Les tables ont-elles leur place dans les salles de jeu ?

Les jeux de table sont associés à la pratique de jeux calmes, en particulier ceux qui sollicitent l’attention visuelle et la motricité fine. Est-ce une raison pour demander aux enfants de plus d’un an de rester assis pour jouer ? À quel point les tables sont-elles utiles dans une salle de jeu ? Lesquelles ? Et pour y faire quoi ? Explications et conseils de la psychopédagogue Fabienne Agnès Levine.
Jouer au sol ou jouer à table
Dans les lieux d’accueil de la petite enfance, il est habituel de trouver les jouets dispersés par terre et de voir les enfants se déplacer au ras-du-sol. On peut aussi constater des étagères de 40 à 70 cm de hauteur dans les espaces de jeux, ainsi qu’un nombre inégal de tables et de chaises selon la capacité d’accueil et les choix d’aménagement de l’espace. Pour boire et manger, les tables basses sont bien pratiques, en particulier en accueil collectif : rondes, carrés, rectangulaires, octogonales, en demi-lune, les catalogues en proposent pour tous les goûts et pour tous les espaces. Plus souvent collectives qu’individuelles, elles sont complétées par un certain nombre de chaises avec ou sans accoudoirs. En EAJE, soit les enfants mangent et jouent dans l’unité de vie, et dans ce cas les mêmes tables servent aussi à proposer des activités ; soit les enfants mangent dans une salle à part, et là se pose une question difficile à trancher : Faut-il des tables et des chaises dans une salle dédiée au jeu ? Avant de tout supprimer, mieux vaut prendre le temps de peser le pour et le contre.

Accueillir avec des jeux posés sur une table
Une pratique, empruntée au fonctionnement de l’école maternelle, consiste à installer avec soin des jeux sur une ou deux tables : quelques encastrements et puzzles, du matériel de tri, des boîtes à formes... On évite les jeux qui demandent une présence continue de l’adulte pour surveiller ou aider, comme les perles et autres petites pièces. Le but est que les premiers enfants arrivés se sentent attendus et trouvent de quoi commencer la journée en douceur, à leur rythme. Reste à décider si les mêmes jeux sont à prévoir pendant un certain temps ou si chaque jour doit réserver ses surprises : les deux options, en lien avec d’autres critères, ont du sens. En l’absence de table, la même offre peut être faite sur des tapis de sol mais l’invitation est peut-être moins lisible pour les enfants. De plus, ils sont toujours contents de faire comme les adultes, comme s’asseoir pour faire quelque chose. À condition de pouvoir se lever, quand l’envie de bouger les démange !

Jeux de table : le plaisir de jouer avant tout
Les activités qui engagent la coordination œil-main et l’amorce des fonctions exécutives (mémoire de travail, flexibilité, contrôle inhibiteur) nécessitent un climat propice aux efforts d’attention. C’est le cas des jeux dits « de table ». La mise à disposition d’un matériel ludique spécifique n’empêche pas que les enfants soient là pour le plaisir de jouer. C’est même au travers de ce plaisir gratuit que peut s’installer chez eux l’envie de fournir des efforts. Aussi, serait-il dommage de freiner les expériences au travers du jeu et du corps que méritent tous les enfants avant d’entrer dans le grand bain de l’école. Chacun d’eux devrait pouvoir décider s’il préfère s’asseoir ou s’accouder à la table, en restant debout, ou même en s’installant par terre ou en s’éloignant jusqu’à un tapis confortable. De là à laisser les « jeux de table » (comportant souvent des petites pièces) se mélanger aux autres jouets au gré de la fantaisie et du hasard, cela se discute et engage l’orientation du projet pédagogique, au risque d’une grande pagaille. Mettre des limites à la circulation de certains jeux n’est rien d’autre que mettre un cadre dans lequel les enfants continuent à être libres. 

Des activités à table ou autour de la table 
La présence de tables dans une unité de vie, surtout après 18 mois, permet de proposer des activités qui nécessitent de sortir un peu de matériel, du plus simple au plus compliqué : des feuilles et des feutres pour le dessin, de la pâte à modeler et ses accessoires, des jeux comportant des petites pièces, comme les perles, les abaques, les encastrements et assemblages de toutes sortes (tous ceux qui sont rangés dans des placards fermés ou en hauteur, lorsque des bébés sont dans la même salle) mais aussi des activités salissantes : fabrication de pâte à sel ou atelier cuisine par exemple. La peinture, pour un jeune enfant, est une activité qui engage tout le corps, le mouvement partant de l’épaule et non du poignet, d’où l’intérêt de chevalets plutôt que de tables, de manière à peindre debout. 
Autour d’une table, lorsque la présence soutenue de la part de l’adulte s’impose (utilisation de ciseaux ou de petits couteaux par exemple), un siège à sa taille est bien utile pour s’installer auprès des enfants. Souvent, ils sont ravis de se réunir autour de la même table, mais à condition que le climat reste ludique et convivial. L’intérêt de la présence d’une chaise attribuée à chaque place est de suggérer et non de donner l’impression à l’enfant d’être tombé dans un piège. S’il entend trop de « Reste assis pour faire de la pâte à modeler. » et « Je te donnerai un autre puzzle quand tu auras fini le tien. », le joueur attablé risque d’être découragé d’avoir choisi un jeu qui demande des gestes précis plutôt que bouger en liberté dans le reste de la salle.

Une table dans le coin « dînette »
Un des espaces de jeu dans lequel une table est la bienvenue est la zone de jeu pour imiter les activités domestiques. Que ce soit pour préparer un repas ou pour manipuler dînette et aliments en plastique, une table à hauteur d’enfants est bien pratique. Avec l’ajout de petites chaises, les enfants s’assoient autour et font semblant de manger, à la maison ou au restaurant. En l’absence de ce mobilier, les enfants repèrent vite un rebord ou toute autre surface à la bonne hauteur pour eux. Donc, s’il y a de la place dans le coin « dînette », autant prévoir une petite table ronde ou carré, avec deux chaises par exemple. Cela permet aussi d’effectuer une installation soignée dans cette zone de jeu d’imitation, avant que les enfants arrivent : table préparée avec quelques assiettes et couverts à leur place, ajout éventuel de poupées à table. Pour certains enfants, cette mise en scène est un encouragement à faire semblant, alors que d’autres n’en ont pas besoin. Quoi qu’il en soit, au bout de quelques minutes, les choix de l’adulte sont vite remplacés par le joyeux désordre d’enfants qui jouent.

Des tables de jeu diverses et variées  
Les tables pour jouer existent et se présentent sous différentes formes dans les catalogues spécialisés « petite enfance ». En bois ou en plastique, elles ont chacune leurs qualités et leurs défauts. Il existe des tables pour toutes les situations : tables trouées avec un bac (construction), avec deux bacs (transvasements), à rebords (pour limiter les chutes de jouets), avec des casiers sous le plateau (pour ranger), avec et sans roulettes … Certaines sont rattachées à des bancs, d’autres sont vendues avec un couvercle ou une bâche, bien utiles pour le plein-air. La plupart sont conçues pour que les enfants jouent debout. Des tables encore plus basses (moins de 50 cm) sont pensées pour jouer assis par terre ou à genoux, sous le nom d’îlots d’activités. À défaut, une table simple peut remplir cette fonction : un garage ou une ferme installés (et éventuellement fixés) dessus, de préférence en l’éloignant du mur, met les enfants juste à la bonne hauteur pour bouger les voitures et les figurines en se sentant libres de leurs postures et déplacements. 

Finalement, difficile de dire à la place des professionnels de terrain si les tables ont leur place ou non dans un lieu d’accueil, et encore moins le nombre à conserver. C’est une estimation à faire au cas par cas, en fonction des locaux, des effectifs et du projet. Une seule certitude : si les enfants doivent slalomer entre des tables pour jouer au sol ou se déplacer, c’est qu’il y a trop de tables car pendant la petite enfance, l’espace pour s’exprimer avec tout son corps est un besoin essentiel.

 
Article rédigé par : Fabienne Agnès Levine
Publié le 19 mai 2023
Mis à jour le 10 juin 2023