Les photos. Par Anne-Cécile George

Directrice de crèche, infirmière-puéricultrice

Fotolia
phto bébé
C’est la rentrée des classes et on peut voir des dizaines de photos d’enfants, sur les réseaux sociaux, cartables juchés sur les épaules, chaussures lustrées et tenues impeccables : check, ils rentrent dans les cases. Dans deux moins, on aura droit à la photo du 10/10 en mathématiques. Nos enfants sont ultra médiatisés ! Je ne suis guère la dernière à jouer le jeu, car je me surprends parfois à rivaliser sur l’audace ou la photogénicité de mes enfants comme s’ils étaient le faire valoir de mes compétences parentales.

Quelle incidence sur les enfants ? Trop jeunes, ils n’ont pas encore accès à leur image et ne s’imaginent pas ce qu’il se trame dans leur dos. Plus vieux, ils réalisent l’effet qu’ils peuvent induire et la portée des images sur autrui. Mon fils de cinq ans en est la preuve, il accepte rarement de se faire photographier et si il accepte c’est à sa demande : il contrôle son image mieux qu’Emmanuel Macron ! Et qu’elle ne fut pas la surprise de ma fille lorsqu’elle se distingua pour la première fois sur Facebook. Je réalisai, à 8 ans comme à 8 mois : avons-nous le droit de tout publier ? Seront-ils capables dans 10 ans d’assumer ces photos que nous avons posté ? Le « premier pipi sur le pot » « la première crotte dans le bain », tant de moments partagés sur les réseaux, qui vont jusqu’à bafouer leur intimité au prix d’une surenchère égocentrée.
Si l’adulte fait attention à son image, l’enfant, lui, n’est pas toujours pris à son avantage. Mais avant de vendre leur image au diable, il y a avant tout un contrôle quasi nul de l’image publiée. C’est ainsi qu’une assistante maternelle qui prenait en photo les enfants dont elle avait la garde, s’est retrouvée au cœur d’un tourment judiciaire, car son fils publiait régulièrement les photos de ces enfants sur des sites pornographiques.

En crèche, il est fréquent de voir les familles, yeux rivés sur l’affichage des activités de leurs chérubins, arborant le smartphone pour capturer innocemment ces moments. Qu’en advient-il de la photo ? Se retrouve-t-elle, elle aussi sur les réseaux sociaux ? Invoquant le droit à l’image, nombreuses sont les structures d’accueil interdisant désormais l’affichage des photos dans l’enceinte de l’établissement. Ces mêmes structures ouvrent les parapluies en demandant tout de même une autorisation pour la prise de photo ou de vidéo sous le prétexte qu’on a « toujours fait comme ça » mais aussi qu’« on ne sait jamais ! ». Et ces deux prétextes sont valables à peu près pour tout ce qu’on fait de manière robotique : les papiers comme les pratiques. Les parents, bons élèves, signeront l’autorisation en posant candidement la question « il y aura un photographe à Noël ? » et se heurteront à un hochement négatif de la tête. Ils recevront pour explication « nous ne sommes pas à la maternelle ! ».
Et c’est bien dommage. L’idée est plutôt bonne. Nous tentons de renouer le lien avec les familles en les faisant entrer dans les structures d’accueil et les impliquer dans la vie de la crèche mais rares sont les souvenirs qu’ils pourront garder de ces trois années. Les trois premières années de vie de leur enfant. Les piliers d’une vie d’adulte. Ces souvenirs s’effaceront ils ? Car la mémoire, ça s’entretient. Regarder ces photos en famille et bénéficier de l’anecdote associée permet de raviver chaque fois un souvenir. Absent, celui-ci s’effacera petit à petit car il n’aura pas été mobilisé.

Frustrés de ne pas pouvoir être au côté de leur progéniture, ou tentés par un contrôle permanent des personnes qui en ont la charge, les parents convieront ils bientôt Big Brother dans les multi-accueils ? C’est ce que l’on peut d’ores et déjà observer dans plusieurs lieux d’accueil parisiens qui proposent un accès informatique aux familles pour se connecter en journée et contempler les leurs. Les épier ? La dérive du tout contrôle pointe le bout de son nez. En cause, la rubrique faits divers qui compilent régulièrement des cas de maltraitance en crèche ou chez les assistantes maternelles et effraient ainsi de nombreuses familles. On ne peut pas le nier, cela existe.
Mais au prix d’un cas par an, peut-on priver l’enfant de la liberté de vivre SA journée de crèche, sans avoir un regard aiguisé sur tous ces faits et gestes. Cela n’engendrerait-t-il pas des déviances comme « aujourd’hui je t’ai vu mordre un petit garçon, ce n’est pas bien » et « je t’ai vu aussi piquer la fourchette à Matthias, c’est interdit tu le sais ». Quand les reproches ne sont pas adressés directement à la professionnelle qui en a la charge. Personnellement, je n’aimerais pas que ma mère puisse encore avoir un contrôle à distance sur ma journée passée au travail « Je t’ai vu te ronger les ongles, t’as pas honte ? » « Et les petits chocolats que tu caches dans ton tiroir, je croyais que t’étais au régime ? ». La science-fiction mise à part, tu comprendras qu’il est agaçant d’être H24 sous HSP. (Comprendre : sous haute surveillance parentale).

Nos enfants ont déjà pris l’habitude de vivre sous nos objectifs, dégainés à la moindre occasion. Il n’est pas rare de les voir poser en crèche lorsque l’un des professionnels sort l’appareil. Ils stoppent leur activité et arborent leur plus beau sourire. Etre photographié c’est un peu être adulé. Mais est-on moins aimé lorsque nous ne sommes plus mis ainsi en lumière ? Quand je dis à l’un de mes enfants « Je vais envoyer à mamie la photo de toi jouant au tennis », à l’autre de me dire « et moi ? Tu n’envoies rien ? Je ne sais rien faire moi ? ». Faut-il céder aux sirènes de cet exhibitionnisme permanent ? Chaque élément mis en valeur est savamment sélectionné parmi tout ce que nous éprouvons. Alors cette vie bien orchestrée prend la tournure d’un film, d’une histoire qu’on raconte aux autres. Mais la vie, ce n’est tellement pas ça. C’est aussi, parfois, la fatigue, les cernes, les crises, les colères, les échecs, les chutes. C’est la culture de l’image qu’on transmet à nos enfants, alors qu’à une autre époque la notion d’image arrivait sur le tard.
En crèche, nous utilisons principalement le support photo pour compiler les actes du quotidien dans un imagier et ainsi favoriser les échanges, amener la discussion. L’enfant apprend à s’identifier sur les photos, et l’on peut ainsi jouer sur les notions de schéma corporel et repères spatio-temporels « tu reconnais qui est là ? », « c’était où ? », « qu’est-ce tu tenais dans la main ? ». C’est aussi un moment d’individualité dans une journée en collectivité.
Article rédigé par : Anne-cécile George
Publié le 26 septembre 2017
Mis à jour le 04 octobre 2017