Au nom des jeunes enfants ! Par Laurence Rameau

Laurence Rameau

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bébé sur le ventre
Période électorale oblige, chacun s’est efforcé de faire entendre sa voix et d’attirer l’attention des candidats et de leurs équipes. La petite enfance n’a pas échappé au processus de séduction et de revendication. Cela semble bien légitime puisque les sujets ne manquent pas : pénurie de personnel « bien » diplômé, disparition de certaines professions, service public de l’accueil de la petite enfance, normes trop ou pas assez contraignantes, nombre de places restant à créer, accueil des enfants en situation de pauvreté, gouvernance des uns et des autres, distribution des pouvoirs entre les services payeurs, décideurs et contrôleurs.
Chaque collectif, syndicat ou fédération y est allé de sa verve et a tenté de défendre son pré-carré, ses valeurs, ses convictions, ou sa façon d’envisager l’organisation de la petite enfance, en accord ou en désaccord avec les autres. Nous remarquons tout de même une constante : tous parlent de ce qui est nécessaire ou de qu’ils jugent être bien pour les enfants. Tous disent comment faire « au nom » de l’enfant, tout en cherchant à défendre leurs propres intérêts. Le point de vue est toujours celui des adultes déterminant ce qu’ils jugent être pour le « bien de l’enfant ». Mais l’enfant lui-même disparait derrière une forêt de revendications en son nom. On retrouve souvent la même situation dans les crèches quand les adultes décident que telle ou telle autre pratique est bien pour eux de façon globale, sans attendre ou y revenir à partir de chaque enfant, de ses vrais besoins, ses vrais choix et son réel comportement. La position professionnelle est souvent celle de l’adulte qui pense ce qui est bien pour l’enfant et parle en son nom, sans lui laisser le temps d’être et de décider. 
Aucun collectif représentant des intérêts du secteur de la petite enfance ne s’est aventuré à ne serait-ce que parler des enfants eux-mêmes : qui ils sont, comment ils vivent, comment ils se sentent, se développent, apprennent… Au mieux on a entendu ces mêmes institutions parler des parents ou des familles, englobant les enfants dans un tout, sans que leur parole ne soit prise en considération. C’est normal, me diriez-vous, car ils ne parlent pas ! Mais n’ont-ils pour autant rien à montrer, ni à dire ? N’avons-nous pas entendu tous ces chercheurs qui ont découvert et montré leurs compétences précoces et leurs intelligences innées qui n’attendent qu’un environnement propice pour s’épanouir et fonder leurs apprentissages ?  N’avons-nous pas saisi de quels environnements ces spécialistes parlaient ? Des lieux à la fois sécurisants et permettant l’aventure, des lieux où ils peuvent s’attacher aux adultes qui les accompagnent et étayent leurs découvertes pour les transformer en savoirs… Et donc pas uniquement des lieux de garde, d’accueil ou de soins…

Qui écoute les enfants ?
Alors qui écoute les enfants et leur donne une parole à défaut de l’existence d’un syndicat des petits ? Certes des chartes et des conventions issues de commissions d’experts et avec lesquelles nous sommes tous d’accord portent cette parole. Mais ils ne militent pas et ne sont repris par les vrais militants que par brides, pour appuyer ou dénoncer une situation en fonction des intérêts des uns et des autres, au diable si cela se contredit au passage. Les enfants doivent bénéficier de l’accompagnement de professionnels bientraitants qui soient aussi bien traités. Mais on n’en forme pas, pas assez, pas ceux qu’il faudrait, pas selon un programme de formation assez adapté, pas avec des formateurs eux-mêmes formés et diplômés… On sous-qualifie, on sous-traite et on sous-paie :  cela coûte bien trop cher la petite enfance ! Et au final, a-t-on vraiment besoin d’éducateurs de niveau 5 ou 6 pour s’occuper des enfants ? Un niveau 3 ne suffit-il pas ? Sans doute est-ce vrai, puisque ces mêmes éducateurs désertent les crèches… C’est bien que cela n’est pas fait pour eux ! Ils sont mieux ailleurs, dans le social ou l’éducation, ou même très loin dans d’autres domaines professionnels. C’est un peu normal, la petite enfance n’existe pas vraiment… Un zeste de social, un de santé, un d’éducation, sans oublier l’administration et l’entreprise, on mélange le tout et on tente d’appliquer la potion à la petite enfance. Etonnant que cela ne fonctionne pas ! Personne n’est vraiment à sa place et tout le monde parle au nom de la petite enfance sans jamais ni l’écouter, ni la regarder, ni prendre le temps de la comprendre vraiment. 

En petite enfance tout est petit
En petite enfance tout est petit : petits métiers, petits salaires, petites formations, petits espaces, petits temps, petite parole, etc. Aucune grande école ni filière universitaire, aucune formation de renom, aucune ambition, aucun élan majeur pour dire, enfin, qui sont les bébés et porter haut et fort leur voix, la leur et pas uniquement celles de ceux qui sont s’occupent d’eux, même si elles comptent aussi. Pourquoi cette impossibilité de voir grand, de penser concrètement la place des plus petits dans la société ? En passant de la garde à l’accueil, puis à l’accueil éducatif (bien que tous n’aient pas encore gravit ces deux dernière marches), nous aurions pu croire que ce temps de chaque être humain allait enfin être reconnu comme le moment le plus important de la vie. Il n’en est malheureusement rien. Dispersée entre de bien trop nombreux intervenants, écartelée entre de bien trop nombreux métiers et filières, abandonnée à de bien trop nombreux décideurs, la petite enfance n'existe pas vraiment. Elle est si petite qu’elle n’occupe pas de place, n’attirant le regard qu’à la marge en période électorale, faisant sourire ou s’apitoyer : « ils sont tellement mignons ces petits ! ». La petite enfance est à l’image du bébé lui-même, encore immature !
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 11 avril 2022
Mis à jour le 11 avril 2022