie entre l’adulte et l’enfant. Elle offre une énergie à l’adulte, une aide, un soutien, une joie pour mieux accompagner l’enfant.

Voici l’observation d’un goûter en halte semi plein air, notamment la réaction d’une professionnelle, le jeudi 15 Avril 2017. Laura me regarde et me redit, « Quel après-midi, cela fait du bien ce soleil ! » Je ressens aussi la chaleur du soleil dans mon dos. Cela me détend pour m’occuper de mon groupe. Ils sont 4. Les enfants goûtent dehors et sont contents de fêter l’anniversaire d’Anna ! Elle vient d’avoir deux ans ! ». Combien de fois ai-je pu observer des ateliers mis en place dehors. Les professionnelles installent les tables dans des zones ensoleillées quand il ne fait pas trop chaud et elles expriment leur bien-être de se trouver dans cet espace.

Dans une recherche portugaise menée auprès d’enfants de 15 mois à 36 mois, il est précisé : « The interaction with adults also seem to be facilitated in the outdoor area. In different moments along the project, adults recognized that they felt more available to support children outside, where they felt relaxed and calm. This statement suggests that the outdoor environment is not only a healthy environment for children, but also for adults, where the levels of stress and anxiety seem to diminish. Other studies found evidences that support different models of interaction between adult and child during outdoor play, being more childled, flexible and based on dialogue about children’s discoveries and interests. » Cela signifie que l'interaction avec les adultes semble également facilitée dans l’espace extérieur. À différents moments du projet de cette recherche, les adultes ont reconnu qu'ils se sentaient plus disponibles pour soutenir les enfants à l'extérieur, où ils se sentaient détendus et calmes. Cette affirmation suggère que l'environnement extérieur n'est pas seulement un environnement sain pour les enfants, mais aussi pour les adultes, où les niveaux de stress et d'anxiété semblent diminuer.

La nature modifie aussi la température interne de l’organisme, renforce aussi le système osseux des professionnelles. Alicia, responsable de structure plein air depuis 17 ans, n’allume plus son chauffage chez elle en hiver : « Donc je n’ai plus de chauffage depuis 17 ans ». Elle n’a plus froid.

La crise identitaire et la libération dans l’espace extérieur
 « Moi j’étais ravie et hyper enthousiaste de venir travailler ici, mais j’étais déstabilisé dans le sens où je n’étais pas si sollicitée que cela par les enfants … alors qu’avant quand j’étais dans les crèches, je me posais et les enfants s’ils avaient envie, venaient vers moi parce qu’ils cherchent quelque chose, un contact, une relation envahissante ». Karine, éducatrice de jeunes enfants en halte plein air, parle d’une transformation identitaire en espace extérieur. Il a fallu s’adapter, précise-t-elle.
Ces propos rejoignent étrangement la pensée de M. Foucault à savoir que les contre-espaces demandent une sorte d’initiation. Ces espaces viennent contredire et contrefaire tout ce que nous mettons en place à l’intérieur des structures. Il s’agit d’une sorte de crise identitaire qu’elle décrit avec finalement une évolution positive.
Elle explique, au départ, combien elle se sentait comme perdue dans ce grand espace extérieur. « Et ici les premiers temps je me disais, je ne me sentais pas utile quelque part, parce que je n’avais plus cette obligation d’agir. Du coup je pouvais me poser et j’étais présente pour eux et observer. Je l’ai totalement intégré et cela ne me pose pas de problèmes, même s’il n’y a pas d’enfants. Le positionnement est tout aussi important. »
Il lui aura fallu un certain temps pour se placer dans l’espace et comprendre comment se positionner par rapport aux enfants en extérieur. Elle parle même de code professionnel différent, il s’agit d’une adaptation et de repères nouveaux, de se défaire de certaines représentations professionnelles.  
 
Anzieu précise : « le moi dérive en dernier ressort des sensations corporelles, principalement de celles qui ont leur source dans la surface du corps. On peut le considérer comme la projection mentale de la surface du corps, en plus de la considérer (…) comme représentant la superficie de l’appareil psychique. »  
Ainsi la prise en charge d’un groupe d’enfants en bas âge ne laisse pas une professionnelle indifférente en termes de moi-peau, d’enveloppe psychique. L’enfant par certains de ses comportements, de ses colères, de ses cris, de ses émotions excessives, peut devenir intrusif vis-à-vis de cette enveloppe psychique de l’adulte. Tout dépend de la carapace de la professionnelle. Il s’agit d’un moi interface, un moi « frontière, limite entre le dedans et le dehors ».
Selon Freud, le moi est en contact avec les réalités intrapsychiques autant qu’avec la réalité extérieure. Anzieu, considère le moi-peau comme provenant de l’étayage des diverses fonctions de la peau. « Le moi reste en relation d’équivalence métaphorique avec la peau physiologique ». Le moi-peau renvoie au moi psychique, la peau psychique. On peut comprendre combien le rapprochement physique avec plusieurs enfants éveille un nombre important d’émotions chez des professionnelles. On pointe du doigt les professionnelles concernant les douces violences, mais combien d’émotions l’adulte gère-t-il par jour en structure petite enfance ? Une infinie, le corps est mis à rude épreuve.
Anne, une infirmière en structure halte-jeux classique précise durant un entretien de recherche : « il y a une fatigue nerveuse en fait qui est latente ».
 
Dehors Karine, l’éducatrice, se déplace, se sent finalement peut-être moins envahie par les demandes des enfants. Ce moi-peau, ce rapprochement trop important, est incessant, il est à l’image d’une société où l’oppresseur est partout, où le contrôle excessif prend le dessus.
L’identité professionnelle de Karine a muté au fil du temps pour en devenir une autre. Elle adopte un comportement laissant plus de liberté à l’enfant. Elle devient elle-même plus libre. Cet espace extérieur est un lieu où finalement l’on peut exister autrement.

Il existe d’autre part, dans le verbe « Habiter », une forme de négociation à mettre en place entre soi et l’extérieur, « qui suppose une appropriation comme « processus par lequel un individu transforme en son bien quelque chose d’extérieur ». Par le fait d’approprier et d’habiter l’espace, l’individu découvre « un rôle de sécurisation par rapport à ce devenir qui délivre à la fois le message « tu es capable de grandir, de te transformer » et celui d’aller se saisir du savoir en même temps que de son être » . Donc l’individu rencontre aussi son être en habitant un espace.

Dehors : partage et transmissions entre professionnels et enfants
Voici une observation dans une halte plein air (lundi 29 Janvier 2018) :
« Nous sommes sortis aujourd’hui toute la journée. Nous étions dehors ce matin et il faisait un peu froid. J’étais bien couverte. Les enfants étaient 20. Nous étions 5 professionnelles. Nous démarrons l’accueil. Aucun enfant pleure dehors durant l’accueil du matin. J’observe une professionnelle réagir aux rayons du soleil. Elle ressent un bien être fort et elle éprouve le besoin de le signifier aux professionnelles et aux enfants. « Vous avez vu les enfants dit-elle, le soleil est de retour ». Cela fait tellement du bien, c’est agréable ! Elle se caresse les cheveux, les pousse un peu pour que le soleil touche sa nuque. Les enfants regardent alors le soleil. « Regarde comme le soleil fait du bien » précise la professionnelle. »
J’ai constaté durant ma recherche que les professionnelles partagent des émotions avec les enfants en lien avec les éléments de la nature. Ce phénomène se produit naturellement. Une professionnelle ressent les bienfaits du soleil et communique cette émotion à l’enfant comme pour l’initier tout naturellement à un élément de la nature. C’est une forme d’éco formation naturelle, de sensation transmise. C’est une façon de donner du sens à un environnement. L’espace extérieur, les éléments deviennent une réalité vécue par les professionnelles qui se transmettent aux enfants naturellement.  

Nous percevons le monde en fonction des croyances et des perceptions que nous en avons. Le savoir culturel se transmet selon Tim Ingold au travers des croyances qui sont aussi transmises par un parent, un grand-père, véhiculé au travers du sens que l’on donne aux objets qui nous environnent, une plante que l’on regarde. « Les formes culturelles seraient encodées dans le territoire de la même manière que les représentations conceptuelles sont encodées par l’intermédiaire des sons, d’après l’approche sémiologique habituelle de la signification linguistique. »  De la même façon qu’un son va exprimer un concept, « la plante dans le jardin du grand-père, et les points d’eau, peuvent jouer un rôle « de signifiants dans un système global de représentations mentales ». La professionnelle joue un rôle naturel de transmission d’un savoir culturel. Ces moments d’échange peuvent occasionner des jeux informels entre la professionnelle et les enfants, des jeux qui font rire tout le monde, riches en émotions partagées.

Conclusion
Il est temps de se réapproprier ces espaces qui font du bien tant aux petits qu’aux adultes et qui existent dans beaucoup de structures petite enfance. Ouvrons les portes, un peu d’air ! Donnons-nous les moyens réels de vivre la bientraitance dans la petite enfance et ne pas seulement l’énoncer au travers des colloques ou des réunions interminables. Osons simplement vivre avec notre environnement extérieur, intérieur.
Les enfants ont besoin de courir, de rire, de sauter, de marcher, de découvrir leurs corps, leur motricité fine à leur rythme dans un espace qui permet tout cela à la fois, de sentir les éléments, la nature évoluée autour d’eux. Ils ont besoins d’être tout simplement des enfants.
Les professionnelles ont aussi besoin d’évoluer dans des espaces qui les accueillent et leur permettent de mieux vivre leur quotidien d’accompagnantes, de vivre pleinement cette bientraitance, de l’accueillir en elles, dans leurs corps, leur cœur, d’oser la partager avec les jeunes enfants. Les professionnelles de la petite enfance ont besoin aussi de se ressourcer pour offrir une meilleure qualité d’accueil aux jeunes enfants.
Article rédigé par : Valérie Roy, tiré du Mémoire de recherche « Libres enfants du plein air »
Publié le 20 août 2019
Mis à jour le 01 octobre 2020