Violences éducatives ordinaires : ne nous taisons plus ! Par Julie Marty-Pichon

EJE, professeur des écoles

Petit garçon avec masque
Pendant ces vacances, je déjeune avec mes amies professeures des écoles stagiaires comme moi et avec qui j’ai préparé le concours une année auparavant.
Ce déjeuner, rare, est l’occasion d’échanger sur nos parcours respectifs au sein de nos classes, de l’institution et de l’INSPE. Elles sont toutes en élémentaire. Au détour de la conversation, je demande comment cela se passe avec le port du masque pour elles et les enfants. Elles m’avouent ne plus le supporter, comme moi et qu’elles sont témoins de situations inacceptables tout en m’expliquant qu’elles ne peuvent rien faire. En les écoutant je sais au fond de moi que cela peut exister mais je n’en reviens pas que cela puisse vraiment exister ! La situation est la suivante : les élèves sont punis régulièrement de récréation car ils ne portent pas le masque correctement en extérieur. Oui, oui, c’est bien de cela que l’on parle.

Je ne vais pas lancer le débat du pour ou contre le port du masque, là n’est pas le propos de ma chronique.

Je voudrais surtout réfléchir à comment en tant qu’adulte qui plus est qui enseigne à des enfants, on en arrive à ce type de situation professionnelle qui relève des violences éducatives ordinaires auprès des enfants. Je dirai même de violences tout court.
Qu’est-ce qui fait que des professionnels de l’enfance, titulaires ou non, cautionnent et ne remettent pas en question ces pratiques ?

J’ai l’impression de revivre mes années de stage EJE. J’étais alors en stage pendant trois mois en IME avec des enfants âgés de 6 à 12 ans. J’ai assisté à de nombreux comportements maltraitants des professionnelles (gifles et fessées principalement). Et je n’ai rien fait… Je n’ai pas discuté avec ma tutrice de stage (elle-même maltraitante), je n’ai pas alerté la direction, j’ai juste tenté de réconforter les enfants. Pourquoi ? Parce que j’étais STAGIAIRE et que j’avais peur des représailles (non validation du stage, mauvais appréciation etc.). Depuis ce jour de 2009, je me suis juré que ça n’arriverait plus.

Ces situations révèlent plusieurs problématiques : le travail en équipe n’est pas évident dans une école (pas d’espace pour discuter des sujets de fond, pas de formation sur ce que c’est de coordonner une équipe sans lien hiérarchique), aucun cours à l’INSPE(en tout cas à ce jour) sur les droits des enfants ou la bien-traitance (bon là je pousse, d’accord !), la liberté pédagogique peut favoriser ces pratiques (après tout « je fais ce que je veux avec mes élèves ! »), des professionnels qui se protègent, se rassurent face à l’institution (j’applique le protocole à la lettre, je sanctionne, on ne pourra pas venir me trouver si cet enfant est positif au COVID), des enseignants-stagiaires qui craignent pour leur titularisation, des enseignants titulaires qui ne veulent surtout pas voir pour éviter les soucis (j’ai assez à faire avec ma classe, je ne vais pas en plus m’occuper des autres)…

Il n’est pas question de dire que mes collègues font mal leur travail ni de les juger mais bien de réfléchir collectivement pour que ces situations se discutent entre professionnels et trouvent des solutions qui respectent le droit des enfants à une éducation sans violence.
Il s’agit ici du port du masque mais ce pourrait être bien autre chose. Par ailleurs, la position de stagiaire ou de non-titulaire dans mon cas n’enlève rien à la responsabilité qui est la notre. On peut parfois se sentir très seul face à des situations et ne pas trouver de soutien. Mais on ne peut pas baisser les bras et se dire que ce n’est pas grave car le matin avant qu’on parte au travail, il faut toujours pouvoir se regarder dans le miroir de l’entrée et se dire qu’on est droite dans ses « bottes ». Parce qu’au-delà du professionnalisme, il s’agit d’éthique. Nous le devons aux enfants.

 
Article rédigé par : Julie Marty-Pichon
Publié le 28 février 2021
Mis à jour le 01 mars 2021