Sarah El Haïry, ministre chargée de l’Enfance, de la Jeunesse et des Familles : « Je ne prendrai aucun risque : ni avec la qualité d’accueil des enfants, ni avec le bien-être des professionnels »

En exclusivité pour Les Pros de la Petite Enfance, Sarah El Haïry, ministre déléguée à l'Enfance, la Jeunesse et aux Familles, décrypte le rapport IGAS-IGF sur le financement des micro-crèches publié aujourd'hui lundi 25 mars. Et évoque les pistes de travail suggérées par la mission : aller vers une évolution voire une suppression du CIFAM et faire basculer certaines micro-crèches Paje vers le modèle PSU, revoir les mesures dérogatoires dont elles bénéficient pour les rapprocher des petites crèches... Mais la ministre ne souhaite pas brusquer les choses. Elle jouera la carte de la concertation et elle le confirme : les micro-crèches ont vocation à être partie intégrante du SPPE. Enfin dans son souci d'agir en faveur de la qualité d'accueil, la ministre annonce lancer dès à présent le premier contrôle IGAS d'un grand groupe de crèches.
Les Pros de la Petite Enfance : Vous avez depuis quelques semaines sur votre bureau le rapport IGAS-IGF sur le financement des micro-crèches Paje, annoncé lors du CNR d’Angers par la Première ministre Élisabeth Borne et effectivement commandé par Aurore Bergé en août dernier. Pouvons-nous en donner les grandes lignes ?

Sarah El Haïry : Ma priorité, c’est le développement du service public de la petite enfance : offrir une place de qualité, à chaque enfant de moins de 3 ans, à un prix raisonnable.
La mission d’inspection pose et répond à la bonne question : à quelles conditions les micro-crèches peuvent-elles remplir les objectifs du service public de la petite enfance, à savoir l’accessibilité territoriale, l’accessibilité financière et l’accessibilité à une offre de qualité équivalente aux autres modes d’accueil ?
Je retiens deux enseignements qui guideront mes réflexions dans les suites à donner aux 9 recommandations du rapport :
D’une part, les micro-crèches sont diverses : urbaines, rurales, indépendantes ou faisant partie d’un grand groupe, conventionnées avec les Caf ou non… Et elles contribuent très fortement au développement de nouvelles places : entre 2015 et 2020, elles représentent 70% des créations. Ce dynamisme est une chance pour le développement du service public de la petite enfance, mais pas à n’importe quel prix !
D’autre part, le développement des micro-crèches a raté sa cible territoriale. En 2010, le cadre dérogatoire accordé aux micro-crèches devait permettre de développer des places d’accueil dans les zones peu couvertes, notamment en milieu rural. Or aujourd’hui, les micro-crèches sont majoritairement implantés dans les grandes villes et restent quasiment inaccessibles à la classe moyenne.

La mission établit-elle un lien direct entre les mesures dérogatoires (qualifications / taux d’encadrement) en vigueur dans les micro-crèches et la qualité d’accueil ? Considère-t-elle qu’elles constituent un facteur de risque accru pour d’éventuels cas de maltraitance ?

La mission est très claire sur ce point. L’application simultanée de l’ensemble des dérogations applicables aux micro-crèches ne permet pas de garantir la qualité d’accueil et constitue un risque. Et je suis convaincue que ces conditions dérogatoires nuisent également aux conditions de travail des professionnels.
Je ne prendrai aucun risque : ni avec la qualité d’accueil des enfants, ni avec le bien-être des professionnels. C’est pourquoi je souhaite travailler à une trajectoire de convergence réaliste du cadre réglementaires des micro-crèches vers celui des petites crèches.

Quels sont ses constats et préconisations quant au mode de financement ? Le rapport envisage-t-il une évolution du Cmg-structures un peu comme celle du CMG emploi direct en 2025 ?

L’ambition du service public de la petite enfance est de garantir l’accessibilité financière et de faire converger le coût pour les familles entre les différents modes d’accueil.

Dès 2025, nous ferons la réforme du « CMG pour tous », pour que les familles paient la même chose lorsqu’ils recourent à une assistante maternelle ou à une crèche PSU. La même logique doit nous guider pour réformer le CMG en cas de recours à une micro-crèche.
J’ai été interpellée par la mise en cause du crédit impôt famille (CIFAM) que perçoivent les entreprises qui achètent des berceaux. Le CIFAM renforce les inégalités d’accès à la crèche, alors même que l’investissement public y est plus élevé ! La mission recommande de le supprimer progressivement. Elle fait une troisième recommandation tout à fait intéressante : faire basculer dans le financement PSU, les micro-crèches qui bénéficient de financements importants par la vente de berceaux.
Je ne souhaite ni précipitation, ni immobilisme. Les mesures proposées sont en cours d’expertise par les administrations. Et je m’engage à concerter avec tous pour rendre plus justes et efficaces les financements publics.
Nous serons amenées, Catherine Vautrin et moi-même, à préciser dans les semaines à venir les suites que nous entendons donner à cette proposition de réforme du CIFAM et du CMG.

Que dit-il quant au coût de ce mode d’accueil à qui l’on reproche de ne pas  être accessible à toutes les familles ?

Le coût pour les familles des micro-crèches Paje est élevé. Un exemple, pour un couple gagnant 3 SMIC, le coût net d’un accueil à temps plein est de 607€ contre 284€ dans une crèche classique. Dès que l’on dépasse 3 jours d’accueil, le coût n’est pas supportable pour les familles les plus modestes.  
La mission met en lumière des pratiques de tarification qui permettent de contourner le plafond horaire de 10€, en facturant aux familles au-delà de leur besoin réel.
In fine, le résultat est à rebours de nos objectifs de mixité sociale et de rééquilibrage territorial de l’offre d’accueil : les micro-crèches se développent mais à l’intention des familles aisées et dans des zones urbaines, déjà bien dotées en mode d’accueil.

Avez-vous été surprise par la teneur de ce rapport ?  Quels sentiments vous a-t-il inspiré en tant que jeune maman ?

On sort de la lecture de ce rapport, un peu sidéré par la complexité du système. Heureusement, lorsqu’on dépose son enfant à la crèche, ce que je fais chaque matin, on ne perçoit pas cette complexité : on a juste, en face de soi, des professionnels passionnés et motivés !

Quelles mesures allez-vous prendre ? Selon quel calendrier ?

Nous ferons les ajustements nécessaires pour faire en sorte d’intégrer pleinement les micro-crèches au service public de la petite enfance.
Déjà, dès le 1er janvier 2025, les communes et intercommunalités, en tant qu’autorités organisatrices de l’accueil du jeune enfant, donneront leur avis sur l’implantation de ces structures. Ma préoccupation ce n’est pas seulement les micro-crèches.   
Par exemple, je n’ignore pas les critiques récurrentes à l’égard de la PSU, qui pour une part participe de la pression qui pèse sur les équipes. Soyons clairs : si des changements radicaux doivent être apportés à la PSU, ce sera pour la prochaine COG, ça se préparera dès les prochains mois. Je souhaite que la question soit sérieusement posée et étudiée, et que la décision de s’engager ou non sur ce chemin soit prise d’ici un an.
Mon enjeu, c’est aussi, et je dirai surtout les assistants maternels. Des premières mesures ont été prises : le doublement de la prime d’installation, la prise en charge de 2 mois d’impayés de salaires dès septembre 2024 (puis 3 en 2025). Mais il faut aller plus loin. Tous les leviers identifiés dans le plan pour l’accueil individuel d’octobre dernier seront actionnés.

A la demande notamment de la FFEC, le texte réglementaire devant statuer sur le taux d’encadrement en micro crèches était gelé en attendant les conclusions de la mission IGAS-IGF (Ndlr: La FFEC demandait que les conséquences financières d’un changement de taux d’encadrement soient évaluées). Qu’en est-il ? Finalement,  faudra-il bien deux professionnels dès le premier enfant accueilli y compris dans les micro-crèches ? Quand le décret sera-t-il publié ?

La mission recommande en priorité de lever les dérogations sur la qualification des référents techniques des crèches, et sur la présence de personnels diplômés.
S’agissant de la présence de deux adultes dès le premier enfant, la mission estime que cela pourrait réduire l’offre des micro-crèches et être préjudiciable à l’accueil d’enfants en horaire atypique. Sur ce point, on fait vraiment le grand écart entre les MAM où 4 enfants peuvent être sous la responsabilité d’une seule assistante maternelle et les crèches à partir de 13 places où deux adultes sont nécessaires dès le 1er enfant. Je souhaite qu’on puisse regarder comment adapter le nombre d’adultes dès le 1er enfant, en fonction de l’âge des enfants et de la qualification des professionnels.

Les micro-crèches sont très actives en création de places nouvelles. Comment allez- vous concilier les mesures que, suite à ce rapport, vous jugez responsable de prendre puisque le statu quo semble exclu, et la nécessité d’accroître l’offre d’accueil des jeunes enfants ? Le gouvernement n’est pas revenu sur la promesse des 200 000 places d’accueil d’ici 2030...

Il faut trouver le bon curseur. Je l’ai déjà dit : nous ferons le service public avec tous, mais pas à n’importe quel prix !
Le rapport montre que les financements publics sont quasiment aussi élevés entre un berceau réservé en micro-crèche Paje et un berceau non réservé en crèche publique. Dans un cadre budgétaire contraint, ma responsabilité est de trouver les bons équilibres. Si en bougeant un peu le curseur, cela me dégage des marges pour trouver des solutions à la baisse du nombre d’assistants maternels, je le ferai !
Mais je le redis, nous ne construirons pas l’offre en montant les uns contre les autres. Nous avons besoin des micro-crèches, et nous entendons permettre la poursuite de leur développement, dans un cadre renouvelé.

 Il a été expliqué aux gestionnaires de micro-crèches (exclues des revalorisations salariales accompagnées financièrement par l’État, réservées aux crèches PSU), qu’il leur fallait attendre ce rapport IGAS-IGF pour savoir à quels types d’aides ils pourraient prétendre. Que pouvez-vous leur annoncer aujourd’hui ?

Nous allons relancer les travaux sur ce point dans le cadre de l’accord de méthode avec les branches professionnelles. Le rapport IGAS suggère de transformer une partie des micro-crèche Paje en PSU, cela peut constituer une partie de la solution.

L’article 18 de la loi sur le plein emploi instaure un cadre législatif assez clair sur le contrôle des lieux d’accueil. Avec une nouveauté, la possibilité de diligenter des contrôles au siège des grands groupes de crèches. Vous venez de missionner l’IGAS pour un premier contrôle de l’un des « big four » …

Oui, j’ai souhaité me saisir dès mon arrivée des nouvelles possibilités ouvertes par la loi Plein emploi en matière de contrôle. Je ne souhaite pas d’une nouvelle affaire Orpéa dans le domaine de la petite enfance en étant à la tête de mon ministère. L’ensemble des groupes de crèches feront dans les mois à venir l’objet d’un tel contrôle approfondi, pour garantir que nos enfants y sont bien traités et que l’argent public est dépensé à bon escient.
L’objectif est de vérifier la conformité des activités à la réglementation applicable, notamment en matière de gestion des fonds publics et de qualité de l’accueil des enfants présents dans les établissements. Il s’agit d’un contrôle à 360° : pratique de recrutement, de management, d’achat, stratégie de développement. Avec une seule question : est-ce que les pratiques mises en place ne nuisent pas au bien-être des enfants ?

Commente ce contrôle se déroulera-t-il ?  Avec quelles éventuelles conséquences ?

Les inspecteurs se rendront dans des structures mais également au siège des groupes.
Selon les faits constatés, je saisirai immédiatement et autant que nécessaire le procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du Code de procédure pénale.

Pour rester dans le domaine des contrôles, quand seront publiés les décrets ou arrêtés liés à l’article 18 de la loi sur le plein emploi ?

Les concertations ont bien avancé. Je souhaite des publications le prochain semestre, tant sur le process d’autorisation que sur le régime de sanction.

Enfin avez-vous eu un point d’étape sur la mission Dabin ? Quand pensez-vous recevoir son rapport ?

Je conduis un travail très étroit et de grande qualité avec Florence Dabin, car je suis également en charge de la politique de protection de l’enfance. Je souhaite que l’on ait une approche globale des faits de maltraitance en établissement, en famille d’accueil ou chez les assistants maternels. J’attends des premiers éléments pour le mois de juin prochain.


Voir le rapport Igas/Igf sur le financement des micro-crèches

 
Article rédigé par : Recueillis par Catherine Lelièvre
Publié le 24 mars 2024
Mis à jour le 10 avril 2024