L’absence d’imagination au pouvoir ? Par Pierre Moisset

Sociologue, consultant petite enfance

David ADEMAS
petite fille dans bras adulte
Le titre de cette chronique estivale est provocateur, outrancier. Mais, alors que nous sommes toujours dans une crise qui ébranle notre réel et notre imaginaire, il me semblait intéressant de mettre l’accent sur cette question de l’imagination.
 
Pour souligner un relatif manque d’imagination quant à l’avenir de la politique petite enfance de notre pays. D’autant plus que, dans le domaine de la petite enfance, l’actualité récente est assez riche puisque nous avons vu paraître récemment un rapport d’information parlementaire sur les « métiers du lien » abordant notamment la situation des assistants maternels et un autre rapport sur « L’adaptation de la politique familiale française aux défis de la société du XXIe siècle ».

Les deux rapports n’ont pas le même objet et ne peuvent pas, dès lors, être interpellés de la même façon par le reproche de manque d’imagination.
 Le rapport sur les métiers du lien s’intéresse au manque de reconnaissance, de visibilité, de valorisation de ces métiers du care au nombre desquels les assistants maternels. Et, même si la petite enfance n’est pas son objet central, il fait des propositions « techniques » mais qui ne manquent pas de potentialités réformatrices, telles que prévoir une garantie de paiement des salaires des assistants maternels, réfléchir à des mécanismes d’harmonisation de leurs rémunérations sur le territoire national, intensifier leur accompagnement par les RAM… Soit.

En revanche, et quitte à me voir reprocher une lecture trop rapide ne prenant pas en compte le travail d’audition et de concertation menant à un tel rendu, le rapport sur l’adaptation de la politique familiale me semble bien timide. On y trouve, après des réflexions intéressantes mais nécessaires sur la nécessité de remplacer la calamiteuse Prepare par un congé parental « mieux rémunéré », des considérations attendues sur la politique d’accueil du jeune enfant. Parmi lesquelles, l’idée que « la diversité des modes d’accueil est une richesse », alors que cette diversité résulte bien plus de l’empilement de politiques favorisant et l’essor de l’accueil individuel et celui de l’accueil collectif sans réel plan d’ensemble et sans pensée de leur diversité ou de leur complémentarité.
Enfin, face au constat de l’échec de la politique de création de places d’accueil, le rapport en appelle à une accélération de cette création (on ne saura pas par quels mécanismes) et au « déploiement d’une politique d’accueil du jeune enfant plus complète et opérationnelle ». Là non plus, on ne saura pas trop ce que cela veut dire, à part le fait de parvenir à créer plus de places.
 
Pourquoi parler alors d’un manque d’imagination ? Parce que ce rapport, qui balaie l’ensemble des politiques familiales, ne fait que reprendre des formules connues pour ce qui concerne l’accompagnement à la parentalité, l’égalité homme femme et l’accueil de la petite enfance. Respectivement, une politique universaliste qui ne stigmatise par les parents les plus fragiles (ou pauvres) mais aide tous indistinctement, un appel à un « changement de mentalités » pour l’égalité homme-femme, et à la création de plus de places d’accueil… C’est bien beau, mais c’est bien court. Pourquoi ?
Parce que l’imagination coûte cher, matériellement et symboliquement. Parce qu’avoir une politique de parentalité plus pertinente implique de mettre en place un universalisme proportionné et de penser la fragilité parentale des plus démunis et, donc, la pauvreté éducative. Mais de penser aussi, peut-être, le stress parental des plus nantis et donc la panique éducative. Parce que l’égalité homme -femme passe aussi par une remise en question profonde de la place du travail dans notre société. Et parce que la création de places d’accueil implique de revaloriser concrètement les métiers d’accueil du jeune enfant (voir nos articles sur l’étude APEMA), mais aussi de les libérer de leur histoire. Libérer les professionnels de crèche d’une histoire sanitaire et institutionnelle qui les enferme en bonne partie et libérer les assistants maternels de la référence à la bonne mère. Tout cela demande plus d’imagination et, là encore, j’y reviendrai.
 
Article rédigé par : Pierre Moisset
Publié le 14 juillet 2020
Mis à jour le 14 juillet 2020