Mais à quoi servent les crèches ? Précisions. Par Pierre Moisset

Sociologue, consultant petite enfance

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bébé marche à la crèche
Dans ma précédente chronique, je m’interrogeais « A quoi servent les crèches ? ». Plus exactement, je m’amusais à pousser la question sur l’usage réel des crèches au regard de l’idéalisation dont bénéficie ce mode d’accueil.
 C’est le mode d’accueil dont parlent les médias quand il s’agit de souligner le manque de places d’accueil. Et c’est, également, le mode d’accueil que l’action publique peut orienter et mettre en avant en rapport avec certains objectifs politiques : tel celui de la lutte contre la pauvreté.
A ce titre, je me suis amusé, donc, à me demander si ce mode d’accueil avait un usage à la mesure de sa réputation. Autrement dit, l’accueil collectif, qui est en croissance continue ces dernières années, connaît-il un usage croissant ? Et là, en manipulant quelques chiffres, les choses ne paraissent plus si claires.
 En effet, je pensais constater une « stagnation » de la demande de places en crèche de la part des parents de jeunes enfants (environ 25% de ces parents faisant une demande en crèche entre 2012 et 2017) alors que le nombre de places offertes par ces établissements, pour 100 enfants de moins de trois ans, avait augmenté de 16 à 20% entre ces deux dates. Et c’est là que je dois de concéder un erratum : je me suis trompé. En effet, dans les baromètres petite enfance de la CAF que j’ai consultés pour produire ces chiffres sont distinguées : les démarches directement auprès des structures, auprès des assistants maternels ET en mairie. Et on ne sait d’ailleurs pas très bien, si ces démarches en mairie sont systématiquement des inscriptions ou peuvent recouvrir de simples prises d’information ni, d’ailleurs, à quel point ces différentes démarches (en structures et en mairie) se recouvrent.

Néanmoins, une fois que l’on a ce point en tête, il me faut nuancer ce que j’avais commencé à mettre en scène : si on constate une stagnation de la demande de places en crèches face à la montée de l’offre, le niveau de la demande est très élevé (36% environ des parents feraient une demande auprès d’une structure ou de la mairie sur les quatre années recouvertes par les baromètres CNAF). Et la stagnation de cette demande, au cours des années, peut s’expliquer par le fait qu’elle excède largement l’offre disponible.

Par contre, on ne sait toujours pas à quel point cette offre rencontre la demande (pleinement ou partiellement), ni suivant quelles modalités (pour des accueils à temps plein, à temps partiel, des enfants de quels milieux sociaux etc.). Explorons ces points.

Entre 2007 et 2013 le recours à l’accueil collectif est bien en augmentation, il passe de 21 à 23% des enfants de moins de trois ans en tant que mode d’accueil principal ou secondaire. Cette progression est plus rapide dans les ménages les plus modestes (appartenant aux deux premiers quintiles de revenus). Entre ces deux dates toujours, la part des parents recourant à l’accueil collectif en tant que mode d’accueil principal augmente. Donc, avec l’accroissement de l’offre on voit et un recours plus fréquent à l’accueil collectif (pour une plus grande part d’enfants de moins de trois ans) et une intensification de ce recours (pour plus d’heures par enfants). On peut donner à voir ce phénomène pour les années 2012 à 2014 pour lesquelles la CNAF, dans son rapport « Les évolutions récentes des recours aux différents modes d’accueil »
 donne des chiffres précis. Entre ces deux dates le nombre de places en accueil collectif (crèches et halte-garderie financées par la PSU) a augmenté de 21200. Et, toujours entre ces deux dates, le nombre d’enfants inscrits – au moins une fois dans l’année pour un accueil ponctuel ou régulier - en accueil collectif a augmenté de 33800. Donc une augmentation plus forte que le nombre de places ouvertes. Et pour autant, toujours sur ces deux années, si on calcule le nombre d’heures facturées en moyenne par enfant accueilli sur l’année on obtient 651 heures par enfant et par an en 2012 et 665 heures en 2014.
Autrement dit, s’il y a plus d’un enfant accueilli par place (et même bien plus), l’usage de l’accueil collectif s’intensifie bel et bien. Ce phénomène est, en bonne partie, liée à la transformation massive des haltes -garderies en multi-accueil proposant des contrats d’accueil plus fournis.
Pour autant, malgré cette évolution, l’accueil collectif reste bien plus un mode d’accueil à temps partiel que les assistants maternels. Ainsi, en 2014, si on rapporte le nombre d’heures payées par les parents employeurs aux assistants maternels au nombre de parents employeurs (qui n’est qu’une approximation du nombre d’enfants gardés sur l’année) on obtient environ 4,25 heures par compte employeur et jour ouvré sur l’année. Là, où, pour l’accueil collectif on obtient plutôt 2,6 heures par jour ouvré et enfant accueilli. Autrement dit, la journée d’accueil est, en moyenne, bien plus longue en assistant maternel qu’en accueil collectif et ce, même si ce mode d’accueil devient, de plus en plus, un mode d’accueil principal.     

Aussi, au final, que répondre à la question « A quoi servent les crèches ? » Et bien, on peut tout de même dire que, contrairement à leur réputation de « reines des modes d’accueil », les crèches s’affirment, tout juste aujourd’hui, comme un mode d’accueil plus conséquent, à titre principal ou temps complet.
Ce que les assistants maternels sont de manière plus massive et plus ancienne. Mais, et comme je l’indiquais dans ma précédente chronique, elles affirment surtout ce rôle auprès de parents qui peuvent faire avec leur rigidité horaire. C’est à dire des parents aux horaires réguliers, de bureau, les parents avec des horaires plus complexes se tournant plutôt vers les assistants maternels.
Article rédigé par : Pierre Moisset
Publié le 01 avril 2020
Mis à jour le 02 avril 2020