L’ombre d’une ambivalence. Par Nathan A

Assistant maternel

Je voulais revenir sur un épisode de ma vie qui a bouleversé mon quotidien personnel et professionnel : la première rentrée de mon fils à l'école. Alors je ne vais pas étaler ma vie comme on étale ses lettres au scrabble comme disait un certain Patrick B. mais je voulais profiter de cet événement pour parler de ce sentiment qu'on a tous ressenti un jour ou l'autre quand on a des enfants : l'ambivalence d'être parent.

Si, si, vous savez forcément. Quand nous sommes pressés de les voir sortir du stade de bébé le plus vite possible, qu'ils deviennent autonomes (ou qu'on soit un peu plus tranquille c'est selon l'humeur du moment soyons honnêtes aussi...). Et regretter instantanément le temps béni des couches, du lit à barreaux qu'on n'arrive pas à démonter ou des vêtements 6 mois dont on est incapable de se séparer. Une forme d'animisme qui tournerait presque au fétichisme d'un objet qui finira plié, certes le plus proprement possible avec d'autres vêtements, mais plié à jamais quand même. Dans une malle ou un carton, certes scotché plus proprement qu'on s’occuperait de la prunelle de nos yeux, mais destiné au fond du cabanon ou d'un grenier déjà surchargé. Un emballage qui ne s’ouvrira plus jamais mais dont la seule présence suffit à nous faire verser une larme tant il évoque tout un pan de notre vie de parent.
En attendant ses futurs copains qui viendront s’empiler à côté ou au-dessus de cette madeleine de Proust.  
Tout se mélange : du premier sourire qu'on prendrait pour La Joconde aux premiers gazouillis qu'on ferait rentrer dans le dictionnaire pour la qualité de leur prononciation. De ses premiers pas qu'on a tous cherché à immortaliser à ce moment où il apprend à manger. À nous faire tordre le cou entre tendresse, colère et concentration devant sa façon de jouer avec sa cuillère pleine de nourriture. De ces nuits blanches passées à (tenter de) le consoler à sa première journée sans couche sans remplir son pantalon. De ces projections où on se demande ce qu'il va faire de sa vie aux craintes de le voir réclamer son autonomie à 9 ou 13 ans alors qu'il n'en a même pas 2. On s'obstine à ne pas vouloir prendre le temps de prendre le temps, d'anticiper toujours 10 coups d’avance dans une course effrénée perdue d’avance.

Nous sommes tous pareils. Parents, professionnels. Faire fi des conseils de ceux passés par là avant. Sans les ignorer, on les minimise (in)consciemment. J'entends encore résonner à la maternité les paroles de mes parents : profite bien de chaque jour, ça passe vite, les enfants ça grandit trop vite. Avant de leur répondre oui bien sûr ne t'inquiète pas je sais ce que j'ai à faire. Et blablabli et blablabla (et patati et patata). Sauf que. Sauf que patatras. Sauf que le jour J, sa soif de découverte n'a d'égal que le vide laissé par son absence. Une absence dans une maison où soudainement presque tous les repères sont à repenser. Pour moi et les enfants que j’accueille et qui l’ont toujours connu. Mais pour lui aussi quand il revient comme un périscolaire. Sauf que même en essayant de vivre chaque instant, a fortiori assistant maternel, même en passant une bonne partie de ses trois premières années de vie quasiment exclusivement avec lui, ça n'est pas suffisant. Il en manque encore quand la maîtresse tape dans les mains en plein milieu de la cour. Il en manque encore quand il court se mettre en rang pour la première fois en donnant la main (désinfectée bien évidemment) à un camarade. Ces doigts qu'il nous avait donnés pour apprendre à marcher. Rien que ce symbole est déjà lourd de sens.

Je ne suis pas assistant maternel pour avoir un mode de garde mais ce métier m’a permis de pouvoir profiter de lui. Ce dont chaque parent rêve a été rendu possible grâce à ce sacré job à plein temps. Pour le professionnel que je suis devenu aussi grâce à lui, c'est une chance ; pour le papa que je reste, ça n'a pas de prix.
Mais après c'est la double peine : on passe de tout à rien... ou presque. Je n'ai rien contre les maîtresses mais forcément elles ne vont pas nous faire de cahier de liaison ou de compte-rendu détaillé de la journée à l'école. Je comprends bien tout ça mais on part de loin là. On passe quand même de 7 jours sur 7 H24 à « Rassurez-vous la journée s'est bien passée ». Oui d'accord mais sinon il a bien dormi ? Il a bien mangé ? Il a fait quoi comme activité ? Il s’habitue bien ? Non mais attendez j’en ai encore sous le bras là.

Une amie assistante maternelle dans le même cas de figure que moi il y a un an m'a un peu déminé le terrain. Elle a bien tenté de me conseiller de me préparer, de penser à ce moment forcément particulier. Et puis voir les autres pourrait me permettre de relativiser. Fréquenter les écoles et les parents m'a permis de préparer ce que pouvait être ce moment. Enfin, je me suis surtout concentré à regarder, sourire en coin, les parents qui vivaient ce moment. Un cours d’espiègleries à donner aux enfants que j’accueille. Je me disais qu'il me restait encore quelques mois avant d'en passer par là... Ou quelques semaines... Bref le jour J, je n'étais pas prêt. Alors j’ai joué les durs, j’ai fait semblant. J’ai fait celui à qui cet événement lui passe au-dessus. Comme si c'était même un non-événement pour ne pas attirer les suspicions ou les regards de parents qui seraient à ma place dans quelques mois. Imaginer qu’ils pourraient venger tous ceux dont je parlais à la rentrée précédente. Alors autant affronter l’adversité la tête haute... mais surtout le moral en bas des chaussettes. Le cœur lourd, je lui ai adressé une petite tape d’encouragement sur le postérieur pour lui dire vas-y, n'aies pas peur mais en fait c'est plutôt d'avoir quelqu'un qui tape dans le mien dont j’avais besoin. Quelqu'un qui dirait simplement : laisse-le grandir.

Être parent c'est donner un maximum d'outils pour accompagner son enfant à être prêt justement pour la grande vie. Être professionnel, c'est accompagner l’enfant dans son développement mais aussi le parent pour le comprendre. Alors finalement, lui aussi, le parent pro n’a plus que quelques larmes à sécher en guise d’accompagnement. Vivre avec cette tendresse en pyjama qui s’effiloche comme une pelote de laine déroulée par mon chat. L'ombre d'un doute qui plane au-dessus de nos têtes, l'ombre d'une ambivalence qui en appellera d'autres de toutes façons.

 
Article rédigé par : Nathan A
Publié le 01 février 2021
Mis à jour le 05 avril 2021