Chantal Douaud, puéricultrice : « Rendre les choses prévisibles pour permettre à l'enfant d’être autonome »

Chantal Douaud est puéricultrice, directrice de la crèche Popy à Lyon, une structure multi-accueil associative de 41 berceaux qui propose, depuis sa création il y a plus de vingt ans, un projet pédagogique inspiré de l’approche d'Emi Pikler à Lóczy. L’équipe a su s’affranchir du mode de fonctionnement habituel des structures d’accueil collectif et s’organiser de manière à favoriser le respect de la motricité libre et de l’activité spontanée chez le jeune enfant.
Les Pros de la Petite Enfance : l’Institut Lóczy était une pouponnière hongroise des années 50. Aujourd’hui, les structures d’accueil collectif à la française ne répondent pas aux mêmes contraintes, n’ont pas le même cadre. Peut-on vraiment concilier approche piklérienne et collectivité ? 
Chantal Douaud : L’approche Pikler est tout à fait adaptée à nos Etablissements d’Accueil du Jeune Enfant (EAJE). Ce n’est pas une méthodologie à appliquer telle quelle mais un regard, une manière d’entrer en relation. La problématique d’une crèche, par opposition à une pouponnière, est dans la relation aux parents que les professionnels rencontrent quotidiennement et que les enfants retrouvent le soir. parents et professionnels ne portent pas toujours le même regard sur l’enfant. Mais l’on peut considérer que l’enfant est capable de faire la part des choses entre ces deux univers s’ils sont stables. D’ailleurs, l’Institut Pikler lui même devenu une crèche, se retrouve confronté à la même problématique. D’un établissement à un autre, nous n’avons pas exactement la même mise en pratique de l’approche d’Emmi Pikler. Toute l’équipe de Popy a été formée et se forme encore chaque mois. C’est un travail de longue haleine qui nourrit notre réflexion quotidienne autour de l’enfant.

Comment conciliez-vous activité autonome des enfants et aménagement de l’espace ?
A la crèche Popy, nous avons constitué des groupes d’enfants selon leurs âges : les petits, moyens et grands ce qui facilite les choses. Les nourrissons évoluent sur un tapis. Nous mettons à leur disposition des objets simples et des matériaux de toutes sortes, rangés par catégories au niveau du sol, plutôt que des jeux : il y a les objets en bois, métalliques ou bien plastiques, ceux qui sonnent, ceux qui sont brillants, d’autres mats, un objet petit et lourd, un autre plutôt volumineux et léger. Les jeux des moyens et des plus grands sont accessibles, rangés près du sol ou à mi-hauteur, hormis les objets qui pourraient présenter un danger ou qui sont mis à disposition sous la surveillance d’un adulte. Il y a également des recoins où se cacher, des petites marches où grimper, et des tables pour s’installer. Nous nous servons de barrières mobiles pour délimiter des espaces quand cela est nécessaire : pour protéger les temps de jeu de certains, ne pas laisser les bébés envahir le groupe des grands ou protéger les plus petits. Enfin, les lits sont installés en permanence dans la pièce de vie. Chaque enfant a son lit, son espace individuel, son petit coin à lui auquel il peut accéder quand il le souhaite. Le bruit ambiant les rassure et favorise même l’endormissement. Et si le plafond est très haut, un ciel de lit peut être très rassurant. On demande aux parents de nous donner des photos des proches de l’enfant, de son univers, pour afficher au dessus de son lit ou constituer un petit album photo à regarder avec lui.

Comment s’expérimente la motricité libre à la crèche ?
Nous laissons le plus possible l’enfant se déplacer seul et être actif dans les temps de soins. Des marches sont tirées pour lui permettre de monter sur la table à langer, on le laisse monter seul dans son lit etc. L’enfant n’est pas toujours d’accord pour coopérer mais le demande souvent ! Le couloir attenant à l’espace des bébés est en pente légère avec quatre marches. Une partie des marches est recouverte d’une pente en bois, glissante comme un toboggan. On peut voir des bébés d’à peine un an s’aventurer sur les marches ou sur la pente. Ils sentent le déséquilibre, aiment expérimenter au risque la première fois de se cogner. La fois suivante ils sauront refaire sans se faire mal. Le bébé est très compétent, le tout est de le laisser faire sous la surveillance rapprochée d’un adulte bien entendu, de ne pas chercher à tourner son corps pour lui montrer la marche à suivre … Les plus grands sont autorisés à monter sur les petites tables qui sont très stables et robustes. Lorsqu’il y a danger il y a quelques limites. Par exemple, nous avons des meubles « escaliers » sur lesquels les enfants sont autorisés à monter au premier voire au deuxième niveau, mais pas au-delà. 

Certains enfants semblent pourtant avoir davantage besoin d’être stimulés pour progresser.
Les enfants sont très curieux de nature. Au delà de toute pathologie, les plus lents dans leur développement sont souvent des enfants à qui l’on fait tout à la maison et sont rendus passifs. Certains apprécient qu’on leur laisse davantage d’autonomie d’autres non… Quant à l’enfant qui a été assis très tôt, avant d’être capable de le faire lui-même, il est comme coupé en deux : le buste très actif, les jambes comme bloquées. Il devient très dépendant de l’adulte. Pour qu’il retrouve une perception complète de lui-même, on va ré-allonger cet enfant là, petit à petit et en douceur. C’est un long travail qui demande patience et accompagnement.  

Comment gérez vous le temps du repas, souvent agité ? 
Les repas sont donnés dans un ordre prédéfini, à partir des informations données par les parents concernant le rythme habituel de chaque enfant. Les plus petits prennent leur repas sur les genoux d’un adulte tant qu’ils ne savent pas s’asseoir eux-mêmes. Nous utilisons des rehausseurs très bas, à quelques centimètres du sol, équipés d’une tablette. Ensuite, l’enfant pourra s’asseoir sur un tabouret, seul à table puis à une table de deux. Nous lui laissons la possibilité de se servir, de manger seul et de boire au verre dès un an. Le biberon est réservé au lait. 

Comment préserver l’individualité de chaque enfant dans le collectif ?
En ayant une personne référente auprès de chaque enfant. Il est donc essentiel d’embaucher du personnel à temps plein plutôt qu’à temps partiel. La référente connaît intimement l’enfant, elle a une position privilégiée pour l’observer, pour identifier ses besoins et rechercher la réponse qui sera parfaitement adaptée. Chaque enfant bénéficie plusieurs fois par jour de temps individuels, temps de jeu ou temps de soins, pendant lesquels il est seul avec l’adulte, et non pas avec deux ou trois autres enfants dans la salle de change par exemple. De la même façon lorsqu’on donne un biberon, le professionnel fait en sorte de rester en lien avec l’enfant qu’il nourrit sans se laisser distraire. Et si un autre pleure à côté, on le soutient à distance par un échange de regards brefs ou un sourire. Pour que les autres enfants du groupe acceptent cette relation avec l’autre, il faut qu’ils soient eux même assurés qu’ils auront la même attention de qualité quand viendra leur tour. Dans l’idéal, on essaie d’avoir une véritable continuité dans les soins : on se donne le temps de changer, nourrir et coucher un nourrisson dans une prise en charge assez longue et continue, mais avec les enfants d’âges intermédiaires ce n’est pas toujours réalisable … 

Quelle est pour vous la clé d’un accueil respectueux de l’enfant ?
Nous accordons beaucoup d’importance au langage, qui nous permet de décrire la journée, de communiquer nos projets, de mettre une parole sur ce que vit l’enfant, de lui donner des repères de temps, de lieux et de personnes en lui décrivant ce que l’on fait. On ne sait pas exactement à partir de quand l’enfant est en mesure de comprendre mais il nous le montre rapidement par ses gestes et sa capacité de collaboration. En lui expliquant comment vont se dérouler les choses, ce que l’on est en train de faire, on lui rend les choses prévisibles, on lui donne la possibilité de donner son accord ou son désaccord. L’enfant qui a entendu cette parole fiable et respectueuse sera progressivement capable d’attendre son tour ce qui est un pas vers l’autonomie.

Comment favorisez vous les transmissions, le lien avec les parents ?
Chaque enfant possède un carnet de liaison qui navigue entre la maison et la crèche. L’équipe et les parents peuvent le remplir à leur guise. Il vient compléter les temps d’échange du matin et du soir qui sont essentiels. Nous remplissons des fiches de rythme plus précises pour les nourrissons (siestes, veilles, repas, pleurs, …). Enfin pour donner plus de sécurité et de repères on ne prend plus les enfants de bras à bras. Lorsqu’on tend l’enfant pour qu’il soit pris dans les bras, on le maintient dans le vide, on l’éloigne de soi, on l’arrache … Ce sont les parents qui déposent leur enfant sur le tapis, quitte à ce qu’on le reprenne rapidement dans nos bras, si nécessaire, et vice versa le soir. De cette manière, les séparations se font beaucoup plus sereinement.
Article rédigé par : Laurence Yème
Publié le 13 mars 2016
Mis à jour le 24 mai 2019