La familiarisation des enfants à la crèche vue par trois directrices

La semaine dernière, c’était la rentrée pour les élèves, mais aussi pour des centaines d’enfants en crèche. Des tout-petits qui vont découvrir un nouvel environnement et prendre progressivement leurs marques accompagnés par les professionnels. Comment se déroule cette période qu’on appelait autrefois adaptation et aujourd’hui familiarisation ? Interviews de 3 directrices de crèche.
Ludivine Targat : « Chaque familiarisation nous apprend des choses différentes. »
Ludivine Targat est directrice de la Maison de la Petite Enfance à Lisieux (Normandie). 

« Début septembre nous avons accueilli trois nouvelles familles. Pour faciliter la séparation, nous avons mis en place ce qu’on appelle la familiarisation ou « habituation » : c’est un temps indispensable qui permet à l’enfant de se familiariser au mode d’accueil sans être séparé de son parent. Les trois premiers jours, l’enfant et son parent sont accueillis à la crèche au même moment, c'est-à-dire sur la même plage horaire (matin ou après-midi), avec le même professionnel, dans le même espace et avec les mêmes jeux. C’est important de respecter la durée minimum de trois jours car il est prouvé que les enfants sont capables d’intégrer des informations au bout de trois répétitions identiques. Ensuite, il pourra les considérer comme probables et donc prévisibles. La répétition crée un environnement sécurisant, donne des repères. 

La semaine suivante, si les parents sont encore disponibles, nous allons allonger le temps d'accueil, mais cela restera des petites journées, toujours sur le même créneau horaire afin qu’il n’y ait pas trop de nouveautés. Les résultats de cette approche sont très intéressants, les pros s'y retrouvent en termes d’organisation, l’enfant vit beaucoup mieux la familiarisation que l’adaptation classique. Il sait que le parent le laisse dans un endroit qu’il cautionne car il y a passé du temps et a échangé longuement avec les professionnels. Cette période passée ensemble pose les bases d’une relation de confiance
À la fin septembre, nous organisons une réunion de rentrée pour tous les nouveaux afin de présenter l’équipe, le projet pédagogique, les actualités des neurosciences sur les besoins de l’enfant. Les parents ont pris un peu de recul, ils sont moins dans l’émotion que lors de la semaine de familiarisation. C’est intéressant de pouvoir entendre leurs questions après ces premières semaines à la crèche. »

Camille Hamon : « La dynamique de la familiarisation, c’est d’apprendre à se séparer ! »
Camille Hamon est directrice de deux micro-crèches associatives ADMR (78).

« La familiarisation démarre dès l’été précédant la rentrée. Dans un premier temps, je convie toutes les nouvelles familles à une réunion d’équipe au mois de juin sans les enfants. À cette occasion, nous détaillons l’organisation de la crèche, les valeurs portées par la structure. Nous avons remarqué que ce temps d’échange avant l’été enlevait beaucoup de stress et d’appréhension aux parents car ils avaient le temps de se projeter. La rencontre se termine par une visite des locaux. Pendant les vacances, je conseille aux parents de parler de la crèche à leur petit, de lui dire les prénoms des professionnelles afin qu’il enregistre petit à petit, je demande aussi de constituer un petit album photo qui restera à la crèche. 

En vue de la rentrée, j’envoie un mail à chaque famille où je précise l’heure de rentrée et la professionnelle qui les accompagnera. L’organisation se fait ensuite entre le parent et le pro autour du vécu de l’enfant, et avec les contraintes de chacun. On préfère qu’il n’y ait qu’un parent pendant l’adaptation pour limiter le nombre d’adultes en salle de vie. Cela déstabilise les tout-petits… les nouvelles têtes.

Le premier jour, généralement, on fait connaissance : le parent reste avec son enfant. Il voit toute l’organisation et le fonctionnement d’une équipe en crèche, regarde comment son enfant réagit et repère ses besoins. Dans la mesure du possible, il n'y a pas de séparation les trois premiers jours et cela peut durer plus longtemps si l’enfant en ressent le  besoin. Pour les bébés qui ne se déplacent pas encore, la familiarisation a lieu dans un endroit bien spécifique, reconnaissable par l’aménagement et avec un adulte au sol à côté. Cette pro référente constitue le premier repère pour l’enfant et son parent, celle avec qui l’enfant établira ses premiers liens. Cette personne fera la continuité des soins la deuxième semaine pour que l’enfant puisse continuer de constituer tous ses repères en dehors de son milieu familial. Elle sera le lien avec les autres enfants et les autres adultes. 

Durant cette période de familiarisation où le parent est très présent, on pose les bases de la relation. Le lien de confiance commence à se créer et continuera de se consolider tout au long de l'accueil. Nous accompagnons beaucoup le parent par la verbalisation car c’est toujours très difficile de se séparer de son enfant. Quand il est prêt, en général le tout-petit l’est aussi. Nous accueillons en ce moment un enfant de deux ans, il a des difficultés car il n’a jamais été séparé de sa mère, il est vraiment en manque physique d’elle. Alors on adapte les conditions d’accueil, la séparation n’étant pas possible pour l’instant, on lui propose le même rythme tous les matins avec son parent. Notre volonté est qu’il se sente sécurisé dans un environnement où il va vivre quatre à cinq jours par semaine, qu’il s’autorise à exprimer ses émotions aisément. 

Nous sommes une micro-crèche, nous avons plus de flexibilité et mon  équipe est stable et très investie. S’il y a besoin de passer plus de temps auprès d’un enfant, je peux mobiliser une pro en renfort pour ne pas déstabiliser le reste du groupe. Pour concrétiser la séparation chaque matin, nous avons mis en place le « rituel de l’interphone » : quand le parent part, l’enfant lui dit au revoir à travers la caméra de l'interphone. Vive la technologie ! Ce geste marque le début de la séparation de la journée, l’enfant sait qu’il retrouvera son parent, il est serein. »

Corinne Besnard : « La familiarisation commence avec la première rencontre avec les parents. »
Corinne Besnard est directrice de la crèche « Les bébés explorateurs » (Nantes). 

« Je rencontre toujours les familles en amont avec leur enfant pendant 1 heure à 1 heure 30, je présente l’équipe, notre fonctionnement autour de notre projet éducatif, une journée type etc, et je laisse un temps de questionnement. C’est un échange où on établit un premier lien de confiance. Je souhaite leur faire comprendre que la crèche n’est pas un lieu fermé, qu’ils sont libres d’y accéder et de nous partager toutes leurs questions. J’insiste aussi sur le respect de l’individualité des jeunes enfants, c’est une valeur forte, même si nous sommes en crèche, le bien-être de chaque enfant est favorisé, en fonction de ses particularités. 

On aborde aussi le déroulement de la familiarisation avec cette idée que cette étape va dans les deux sens, contrairement à l’adaptation. Nous proposons une familiarisation avec ou sans séparation en fonction des besoins de l’enfant et des impératifs des parents. Elle se fait classiquement sur une à deux semaines, et pour qu’elle s’opère dans les meilleures conditions, nous limitons les familiarisations à deux par section et par semaine. 

Le premier jour, le parent et son enfant sont accueillis pendant 1 heure, le plus souvent le matin, par une référente qui sera celle qui suivra le petit sur tous les temps de soins. On s’assure que ce moment se déroule dans un endroit ou le pro ne risque pas d’être sollicité par d’autres enfants. Et on discute des habitudes de vie du tout-petit, de son rythme, on le regarde explorer son environnement, on prend le temps de recevoir la parole du parent, des questions qui portent fréquemment sur le sommeil, le repas. Le lendemain, la familiarisation est un peu plus longue : 1h30 à 2 heures, il ne faut pas oublier que le parent peut ne pas se sentir à l’aise au milieu de la crèche, à nous de lui faire comprendre qu’il y a toute sa place. La familiarisation, c’est le travail de toute une équipe, si un pro peut se mobiliser pour une famille, c’est parce qu’un autre prend le relais. 

Le 3ème jour, c’est parti pour une petite matinée avec le premier repas. Celui-ci est toujours donné par le parent en présence de la référente. Un temps essentiel car il y a certains enfants qui ne s’autorisent pas à manger à la crèche tant qu’ils ne l’ont pas fait avec leur parent. Le 4ème jour, le parent dépose l’enfant en fin de matinée et on introduit une première sieste, et le 5ème jour, première petite journée pour le tout-petit, par exemple de 9h à 15h30/16h. L’enfant a toujours sa référente, ainsi qu’une référente binôme. Un lien privilégié se tisse progressivement entre eux qui favorisera des échanges, par exemple sur le temps du repas. Bien-sûr, au début,  cela arrive que les enfants pleurent, je dis aux parents de ne pas hésiter à nous appeler dans la journée, notre porte reste toujours ouverte. Si les pleurs persistent, qu’on sent que le petit n’est pas sécure, on prend le temps de discuter avec les parents sur le temps des transmissions. J’associe l’enfant à cette discussion, je m’adresse à lui pour essayer de savoir ce qu’il essaie de nous dire avec ses pleurs. Même s’il ne verbalise pas encore, on essaie de trouver une solution ensemble. »

 
Article rédigé par : Candice Satara
Publié le 09 septembre 2024
Mis à jour le 27 septembre 2024