Prêt pour l’école ? Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

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peinture à la maternelle
Voilà la même question posée par les parents et qui revient chaque année aux oreilles de l’ensemble des professionnels de la petite enfance accueillant un petit, devenu un peu moins petit, : « est-il prêt pour aller à l’école ? ». A cela s’ajoute un ensemble d’arguments autour de l’idée qu’il s’ennuie à la crèche, qu’il en fait le tour, qu’il a besoin de rencontrer d’autres enfants plus grands, qu’il est propre, ou encore que les jeux de la crèche ne lui correspondraient plus. Certains parents regrettent même que leur enfant ne soit pas déjà à l’école. En effet, outre le fait que cette dernière est gratuite, ils perçoivent que leur enfant n’est plus un bébé et qu’il lui faut découvrir un autre milieu plus à même de répondre à ses besoins d’apprentissage.
Cette école maternelle, devenue obligatoire, répond en fait à une demande sociale de scolarisation précoce, visant à permettre à tous les enfants d’accéder à une instruction afin de réduire les écarts entre les enfants et d’offrir une chance à chacun d’eux.
Mais quels sont les réels critères permettant du déterminer si un enfant est prêt pour l’école ?

L’ennui, la propreté, l’autonomie, les sociabilités entre pairs, sont-ils les vrais signes annonciateurs d’une prédisposition à entrer à l’école ? Et quel lien de cause à effet existe-t-il entre le fait de ne plus avoir besoin de couches et celui d’apprendre ? Ces critères trop globaux, quelque peu légers, flous, voir faux ne sont qu’illusions. Nous faisons croire aux parents que l’enfant va débuter ses apprentissages à l’école et que l’ensemble de ce qui s’est passé avant ne compte pas, ou n’était qu’attente et préparation à cette fameuse étape, si important à leurs yeux, que représente l’entrée de leur enfant à l’école. C’est oublier à quel point les PREMIERS apprentissages de l’enfant ont commencé depuis longtemps et que ces derniers ont été primordiaux, nécessaires, rapides, et intéressants. Or qui s’est vraiment intéressé à eux ? Les professionnels de la petite enfance, évidemment. Ils ont été, jusque-là les personnes les plus importantes dans la vie de l’enfant. Ce sont eux qui ont permis à chaque enfant d’apprendre à avoir confiance en lui et dans les adultes en général. Ce sont eux qui lui ont permis d’apprendre à se sécuriser pour partir à l’aventure, pour explorer et expérimenter concrètement son environnement en engageant l’ensemble de son corps et de son esprit. Ce sont eux  qui, en créant un environnement riche de possibilités ludiques, lui ont permis d’apprendre, grâce à ses jeux exploratoires, à mémoriser, à trier, à comparer et catégoriser. Ce sont encore eux qui en créant les conditions de la rencontre avec les autres enfants lui ont permis d’apprendre à s’intéresser aux autres, à interagir et à communiquer avec eux, puis à parler, c’est-à-dire pas uniquement à savoir demander et exprimer des besoins, mais aussi à partager sa pensée avec les autres. Ce sont ces professionnels qui en amenant l’enfant à entrer dans la relation, la communication, le langage, le déplacement, l’étude des caractéristiques physiques des objets et donc, au final, lui ont permis d’établir une première approche du fonctionnement du monde, des bases solides sur lesquelles pourront s’établir de nouveaux savoirs à la fois plus précis et concrets et aussi de plus en plus abstraits et conceptuels.

On oublie trop souvent que ces grandes notions que sont la confiance en soi, la motricité, le repérage spatial, la mémorisation, les habiletés manuelles, la catégorisation ou les aptitudes sociales et émotionnelles, sont aussi des apprentissages et qu’ils sont à la base de tous les autres. C’est ainsi que l’enfant est bien préparé à la suite de ses apprentissages, ceux qui entrent dans la catégorie « scolaires » mais ne sont pas, loin de là, les premiers, mais une suite logique si l’on se place du point de vue de l’enfant.

Si la première rentrée scolaire correspond pour les adultes à un rite de passage, elle n’est pour l’enfant qu’une première fois parmi toutes les autres. Le jeune enfant ne fait que vivre des premières fois depuis sa naissance. En quoi la première entrée à l’école maternelle serait-elle une première fois plus importante que les autres ? Il vit tant de première fois dans son état de bébés qu’il y est préparé car cela correspond sans doute à son développement ! Sa première dent, ses premiers repas à la cuillère, ses premiers pas, son premier mot, son premier jour à la crèche, etc. ne sont que des premiers essais qui, répétés sans cesse,  conduisent à des connexions neuronales prévues et nécessaires.  Pour un petit enfant, tout est une première fois, l’école maternelle n’y échappe pas. L’enfant n’a donc aucune intention de se préparer à quelque évènement particulier. L’entrée à l’école marque la fin de sa période de vie de bébé, et représente pour lui une nouvelle aventure, parmi les autres, faisant suite à toutes celles qu’il vient de vivre. Il n’y a donc aucune raison de lui infliger une pression supplémentaire, particulière et néfaste, qui ne correspond qu’à une représentation des adultes sur l’école et non à la réalité de sa vie propre.
Les professionnels de la petite enfance ont à résister à cette pression parentale sur la préparation à l’école, car, heureusement, ils ne voient pas l’enfant comme un futur élève, mais uniquement comme un enfant qui grandit, qui apprend l’environnement dans lequel il se situe avec les objets, les êtres humains, et les usages et coutumes sociales, à son rythme, tout en participant pleinement à son propre développement et à ses premiers apprentissages. Petit à petit, ces mêmes professionnels ont donné à l’enfant la force pour franchir tous les obstacles, passer toutes les toutes étapes, effacer toutes les premières fois. Cette prochaine première fois que représente l’école n’est donc qu’une suite logique dans laquelle aucune charge mentale supplémentaire ne devrait apparaitre. Car l’école n’est pas un début mais une suite, elle n’est pas une fin mais un moyen. Elle permet à l’enfant de prendre un nouveau chemin, bien intéressant mais pas plus que le précédent, celui d’un savoir de plus en plus abstrait.
Avec les professionnels de la petite enfance qu’il a rencontrés,  l’enfant a connu les rires et les pleurs, les rencontres et les interactions en tout genre. Il a déjà vécu beaucoup de choses qui l’ont marqué et constitue ses propres fondations. Et, même s’il ne se rappellera bientôt plus de cette période, de ce qu’il a appris, comment il l’a fait, et avec qui, amnésie infantile oblige, pour autant, sa vie, comme son éducation et ses apprentissages, ne commence pas avec l’école et cette dernière ne représente pas l’objectif de ses premières années. Paradoxalement, c’est justement parce qu’il ne connait pas ce dessein que l’enfant se prépare sereinement pour l’école.

 

 
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 08 mai 2023
Mis à jour le 08 mai 2023