Véronique Salvi : «Le management bien-traitant profite à tous »
Véronique Salvi : En tout cas pour moi cela a été un choix. Et je crois qu’il faut toujours savoir pourquoi on choisit de l’être. Je n’ai jamais eu de projet de carrière. J’ai été infirmière pendant 13 ans. Je suis arrivée à la Ville de Paris en 2002 au moment des premiers recrutements d’infirmières dans les crèches. Puis je suis devenue infirmière puéricultrice. J’ai souhaité être directrice non pas pour avoir du pouvoir, mais par envie d’impulser des choses : mettre en place un projet avec une équipe. Avoir une position hiérarchique permet d’agir pour les enfants. C’est ce qui m’a motivée et me motive encore.
Comment avez-vous découvert le management bien-traitant ?
J’ai fait une formation à «L’éveil du tout petit» avec Edith Lorenz de l’association Bien-traitrance, formatrice à cette approche créée par Janine Levy. Pour moi c’est une démarche professionnelle globale. Beaucoup des principes de cette approche s’applique aussi aux adultes (d’anciens enfants somme toute). La bien-traitance de l’équipe reste en lien avec celle des enfants.
Qu’est-ce que c’est un mangement bien-traitant ?
La bien-traitance est le souci de soi (sans oublier l’enfant qu’on a été), le souci de l’autre et le souci de l’institution. Un management bien-traitant, c’est se souvenir que l’on n’est pas seul et penser ses pratiques managériales. On respecte chaque professionnel en lui accordant une attention individuelle dans le collectif. On lui donne des repères co-construits et on encourage sa prise d’autonomie. Seul un cadre sécurisant permet de prendre des initiatives.
Quel est l’apport des neurosciences dans l’exercice d’un management bien-traitant ?
De récentes recherches ont mis en évidence le rôle des neurones miroirs dans l’explication de l’empathie. Elles ont aussi permis de comprendre pourquoi les émotions positives ou négatives sont « contagieuses », les neurosciences confirment donc la nécessité d’une démarche managériale bien-traitante et orientent les pratiques. Par exemple, on réfléchit à la composition des équipes et à l’accueil des nouveaux arrivants.
Un manager souriant aimable et prenant du temps pour accueillir un professionnel actionnera les cellules miroir de ce dernier et ces émotions positives seront transmises au professionnel par contagion. En revanche, un management par la peur et le stress, chargé d’émotions négatives, entraîne une absence d’initiative et une démotivation. D’où l’intérêt d’un management bien-traitant, intérêt objectivé par les neurosciences.
Concrètement, comment avez-vous exercé votre management dans les établissements que vous avez dirigés ?
Dans la filière petite enfance, les équipes sont constituées de professionnels de tout âge. C’est une richesse. Développer des connaissances concernant le management intergénérationnel est donc très utile. En effet, tous les professionnels n’ont pas les mêmes besoins en termes de management en fonction de leur expérience et de leur génération. Le rapport au travail n’est pas non plus le même et il est nécessaire d’adapter son management.
Je suis aussi très attachée à l’analyse réflexive : prendre le temps de déterminer ce qui ne va pas ou est à améliorer et également ce qui va bien est très important. On analyse souvent moins ce qui va bien mais pourtant, c’est tout aussi utile car cela permet de reproduire les succès quand on en a compris le mécanisme. Dans les établissements que j’ai dirigés, il y avait une réunion avec les EJE chaque semaine, une réunion d’information avec une auxiliaire par section et un agent technique chaque semaine aussi. Les réunions avec un psychologue tous les 2 mois environ pour chaque section. Et trois fois par an des journées pédagogiques.
J’ai suivi une formation de cadre de santé, et j’ai souhaité réinvestir mes connaissances en impulsant des démarches qualité en crèche. C’est une démarche projet et un levier managérial très intéressant qui permet d’impliquer toute une équipe. On part de la réflexion de toute l’équipe sur un thème à travailler (les repas, le sommeil, les activités…) pour fixer ensemble les objectifs à atteindre et les critères généraux de qualité attendus. Puis sur la base du volontariat, un groupe-projet est constitué qui rassemble des professionnels de chaque section sections plus une EJE plus un agent technique et les directrices. Le groupe travaille sur plusieurs séances pour mettre au point les grilles d’observations qui sont des grilles d’audit. Puis le groupe de travail partage avec l’ensemble de l’équipe les critères de qualité élaborés pour avoir son avis et un test des grilles est effectué avant la validation par toute l’équipe en journée pédagogique. Les résultats sont aussi analysés en journée pédagogique et les écarts constatés entre ce qui était attendu et ce qui a été observé permet de décider ensemble des réajustements à effectuer. Les grilles comportant les critères de qualité sont distribuées à tout nouveau professionnel arrivant dans l’équipe de façon à ce qu’il comprenne au mieux le projet travaillé dans l’établissement et ce qui est attendu. La démarche qualité fait appel à l’imagination, à la créativité et à l’intelligence des professionnels. Ce n’est pas normatif. C’est une bonne démarche pour initier et conduire les changements.
Pour moi l’objectif du management c’est que les équipes gagnent en autonomie: c’est de l’accompagnement et pas uniquement du contrôle. Il faut pour réussir beaucoup d’humilité et parfois se dire quand ce n’est pas le moment, qu’il vaut mieux différer certaines demandes et se contenter de petites victoires au quotidien.
Comment gérez vous les conflits d’équipe ?
D’abord en général je les vois arriver mais pas toujours ! Il ne faut pas faire la politique de l’autruche et se dire que cela va passer tout seul car c’est rarement le cas. Il est donc très utile de pouvoir identifier les tensions afin de prévenir au maximum les conflits... Et j’ai souvent constaté qu’ils proviennent plus souvent de tensions au sein de l’équipe, entre des professionnels que de tensions avec la hiérarchie. La pression est parfois mise par des professionnels sur d’autres professionnels alors qu’on parle plus souvent de la pression exercée par les encadrants. En tout cas, je m’occupe toujours d’une ambiance qui se détériore. Je tente de les résoudre en jouant un rôle de médiatrice. En dehors de faute professionnelle manifeste, je suis neutre, je ne prends pas parti pour l’un ou pour l’autre. Je prends toujours position pour faire respecter le projet et l’intérêt des enfants et des familles. J’écoute les professionnels, je leur permets d’exprimer leur ressenti et qu’elles le fassent entendre à l’autre partie en présence. J’exprime mes attentes et celles de l’institution en tant que garante du cadre posé.
Pour résoudre certains conflits, j’ai mis en place des contrats d’objectifs où chaque professionnel s’engage à se recentrer sur ses missions et à respecter le projet dans toutes ses dimensions (enfants-familles et équipe) Et il y avait au sein des crèches où j’ai été responsable, une charte du travail en équipe élaborée par l’équipe elle-même. Je me servais de cet outil en cas de tensions ou conflit quand les engagements prévus n’étaient pas tenus.
En quoi exercer des responsabilités dans une crèche peut être différent ?
Notre travail est difficile et précieux. Dans une crèche, on est au royaume des émotions : émotions des enfants, émotions des familles, émotions des professionnels. S’occuper des enfants est fatiguant physiquement et psychiquement. Le rôle du manager est d’aider la professionnelle qui « sature » sans qu’elle se sente attaquée dans ce qu’elle est en tant qu’individu. Etre responsable de crèche demande un management bien-traitant parce que l’on accompagne des adultes à prendre soin des adultes de demain et donc de la société de demain. La responsabilité est donc immense tant pour le manager que pour les professionnels auprès des enfants.
Pour aller plus loin, suivre notre formation en ligne : Manager son équipe en micro-crèche.
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