Réforme des modes d’accueil en structure collective, attentes et déceptions. Par Géraldine Chapurlat

Juriste, formatrice petite enfance

© David Ademas
professionnelle de crèche et enfants
La juriste que je suis, guette donc depuis maintenant presque 18 mois, la publication des arrêtés d’application, ces fameux textes qui permettent « la mise en musique » des principes posés par la réforme des modes d’accueil. Si ce retard n’affectait que les juristes, se serait finalement un moindre mal. Mais les retards de publication de certains arrêtés mettent principalement en difficulté les gestionnaires de structures et les services de Protection Maternelle et Infantile qui les contrôlent. Ces derniers, loin des concertations faites en haut lieux et faute d’une vue d’ensemble des textes, peinent à envisager la réforme dans toute son envergure. 

Un retard conséquent d’une réforme pourtant préparée

L’ordonnance du 19 mai 2021 qui lance la réforme des modes d’accueil nécessitait d’être accompagnée de dispositions réglementaires. Nous sommes en septembre 2022, l’ensemble des dispositions réglementaires ne sont à ce jour pas encore toutes publiées. Tant est si bien que la mise en œuvre de la réforme dans les structures collectives, initialement annoncée au 1er septembre 2022, a été reportée au 1er janvier 2023. 

Dernier épisode en date : le comité de suivi de la réforme des modes d’accueil travaille sur le décret final qui balayera l’ensemble des dispositions manquantes pour appliquer l’ensemble de la réforme. Le décret ne devrait être publié au mieux que mi-décembre ! Un peu court pour que les gestionnaires de structures collectives interrogent le fonctionnement de leur établissement et procèdent aux mises en conformité.

Nous restons donc à ce jour dans l’attente d’ultimes concertations pour la publication des derniers arrêtés. Pourtant les concertations autour de la réforme des modes d’accueils ont été lancées avec l’ensemble des acteurs depuis novembre 2018. Les concertations se révèlent donc vraisemblablement bien plus ardues qu’escompté par le Ministère. Les professionnels de la petite enfance confrontés à une véritable crise et forts de la médiatisation de leur mal-être se révèlent-ils au final des partenaires bien plus difficiles à convaincre ?

Notons que nous sommes toujours dans l’attente de précisions réglementaires, et non des moindres, concernant la présence des CAP petite enfance au sein des équipes en crèche collective. 

Ces précisions seront essentielles puisque l’arrêté du 29 juillet 2022 a abrogé les deux précédents arrêtés (arrêté du 26 décembre 2000 et arrêté du 3 décembre 2018) qui exigeaient que les CAP petite enfance ou CAP.AEPE représentent 75% des professionnels qualifiés. (qui représentent 60% des professionnels encadrant directement les enfants). L’arrêté du 29 juillet dernier a étendu les qualifications reconnues pour encadrer directement les enfants. Notons que la majeure partie de ces qualifications concernent des professionnels du care dont le cursus de formation n’est pas centré sur l’accueil du jeune enfant. 

En l’absence de précisions réglementaires, les gestionnaires n’auraient donc plus à recruter 75% de CAP petite enfance ou AEPE. C’est donc reconnaitre que face à la pénurie de professionnels dans le secteur petite enfance, on ne privilégie plus la présence de CAP petite enfance ou AEPE dont le cursus de formation a été revu en 2019 afin justement de mieux les préparer au travail en EAJE. Je m’étonne donc que les mobilisations autour de l’arrêté du 29 juillet 2022 se soient focalisées sur la possibilité de recruter du personnel non diplômé et passent sous silence ce changement, lourd d’incidence pour la qualité d’accueil. 

Une réforme simplificatrice ?

Il n’est pas question ici de nier les indéniables avancées de la réforme pour le secteur de la petite enfance : le cadre national pour l’accueil des jeunes enfants pose des repères éclairants pour la qualité d’accueil des jeunes enfants. L’obligation d’analyse de la pratique pour les professionnels encadrant directement les enfants, l’obligation de recruter dans toutes les structures, micro-crèche comprise, un référent santé et accueil inclusif constituent également des avancées indéniables. La clarification de l’aide à l’administration des médicaments pour l’ensemble des acteurs de la petite enfance représente une avancée simplificatrice fort attendue par la plupart des acteurs du secteur.

Mais la réforme visait aussi à supprimer les interprétations divergentes entre les différents de services de Protection Maternelle et infantile et sur ce point, je ne peux que constater que nous sommes loin du compte. Loin de moi l’idée de jeter la pierre sur ces services : en effet le décret du 30 août 2021 était applicable, pour certaines dispositions, au 1er septembre 2021. Il paraissait compliqué pour un service d’assimiler le texte en si peu de temps. Par ailleurs, de nombreux agents de la Protection maternelle et Infantile ont dû traiter les dossiers, accompagner les structures dans l’urgence. Et donc, comme on pouvait le craindre, des interprétations divergentes sont rapidement apparues entre différents départements : ainsi le temps d’instruction des demandes d’augmentation de capacité des micro-crèches a fluctué entre 1 et 3 mois suivant le département où le gestionnaire a fait sa demande. 

Si cette disparité de traitement n’est pas trop lourde de conséquences, il en va autrement pour la détermination de la quotité de travail des professionnels diplômés en crèche collective. La réforme définit de manière claire les missions et quantifie les heures de présence hebdomadaires en Equivalent Temps Plein des professionnels diplômés (temps de direction, temps infirmier, temps EJE et temps de réfèrent santé et accueil inclusif) en fonction de la capacité d’accueil de la structure.

Mais la Foire aux questions du Ministère* censée clarifier les choses a semé le trouble dans l’application de cette disposition : Elle propose en effet une interprétation qui autorise qu’une structure de 25 à 39 places recrute un même professionnel pour des fonctions de direction et des fonctions d’EJE alors qu’au terme de la reforme il est exigé 0.75 ETP pour chacune de ces fonctions.

La réforme a pourtant clairement définit les missions de l’EJE et du personnel de direction qui sont des missions bien distinctes. 

Dans  la pratique, quand une seule et même personne  assume ces deux fonctions, le temps de direction empiète sur le temps d’encadrement de proximité de l’EJE, tant et si bien que ce dernier se retrouve  réduit, voire inexistant. Cet encadrement de proximité parait encore plus que nécessaire quand on intègre des professionnels non diplômés ou avec des qualifications éloignées de la culture de la petite enfance.

Bien évidemment, suite à la publication de la FAQ, les interprétations divergent entre départements : certains services PMI, s’en tenant à l’interprétation stricte de la loi, refusent qu’un seul professionnel puisse être recruté pour assumer les fonctions de direction et d’EJE tandis que d’autres s’appuient sur la FAQ pour autoriser le recrutement d’un professionnel  à temps plein qui assumera ces deux missions. La situation reste donc identique : ces disparités dans l’interprétation du décret créent chez les gestionnaires une véritable incertitude pour le recrutement de leur équipe. On ne peut que le regretter…

Espérons que ce fameux décret final attendu pour la fin de l’année puisse lever un certain nombre d’incertitudes et apporter des garanties de qualité pour l’accueil du jeune enfant…

*FAQ modes d’accueil du jeune enfant 13 dec 2021 point 11
Article rédigé par : Géraldine Chapurlat
Publié le 22 septembre 2022
Mis à jour le 23 septembre 2022